Pour ce nouvel épisode, nous partons pour les États-Unis afin d'y découvrir l'histoire du studio de développement Vigil Games. Une aventure qui, malgré un catalogue de jeux de seulement deux titres, a su s'imposer dans l'industrie de manière forte et profonde grâce à son jeu devenu culte, Darksiders.

Une épopée que nous revivrons ensemble accompagné par les mots du fondateur du studio, Joe Madureira. Artiste aussi bien connu pour son parcours dans l'industrie vidéoludique que pour sa carrière dans les comics, notamment avec Battle Chasers.

La création du studio

L’aventure débute en 2005, à Austin au Texas. Joe Madureira et David Adams quittent la société NCSoft – entreprise derrière la licence Guilde Wars, Aion et City of Heroes – pour fonder leur propre studio de jeux vidéo, Vigil Games. Mais ils ne partent pas seul, Marvin Donald ainsi que Ryan Stefanelli se joignant à eux pour former le quatuor initial.

Les débuts sont timides. Ce n’est qu’en mars 2006 qu’une première annonce est faite au sujet du studio de développement. L’éditeur THQ se joint à Vigil Games pour fournir les ressources nécessaires aux équipes. Une collaboration permettant de faire naître un projet connu de tous, Darksiders. Mais tout n’est pas rose, surtout dans cette industrie.

Vous ne le savez peut-être pas, mais un autre jeu était prévu par le studio. Effectivement Joe Madureira et ses équipes travaillaient sur un MMORPG basé sur l’univers de Warhammer portant le nom de Warhammer 40.000: Dark Millenium. En 2008, THQ commence à distiller des informations ici et là. Le projet est tout d’abord nommé Ultima Segmentum et voici comment des médias comme jeuxvideo.com parlent du titre à ce moment là :

"Le gameplay inclura des mécanismes propres aux FPS. Les combats seront "massifs" et très probablement centrés sur l'affrontement des différentes factions. À ce sujet, toutes les races de l'univers de Warhammer 40000 devraient être représentées, en combinaison avec de nombreuses catégories de personnages (éclaireurs, troupes d'assaut, assassins...). Notre personnage commencera comme un simple troufion de seconde classe et montera progressivement en grade, avec possibilité de personnaliser son armure en y accrochant ses trophées et ses médailles."

Malgré tout, Brian Farrell – PDG de THQ à l’époque calme les ardeurs et précise que le jeu ne sortirait pas avant quelques années.

Par la suite, en 2009, THQ présente, comme tous les éditeurs, son planning et ses plans futurs aux investisseurs de l’entreprise. Généralement, ce rendez-vous fuite très rapidement au grand dam des entreprises. Dedans figure Darksiders, prévu pour 2010 (année qui sera respectée), Warhammer 40.000: Dark Millenium pour 2012 et même Darksiders II pour la même année (année qui, elle aussi, sera respectée).

En 2010, lors de l’évènement jeux vidéo de la Gamescom qui se déroule chaque année à Cologne, en Allemagne, Vigil Games et THQ y présentent enfin des images du jeu avec une première bande-annonce de leur titre Warhammer.



Warhammer 40,000: Dark Millennium Online Trailer - Gamescom

Warhammer 40,000: Dark Millennium Online Trailer - Gamescom


Par la suite, alors qu’initialement prévu pour 2012, une nouvelle date est dévoilée. Désormais, le jeu est annoncé pour le 13 mars 2013. Après ça, tout dégringole au fur et à mesure. En 2012 nous apprenons que Warhammer 40.000: Dark Millenium ne sera plus un jeu massivement multijoueur mais uniquement un titre de RPG jouable en solo. Les ambitions sont donc revues à la baisse. Un changement qui hélas impacte directement les salariés de Vigil Games puisqu’une surpression de postes est lancée. Au total, 79 employés sont remerciés.

Quelques mois plus tard, nous apprenons que c’en est fini pour Warhammer 40.000: Dark Millenium. Le projet est annulé froidement et sans vraiment d’explications supplémentaires. Malgré tout, nous pourrions croire au lancement chaotique, mais non ! Car en parallèle de ce jeu, il y a une autre licence qui naît chez Vigil Games. Cette licence connaît de son côté un accueil chaleureux auprès des joueurs et de la critique ainsi qu’un succès commercial. Une réussite permettant de donner vie à une licence à part entière, Darksiders.

L’apogée du studio

En 2008, la communication est lancée pour Darksiders. Des tonnes d’informations sont lâchées sur internet et des interviews de divers membres de Vigil Games commencent à arriver. Bien loin du silence assourdissant du projet Warhammer, Darksiders lui, maîtrise sa prise de parole. L’attente est suscitée auprès des joueurs et l’année suivante, en 2009, nous apprenons que le projet avance plus que bien étant donné qu’il passe en gold – ce qui signifie que le jeu est prêt à partir pour le pressage et qu’il s’agit de sa version finale – avec une sortie prévue pour le 5 janvier 2010. Une date de parution qui est respectée.

