Vous ne le savez peut-être pas, mais je suis un amateur de jeux Point & Click. Donc, quand j'ai eu l'occasion d'interviewer Stéphane Petit, co-fondateur et directeur technique de Kheops Studio, j'étais vraiment aux anges. Cette entreprise française est derrière de grandes licences de ce genre que je chéris tant. Entre Retour sur l'Île Mystérieuse, The Secrets of Da Vinci : Le Manuscrit interdit et Nostradamus : La Dernière Prophétie, prenez place pour découvrir l'histoire de cette société marquante.

La création du studio

C’est au cœur de Paris que Kheops Studio voit le jour. Deux hommes se sont associés pour fonder l'entreprise, Benoît Hozjan et Stéphane Petit. Nous sommes alors en 2003.

D'un malheur est né un bonheur. Alors que Cryo Interactive traversait des difficultés, la société a décidé de cesser ses activités de développement pour se concentrer sur l'édition de jeux, ce qui a conduit au licenciement des développeurs. Malheureusement, un projet était en cours, Égypte III : Le Destin de Ramsès.

C'est à ce moment-là que Benoît et Stéphane ont proposé de créer une structure distincte, de reprendre en main le projet et de proposer des contrats à durée déterminée (CDD) aux employés qui travaillaient déjà dessus chez Cryo Interactive. Cette proposition a été acceptée et Kheops Studio a ainsi pu voir le jour et achever le jeu tant attendu, Égypte III, dès l'année suivante, en 2004.

L'entreprise a acquis une expertise significative dans le domaine des jeux d'aventure. Forts de cette expérience, ils ont décidé de poursuivre leur activité et ont livré, la même année, Evany : La Clé des 7 mondes. Cependant, c'est en 2005 qu'un titre allait propulser le studio vers une nouvelle dimension.

L’apogée du studio

Si vous êtes passionné par ce genre de jeux, les Point & Click, vous connaissez très certainement ce jeu. En effet, nous allons parler de Retour sur l'Île Mystérieuse.

C'est littéralement l'œuvre qui va propulser la jeune société. La presse accueille le jeu plutôt positivement, tout comme les joueurs. Certes, ce n'est pas un succès planétaire vendu à des millions d'exemplaires, mais il s'agit d'un genre très niche, surtout à cette époque. Même si le Point & Click a prospéré tout au long des années 90, ce n'était plus le cas dans les années 2000.

Cependant, avec des coûts de production moindres, même des succès de niche comme celui-ci suffisent à soutenir de nouveaux projets, ce que va faire Kheops Studio. L'année suivante, en 2006, ils sortiront The Secrets of Da Vinci : Le Manuscrit Interdit. Lui aussi est très apprécié parmi les amateurs de ce style. Sans atteindre l'excellence, ils proposent des jeux convaincants et montrent leur expérience accumulée au fil des années dans le domaine des jeux d'aventure. Les énigmes sont intéressantes, et résoudre les casse-tête est un véritable plaisir.

Ils réussiront à produire plusieurs jeux par an, et ce, presque jusqu'à la fin de l'aventure. En 2007, par exemple, ils sortiront Nostradamus : La Dernière Prophétie et Cléopâtre : Le Destin d'une Reine. Malheureusement, bien que Kheops Studio ait son public et livre des jeux de bonne qualité, l'entreprise finira par décliner.

La fin du studio

C'est en 2012 que nous avons appris la triste nouvelle. Kheops Studio a alors été placé en liquidation judiciaire. Ce qui est le plus troublant, c'est le silence assourdissant observé par la presse spécialisée, qui en a très peu ou absolument pas parlé.

Cela est d'autant plus difficile à comprendre lorsque l'on sait ce que le studio a apporté au genre des jeux d'aventure pendant près d'une décennie. C'est pourquoi il est très compliqué d'obtenir les raisons exactes de cette fermeture par le biais des médias. Heureusement, Stéphane Petit a accepté de répondre à nos questions et pourra lever le voile sur les raisons qui ont conduit à cette situation. Il en parle sans détour lors de notre entretien ci-dessous. Vous pourrez ainsi en apprendre davantage sur cette aventure extraordinaire.