Côté français, Darksiders est accueilli avec une belle ferveur. Effectivement, il s’écoule 27 000 exemplaires du jeu en seulement deux semaines sur les deux plateformes, Playstation 3 et Xbox 360. Un score d’autant plus honorable quand on sait qu’il s’agit là d’une toute nouvelle licence et d’un studio indépendant n’ayant pas encore pu faire ses preuves. Le score Metacritic s’élève à 83, une note positive accompagnée de ventes remarquables avec plus de 1,2 million d’exemplaires rien qu’aux États-Unis et 3,4 millions en cumulant toutes les parties du globe. THQ déclare que le jeu fait désormais partie de ses titres prioritaires pour l’avenir.

À ce moment-là, les équipes de Vigil Games sont au sommet. Quelques mois auparavant THQ offrait aux développeurs de nouveaux bureaux de plus de 3000m2 permettant aux près de deux cents employés de s’y épanouir.

Tous les voyants sont au vert pour préparer la suite de la licence avec Darksiders II. Ce n'est cependant pas un secret car, comme nous vous expliquions un peu plus haut, sa sortie avait été divulguée lors d’un entretien avec les investisseurs de THQ. De ce fait, nous savions même avant la sortie du premier opus que le second était prévu deux années plus tard, pour 2012.

C’est donc le 21 août 2012 que le jeu débarque dans nos contrées et hélas, malgré un très bon accueil de la presse et d’un score de 84 sur metacritic, les ventes peinent à décoller et réjouir l’éditeur THQ. Une situation créant une grande fragilité et un avenir très incertain pour Vigil Games.

La fin du studio

247 000 exemplaires. C’est le résultat des ventes de Darksiders II lors de son premier mois de commercialisation. Une réception décevante pour THQ qui s’attendait à écouler deux millions d’exemplaires à ce même moment. Au total, le titre s’écoule à un million d’exemplaires.

Les analystes dirent au sujet de Darksiders II et de la situation dans laquelle se trouve l’éditeur THQ, la chose suivante :

"La performance de Darksiders 2, mais aussi l’histoire des retards et annulations de jeux, nous laisse sceptiques sur la possibilité de THQ de réussir son objectif de redressement à partir d’une ardoise de titres simplifiée."

THQ est désormais en faillite. La situation est actée en décembre 2012 et se trouve être le résultat d’un enchaînement de mauvais choix ainsi que d’une mauvaise gestion de l’entreprise. Entre les titres annulés et ceux repoussés éternellement, la situation est devenue ingérable. La société est donc contrainte de vendre aux plus offrants ses studios et ses licences.

Hélas, Vigil Games ne trouvera pas de repreneur parmi le lot de studios de développement mis en vente. Une situation dépeinte sans détour par un Lead Combat Designer du nom de Ben Cureton :

"Nos bureaux sont devenus une zone de guerre silencieuse : des murs nus, pas un bruit, des sièges vides."

Et il livrera sa réaction quant à la non-acquisition du studio par un nouveau repreneur :

"Vous ne pouvez pas imaginer le sentiment qu'on éprouve quand vous consultez la liste de ceux qui ont été repris et que vous ne trouvez pas votre nom sur la liste... on se demande pourquoi ? Avons-nous fait quelque-chose de mal ? Nous ne sommes pas assez bons ? Valons-nous réellement moins que rien ? Imaginez ce qu'on ressent."

Malgré tout, Atsushi Inaba, président de Platinum Games (Vanquish, Bayonetta) amène un peu d’espoir en déclarant sur les réseaux sociaux qu’il s’étonne alors que personne n'ait acquis la licence Darksiders avant de conclure qu’il adorerait l'acheter si son prix était raisonnable. Malgré tout, cela ne se fera jamais. Tout comme l'éventuelle reprise de Vigil Games par Ubisoft qui fait l'objet de rumeurs mais dont il semble que les échanges n’aient pas donné lieu à un accord.

David Adams, cofondateur de Vigil Games part chez Crytek USA pour y officier comme CEO et prend avec lui une poignée d’employés du studio. D’autres vont chez Retro Studios ou bien Battlecry Studios.

Quand David Adams créé son propre studio en 2014, Gunfire Games, il reprend de nouveau des anciens membres de Vigil Games tout comme le fait Joe Madureira avec sa nouvelle entreprise, Airship Syndicate.

Désormais, David et Joe s’épanouissent toujours dans le milieu du jeux vidéo avec leurs propres structures.