Entretien avec Stéphane Petit (co-fondateur et directeur technique)

Comment avez-vous découvert le jeu vidéo et comment avez-vous su que vous vouliez en faire votre métier ?

Ma passion pour les jeux vidéo et la micro-informatique a débuté lorsque j'avais onze ans, lors de la visite de mon cousin chez mes parents. À l'époque, il avait dix-sept ans et possédait une calculatrice programmable TI-57. C'est là qu'il m'a fait découvrir qu'il était possible de jouer sur cette calculatrice grâce à ses 50 pas de programme et ses 7 variables. Les jeux étaient simples, mais ils semblaient magiques, comme celui où la calculatrice devinait le chiffre auquel je pensais. Elle proposait des chiffres, et je n'avais qu'à répondre 1 si le chiffre auquel je pensais était plus grand que celui proposé, ou -1 pour indiquer qu'il était plus petit. En quelques essais, la calculatrice parvenait à deviner ce que j'avais en tête ! C'était une expérience magique pour moi, d'autant plus que la machine y parvenait grâce à un programme que nous avions entré, une séquence de touches incompréhensible pour moi à l'époque. Je ne comprenais pas tout à fait le fonctionnement, mais cela m'a incité à demander à mes parents de m'en acheter une. Grâce au manuel, j'ai commencé à explorer son langage de programmation.

Assez rapidement, j'ai trouvé que ses capacités étaient limitées, ce qui m'a conduit à acquérir la TI-58, sa grande sœur beaucoup plus puissante. Peu de temps après, je suis passé au Sharp PC-1211 (ou sa version moins chère chez Tandy, le TRS80 Pocket) et j'ai découvert le langage BASIC. Sur cette machine, j'ai programmé divers petits jeux, y compris des labyrinthes avec un dinosaure pourchassant le joueur, ainsi qu'un programme Othello en format 6x6 cases, une variation des échiquiers classiques de 8x8 cases en raison de contraintes de mémoire. Mon espoir était que mon programme pourrait rivaliser avec les autres programmes du concours annuel organisé par L'Ordinateur Individuel, une revue informatique qui récompensait le meilleur programme Othello en le publiant dans la revue, si je me souviens bien.

Plus tard, j'ai acquis un Sinclair ZX-81, mon premier micro-ordinateur doté de graphismes, que je pouvais connecter à un écran (une télévision en noir et blanc !). Il avait une résolution de 64x48 pixels. J'ai rapidement acheté une extension mémoire de 32 Ko car les 1 Ko de mémoire de base s'avéraient insuffisants. Avec ce ZX-81, j'ai découvert l'assembleur Z80, bien qu'il faille entrer les programmes octet par octet dans des lignes de commentaire en utilisant des instructions BASIC POKE, faute de mnémoniques d'assembleur. Sur cette machine, j'ai créé un jeu SPACE INVADER entièrement en assembleur. Chaque fois qu'un bug survenait dans le programme (ou si la machine était déplacée malencontreusement car l'extension mémoire était instable et faisait planter la machine), il fallait tout retaper depuis le début, car il n'y avait pas de fonction de sauvegarde.

Après le ZX-81, j'ai investi dans un ZX Spectrum 48 Ko, son grand frère. J'ai également eu l'occasion de travailler sur un Apple 2e chez un ami. Bien que j'en rêvais, il était hors de ma portée financière. J'ai également utilisé des Oric 1 et Atmos appartenant à un ami, pour lequel j'ai écrit quelques programmes en 6502 et BASIC. J'ai aussi eu l'occasion de travailler avec des Amstrad CPC 464, également équipés du processeur Z80.

Ensuite, est venue l'ère des 16 bits, avec l'ATARI 520STF sur lequel j'ai appris le langage assembleur 68000 et développé un jeu de football, entre autres. Plus tard, j'ai eu l'opportunité de travailler sur les Commodore Amiga 500 et 1200, que je considère comme les meilleures machines de cette époque. J'ai passé beaucoup de temps à jouer sur toutes ces machines, mais ma passion pour les jeux vidéo ne s'est pas limitée à jouer, j'ai également développé des jeux. Parfois, j'achetais des jeux pour tenter de comprendre comment certains effets étaient réalisés. À cette époque, il n'y avait plus de doute dans mon esprit : je voulais faire des jeux vidéo mon métier. J'ai donc suivi des études en informatique, bien que je n'y aie pas appris grand-chose au final.

Après avoir effectué mon service national, j'ai réussi un entretien d'embauche chez Titus, mais j'ai décliné leur offre pour rejoindre l'entreprise qui m'avait permis de réaliser mon stage de fin d'études et de faire mon service national dans de bonnes conditions. Cette entreprise se spécialisait dans les cartes d'émulation, notamment pour les imprimantes laser nouvellement sorties. Mon travail, bien que non graphique, consistait à programmer en langage machine les logiciels nécessaires pour les piloter. Cependant, ma passion pour les jeux vidéo demeurait et je continuais à développer des programmes, principalement pour les PC à ce moment-là.

Lorsque cette entreprise a fermé ses portes, il est devenu évident que je devais finalement rejoindre une entreprise de jeux vidéo pour vivre ma passion. C'est ainsi que j'ai rejoint la société Cryo en tant que développeur d'outils. Mon premier projet a été de travailler sur un éditeur de niveaux en 3D pour le jeu Aeon Flux, qui a été renommé Pax Corpus après l'abandon du projet par Viacom.

Comment est né Kheops Studio ?

Après huit années passées chez Cryo, occupant divers postes tels que programmeur outils, programmeur gameplay, programmeur direction technique, responsable direction technique programmation, et responsable moteur de jeu d'aventure, les choses ont pris un tournant lorsque Dreamcatcher, qui avait précédemment acquis Cryo, a pris la décision d'arrêter la production interne pour se concentrer exclusivement sur l'édition. À ce moment, l'ensemble de la production, auquel je participais indirectement, car je ne travaillais pas sur un projet spécifique, a été licencié. Cependant, deux titres étaient encore en cours de développement : Egypte III et Atlantis 3.

Benoit Hozjan et moi, en tant que co-responsables du moteur et des outils utilisés dans la plupart des projets de Cryo, y compris Egypte III (mais pas Atlantis, qui utilisait encore l'ancien moteur non unifié de Cryo), avons proposé aux dirigeants de l'époque de créer une structure pour achever les jeux en cours. Nous avons suggéré de reprendre les salariés travaillant sur le projet en tant que contractuels pour les mener à terme, à condition que Cryo nous accorde le droit de conserver, d'utiliser et d'améliorer les outils et moteurs que nous avions développés. Ils ont accepté cette proposition pour Egypte III, préférant laisser une autre structure dirigée par Eric Safar prendre en charge la finalisation d'Atlantis 3. Ils ont préféré ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier. C'est ainsi que Kheops Studio a vu le jour. Nous avons réussi à finaliser Egypte III en quelques mois, mettant fin aux contrats à durée déterminée des développeurs du projet, à l'exception des fondateurs, d'un game-designer (Alexis Lang), d'un directeur artistique (Franck Letiec) et d'un développeur (Wilfried Hinault).

Parmi tous les jeux développés au cours de l’existence de Kheops Studio, quel développement a été le plus marquant pour vous ? Et pourquoi ?

J'hésite entre deux projets : Retour sur l'île Mystérieuse et SafeCracker.