Gunfire Games doit sortir prochainement Remnant 2 et Airship Syndicate, Wayfinder. Ils ont pu se relever et partir vers de nouvelles aventures que nous leur souhaitons être glorieuses.

Pour ce qui est de la licence Darksiders, la saga a pu continuer les années suivantes avec un troisième épisode développé par les équipes de Gunfire Games et David Adams et Darksiders: Genesis par Airship Syndicate et Joe Madureira. L'histoire se termine donc d'une manière positive et les droits de cette série culte ont pu revenir aux créateurs initiaux ce qui n'est pas toujours le cas dans cette industrie, malheureusement.

Entretien avec Joe Madureira (Co-fondateur du studio et directeur créatif)

Pouvez-vous nous parler de la naissance de Vigil Games ?

Tout comme pour Airship Syndicate, Vigil Games a commencé avec seulement quatre personnes (les quatre cavaliers), dont Ryan Stefanelli, président et cofondateur d’Airship Syndicate. À l'époque, nous travaillions chez NCSoft sur divers projets et, pour de nombreuses raisons, nous avons décidé de nous mettre à notre compte. Nous avons travaillé au marteau sur un petit prototype de ce qui allait devenir Darksiders pendant 8 à 10 mois, je pense, sur notre propre argent. Nous avons présenté ce jeu très grossier à un groupe d'éditeurs à l'E3 (sur un moniteur endommagé que nous transportions...), mais il a suscité un certain intérêt. THQ a été le premier à se jeter dessus, en proposant de publier Darksiders, puis en nous acquérant. Le reste appartient à l'histoire !

D’où vient le nom du studio ?

C'est tellement pénible de trouver des noms. Tout le monde doit l'aimer, il doit être disponible pour les marques, les sites Web, etc. Après avoir généré un millier de noms que nous avons tous détestés, Vigilant est resté, mais quelqu'un qui possédait le site web voulait en tirer une fortune, alors nous l'avons raccourci en Vigil Games. C'est une histoire vraie.

Quelle était l'ambition du studio ?

Je ne pense pas que nous avions de grandes ambitions à l'époque, si ce n'est de créer le jeu d'action-aventure en 3D le plus génial qui soit, et sur console. Jusque-là, nous n'avions travaillé que sur des jeux PC et, dans notre cœur, nous voulions faire des jeux comme Zelda Ocarina of Time ou Windwaker. Je pense que tant que nous pouvions travailler sur les types de jeux que nous aimions, nous étions heureux.

Quelles ont été vos inspirations pour la création de l'univers Darksiders ?

Une fois que nous nous sommes mis d'accord sur l'idée d'un jeu d'action/aventure plus mature dans le style d’un Zelda, nous avons joué avec plusieurs idées de thèmes et de décors, mais celle qui est restée est celle d'une Terre post-apocalyptique, avec les quatre cavaliers. Nous voulions en quelque sorte la sauvagerie et l'épopée de jeux comme God of War avec l'exploration et le rythme de Zelda. Bien sûr, un million d'autres choses sont entrées en ligne de compte et l'histoire a évolué au fil du temps pour se concentrer sur un seul cavalier, War.

Comment avez-vous vécu la fin de l'aventure Vigil Games ?

C'était une période difficile. À un moment donné, vers la fin, il était clair que notre éditeur (le THQ original) avait des problèmes et qu'il ne voulait pas continuer à faire des jeux Darksiders. J'avais un contrat en cours avec Marvel, alors je suis parti pour retourner un peu aux comics au moment où tout s'effondrait. Tous mes amis et même ma famille travaillaient là-bas à l'époque, alors c'était dur. Heureusement, nous avions une équipe si talentueuse qu'elle a été happée presque immédiatement.

Avez-vous une anecdote vécue au cours de votre aventure Vigil Games à nous raconter ?

Avec le recul, je pense que ce qui ressort, c'est à quel point nous étions intrépides. Nous ne connaissions pas les règles, ni les enjeux, nous voulions juste faire ce foutu jeu (Darksiders) à tout prix. Nous n'avions aucune expérience des consoles ou de l'action, mais nous ne nous en sommes pas inquiétés une seconde. De nombreux éditeurs nous ont reproché la petite taille de notre équipe, notre manque d'expérience, etc. et nous avons continué. Nous pensions que si le prototype était amusant, quelqu'un en voudrait. C'est drôle de voir avec le recul à quel point nous étions désemparés, mais en même temps, je pense que c'est pour cela que nous avons réussi. Comme quoi, quand on veut, on peut.

Comment avez-vous découvert les jeux vidéo et quel est votre jeu préféré ?

Quand j'avais 5 ans, j'ai reçu un Atari 2600 pour Noël et c'était fini pour moi. J'ai toujours été un joueur passionné depuis. C'est trop difficile de choisir un favori, mais un jeu auquel je pense tout le temps et qui a été déterminant pour moi est Out Of This World (Another World en Europe). Il était tellement en avance sur son temps que j'en parle constamment. J'adore tous les RPG, les jeux d'aventure et les MMO !

Aujourd'hui vous avez fondé un nouveau studio, Airship Syndicate, comment est née cette nouvelle aventure ?

Lorsque nous étions encore chez Vigil Games, Ryan Stefanelli (maintenant président d’Airship Syndicate) et moi parlions toujours de faire quelque chose ensemble un jour. Je dessinais à nouveau des bandes dessinées et Ryan est allé chez Crytek USA avec d'autres membres de Vigil Games. Quand les choses ont commencé à se gâter là-bas, nous avons convenu que c'était probablement le bon moment. Mon frère Steve Madureira, qui était à Vigil Games et Crytek, est également venu, ainsi que Chris Brooks. Après cela, nous avons cherché à savoir ce que nous allions faire jusqu'à ce que nous nous décidions pour Battle Chasers: Nightwar. Nous avons fait appel à des personnes qui étaient prêtes à nous donner une chance, jusqu'à ce que nous ayons développé un joli petit prototype que nous avons présenté sur Kickstarter. Le jeu était si bon que nous avons attiré l'attention de Riot Games, qui nous a demandé de créer un RPG pour League of Legends (Ruined King), alors que nous travaillions déjà sur un jeu multijoueur pour console, Darksiders Genesis ! En fait, nous avons travaillé sur les deux jeux en même temps pendant un certain temps, ce qui était fou. Une fois que nous en avons eu fini avec Ruined King, nous avons fusionné les deux équipes en un seul projet : Wayfinder !

Quelques mots sur le projet Battle Chasers: Nightwar ?

Lorsque nous avons créé Airship Syndicate, nous savions que nous allions faire quelque chose avec une petite équipe. Nous avons opté pour un RPG au tour par tour. Au début, nous avons envisagé de créer un tout nouvel univers de RPG, mais il était si parfait pour Battle Chasers que nous n'avons pas pu résister. Cela nous a aidés sur Kickstarter car il s'agissait d'une propriété intellectuelle connue (aussi vieille soit-elle) que je possédais, et nous savions qu'il y aurait des gens immédiatement enthousiastes pour cela.

Comment avez-vous trouvé les fonds nécessaires pour monter un tel projet à l'époque en tant qu’indépendant ?

Comme je l'ai dit, après l'avoir financé nous-mêmes pendant un certain temps, en travaillant sans être payés, nous l'avons présenté sur Kickstarter une fois que nous avons eu un petit prototype. Nous avons récolté pas mal d'argent, mais pas assez pour terminer le jeu. C'est à ce moment-là que nous l'avons proposé à des éditeurs, et THQ/Nordic a sauté dessus !

Wayfinder était l'une des surprises des Game Awards, pouvez-vous nous parler de ce nouveau projet d'action-RPG ?

Nous sommes de grands fans de RPG et du genre MMO. Des jeux comme Everquest, World of Warcraft et Destiny sont des jeux dans lesquels nous avons tous passé trop d'heures avec nos amis et nos familles. Nous avons toujours voulu créer un monde unique où l'on peut s'aventurer avec d'autres, combattre des monstres impressionnants, ou simplement se détendre dans une maison que l'on a décorée, ou encore participer à un concours de danse avec des amis dans Skylight. C'est quelque chose que nous n'aurions pas tenté sans le bon partenaire, et nous l'avons trouvé en Digital Extremes, qui a l'expérience de la création de jeux de ce type avec une communauté.

C'est aussi le résultat d'une collaboration entre Airship Syndicate et Digital Extremes, comment cette collaboration a pris vie ?

C'est une toute petite industrie ! Lorsque nous avons commencé à présenter Wayfinder à différents partenaires, il s'est avéré que l'une des personnes avec qui nous avions travaillé chez THQ pour Darksiders 1+2 dirigeait désormais les projets externes chez Digital Extremes. Il était très intéressé par une nouvelle collaboration avec nous. Nous l'avons rencontré, ainsi que des membres de l'équipe dirigeante de Digital Extremes, et ils sont immédiatement tombés amoureux du jeu, ont cru en ce que nous essayions de faire, et voilà !

Nous remercions chaleureusement les intervenants de notre série qui font de Rest In Play une chronique si particulière. Merci à eux pour leurs réponses et leur temps offert. Retracer l’histoire de leurs studios ne serait pas aussi enrichissant sans eux.

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