Retour sur l'île Mystérieuse a une place spéciale pour nous, car c'était le premier véritable jeu développé par Kheops Studio. Egypte III était essentiellement la finalisation d'un jeu hérité de Cryo, tandis que Evany (Crystal Key 2), réalisé entre-temps, était également un titre Dreamcatcher que l'auteur mettait trop de temps à achever. Nous avons réussi à le refaire en quelques mois en utilisant ses graphiques, puzzles et énigmes récupérés auprès de Dreamcatcher. Pendant ce temps, le reste de l'équipe travaillait sur le design et le prototypage de Retour sur l'île Mystérieuse. Finalement, un développeur externe, Frédéric Jaume, a rejoint notre équipe pour travailler sur ce jeu avec nos propres moteurs et outils. Ainsi, Retour sur l'île Mystérieuse reste notre premier jeu dont le game-design et la réalisation ont été entièrement réalisés par notre équipe. Il a également apporté une innovation significative au monde des jeux d'aventure avec la notion d'objets combinables et démontables pour en former d'autres. Il a reçu des critiques positives dans la presse spécialisée, bien au-delà de ce que l'on pouvait lire habituellement sur les jeux d'aventure, y compris ceux de Cryo. Obtenir plus de 12 critiques positives, comme nous l'avons fait sur des sites tels que GameKult ou JeuxVideo.com, était exceptionnel pour un jeu d'aventure à l'époque, et nous étions fiers de cette réussite.

D'un autre côté, SafeCracker a été développé en seulement trois mois. Le scénario était relativement court : un milliardaire avait caché sa fortune au fond d'un coffre-fort, et ce coffre-fort ne pouvait être ouvert qu'après avoir compris le fonctionnement et réussi à ouvrir de nombreux autres coffres, chacun fournissant des indices pour l'ouverture d'autres coffres. Pour ce jeu, il était essentiel de créer un grand nombre de mécanismes et d'énigmes qui s'adaptaient aux différentes caractéristiques des coffres-forts. Cependant, ce ne fut pas uniquement le travail du game-designer, car tous les membres de l'équipe ont participé activement à la réflexion sur ces mécanismes. Lors de nos réunions de travail quotidiennes, chacun apportait ses idées, parfois même avec des maquettes pour les illustrer, et nous prenions des décisions collectives concernant les modifications à apporter, l'acceptation ou le rejet d'une idée. Ce fut vraiment un effort collaboratif que tout le monde a entrepris avec enthousiasme.

De plus, même après la phase de prototypage d'un puzzle, nous revenions souvent sur celui-ci pour chercher des moyens de l'améliorer. Cette approche de travail collaboratif était une constante dans notre processus, quel que soit le jeu sur lequel nous travaillions. Rien n'était jamais acquis, et Benoit et moi nous efforcions de garder un regard "naïf" sur l'un des deux projets que nous avions généralement en cours, de manière à nous mettre dans la peau du joueur découvrant notre jeu pour la première fois, sans connaissance préalable de son contenu. Cela nous permettait de repérer des manques ou des malentendus, de déterminer si un puzzle était trop complexe ou trop simple, et d'apporter les ajustements nécessaires. Les tests ont toujours revêtu une grande importance pour nous et nous consacrions près d'un quart de notre temps de production à cette phase. Nos jeux n'étaient pas linéaires et offraient la possibilité aux joueurs de réaliser des actions dans l'ordre de leur choix, ce qui multipliait les combinaisons logiques pouvant conduire à un blocage. Les tests étaient initialement effectués uniquement par le game-designer pour s'assurer que ses demandes étaient correctement prises en compte et mises en œuvre, mais progressivement, toute l'équipe de l'entreprise participait aux tests jusqu'à la version finale. Nous sommes particulièrement fiers de n'avoir recensé qu'un seul bug bloquant au cours des 14 productions de Kheops (qui était lié à une mise à jour de Direct X).

Vous vous êtes spécialisé dans les jeux d’aventure en Point & Click, d’où vient ce choix et cet amour du genre ?

Les jeux d'aventure ont joué un rôle majeur au début de ma vie de joueur. Bien sûr, je me suis essayé à quelques jeux d'action, mais mes préférés étaient incontestablement les jeux d'aventure de Sierra On-Line, en premier lieu, avec des titres tels que la série King's Quest, Leisure Suit Larry, Space Quest et même Police Quest. Bien que je l'apprécie un peu moins, je l'ai tout de même parcouru. Ces jeux avaient un défaut majeur : toute erreur était souvent fatale. On pouvait mourir pour un rien et se retrouver obligé de recommencer depuis la dernière sauvegarde, parfois très éloignée du point de game over. Ce problème semblait avoir été résolu par LucasArts, dont j'ai également joué aux jeux avec un immense plaisir. Dans leurs jeux, tout était plus permissif et les erreurs du joueur étaient souvent récompensées par des répliques humoristiques. On était encouragé à tout essayer sans craindre de devoir refaire une longue série d'actions. Parmi mes préférés de cet éditeur, il y avait bien sûr les jeux Indiana Jones, les Secrets of Monkey Island, mais aussi des titres moins connus comme Loom, qui permettait de contrôler le jeu avec un ocarina (où des séquences de notes déclenchaient des actions), Day of the Tentacle et Zak McKracken, tous de véritables réussites.

Les jeux français de Delphine Software, comme Croisière pour un cadavre, Operation Stealth et Les Voyageurs du temps, ainsi que les jeux de Lankhor, tels que Le Manoir de Mortevielle et Maupiti Island, ont également contribué de manière significative à ma passion pour les jeux d'aventure. Il était donc tout à fait naturel que je me plonge dans cette culture en rejoignant Cryo, qui produisait également des jeux d'aventure, et qui, par la suite, m'a conduit à co-fonder Kheops Studio.

Il faut également que j'avoue que, étant très peu doué pour les jeux rapides, je préfère les jeux où je peux prendre le temps de réfléchir. C'est sans doute pourquoi je stagne à Diamant 2 dans Rocket League :-).

Avez-vous une ou des anecdotes vécues au sein de l’industrie du jeu vidéo à nous raconter ?

Je pense que mon anecdote ne sera pas très originale, car cela était monnaie courante dans les années 1990. Pendant le développement de Aeon Flux pour Viacom, nous avions régulièrement des Milestones, lors desquels nous devions envoyer une progression de ce que nous avions réalisé à l'éditeur. Il n'était pas rare qu'au moment de l'envoi, nous ne soyons pas du tout prêts... Or, ces Milestones étaient obligatoires pour que l’éditeur valide le paiement suivant. C'est ainsi que commençaient les "rush times" qui nous faisaient passer des nuits blanches pour "finaliser" les éléments manquants à la Milestone. J'utilise le terme "finaliser" entre guillemets, car cela n'avait rien de définitif. Dans les jours qui suivaient, nous perdions plus de temps à corriger les erreurs que nous avions introduites dans le code, et à refaire proprement ce que nous aurions dû faire correctement dès le départ, que si nous avions développé les choses correctement dès le début.

Quelles étaient les raisons de la fermeture de Kheops Studio ?

Pendant longtemps, nous travaillions avec des éditeurs. Cela signifiait que nous leur proposions un concept de jeu, un budget et qu'ils acceptaient de financer notre projet en libérant les fonds au fur et à mesure du développement. Les jeux étaient ensuite distribués en boîte dans les magasins et se vendaient plutôt bien. Toutefois, au fil du temps, les éditeurs ont commencé à privilégier des studios basés dans les pays de l'Est, principalement pour des raisons financières. De plus, des sites proposant des abonnements, comme Big Fish Games, ont commencé à gagner des parts de marché en cassant complètement les prix, offrant un accès illimité à une bibliothèque de jeux pour le prix d'un seul jeu. Les éditeurs sont devenus plus hésitants et nous avons commencé à nous interroger sur la possibilité de nous autofinancer.

Nous disposions d'un peu d'argent que nous pouvions réinvestir, et en nous associant à notre partenaire graphique, MZone Studio, ainsi qu'à notre binôme composé d'un game designer et d'un directeur artistique, Totm Studio, qui sont devenus nos coproducteurs, nous avons pris la décision de créer Au cœur de Lascaux. Nous avons consacré près de deux ans à recouvrir notre investissement initial. Cependant, ce modèle ne s'est pas avéré viable pour nous, à moins d'avoir une trésorerie considérable, ce qui malheureusement n'était pas le cas. Nous avons ensuite expérimenté le modèle épisodique, en imaginant que nous financerions le premier épisode, puis que les revenus générés par cet épisode financerait le développement du suivant. Ce modèle a été appliqué à The Fall Trilogy, notre dernier jeu, qui malheureusement n'a pas réussi à nous permettre de nous passer des éditeurs. Après avoir payé tous nos partenaires, la décision de fermer Kheops Studio a été prise.

Comment avez-vous vécu, humainement, cette épreuve ?

J'ai probablement vécu cette période moins intensément que Benoît. En tant que gérant, il était en première ligne, tandis que de mon côté, la perte de ma femme, qui était aussi la mère de mes enfants, survenue à ce moment-là, a relativisé cette épreuve à mes yeux. Cependant, Kheops Studio reste, pour moi, le point culminant de ma carrière professionnelle. Même si nous avons gagné moins d'argent et que nous travaillions énormément, Benoît et moi, les réalisations que nous avons accomplies, les critiques positives dans la presse spécialisée, les clubs de fans de jeux d'aventure qui nous contactaient, tout ce qui tournait autour de notre travail nous comblait de satisfaction. Nous attachions une grande importance à ne pas décevoir nos joueurs, préférant réduire nos marges plutôt que de sortir un jeu trop précipitamment ou mal fini. Ce respect que nous avions pour nos joueurs nous a été renvoyé. C'est une immense fierté pour moi d'avoir participé à cette expérience. Encore aujourd'hui, je rencontre des personnes qui me disent à quel point ils ont apprécié jouer à nos jeux et comment cela les a motivés à se lancer dans le monde du développement de jeux vidéo. Cela me procure une grande satisfaction. C'était vraiment une belle époque.

Qu’avez-vous fait après l’aventure Kheops Studio ?

Après mon expérience avec Kheops Studio, et en raison de la situation que j'ai mentionnée précédemment, j'ai consacré du temps à mes enfants pour les soutenir au mieux pendant cette période difficile que nous traversions. Par la suite, j'ai intégré le secteur de la santé, travaillant au sein de sociétés spécialisées dans la création de serious games et d'applications 3D destinées à la formation de professionnels de la santé. Mon objectif était de contribuer, à ma mesure, à l'amélioration des conditions de vie des personnes malades tout en continuant à évoluer dans un domaine qui se situe à la convergence du jeu vidéo, car les technologies employées sont similaires.

Que devenez-vous aujourd’hui ?

Et c'est avec cette même détermination que je travaille depuis trois ans au sein d'une entreprise spécialisée dans les soins en réalité virtuelle, visant à soulager la douleur chronique et à réduire la dépendance aux opioïdes, qui causent tant de ravages dans le monde. Notre solution a fait ses preuves, comme en témoignent les résultats des essais cliniques. Cependant, en secret, je rêve de pouvoir recréer tous les jeux de Kheops Studio en réalité virtuelle. Je pense qu'ils se prêteraient parfaitement à cette technologie.

Nous remercions chaleureusement les intervenants de notre série qui font de Rest In Play une chronique si particulière. Merci à eux pour leurs réponses et leur temps offert. Retracer l’histoire de leurs studios ne serait pas aussi enrichissant sans eux.

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