Cette semaine, nouvel épisode sur un studio français. Une société derrière de nombreux jeux à licences mais aussi quelques jeux cultes. Retraçons ensemble l'aventure fabuleuse de ces six lyonnais ambitieux. Il s'agit d'Étranges Libellules, studio derrière des jeux vidéo comme les Astérix et Obélix XXL 1 & 2.

Comme chaque épisode de Rest In Play, vous y retrouverez des entretiens exclusifs avec les fondateurs et, en bonus, un échange passionnant avec un ancien employé de l'entreprise.

La création du studio

Le studio est fondé en 1994 à Lyon par Frédérique et Jean-Christophe Blanc, Sylvie et Pascal Silvy, Jean-Marie et Frédérique Nazaret.

Tous proviennent d’Infogrames et d’un projet commun en son sein, Alone In The Dark II. Ils décident après cette aventure conjointe de créer leur propre studio. Étranges Libellules est né.

Aux prémices de l’aventure, Étranges Libellules ne développe pas pour lui seul ses jeux vidéo. En effet, ils débutent en s’occupant uniquement de la création graphique pour Infogrames en apportant leur contribution sur Alone In The Dark III et Le Secret des Templiers. Ce n’est que quelques années plus tard, en 1997, qu’ils débutent le développement complet de leurs titres comme : Gunul et Cléo, Kirikou ou bien Pink Panther: Pinkadelic Pursuit.

L’apogée du studio 

La direction d’Étranges Libellules s’étoffe avec l’arrivée d’Édith Protière (femme de Jean-Marie Nazaret) en 2003. Elle dirigera la société conjointement avec son mari.

C’est aussi en 2003 que paraît le jeu qui va propulser Étranges Libellules à un autre niveau. Il s’agit ni plus ni moins d’un titre tiré de la plus célèbre bande-dessinée franco-belge, Astérix et Obélix. 

Ils adapteront cet univers sous la forme d’un jeu d’action-aventure bien rythmé. Baptisé Asterix et Obélix XXL, ce premier opus rencontrera un beau succès. Le studio français travaillera rapidement sur une suite, Astérix et Obélix XXL 2 : Mission Las Vegum paru en 2005 puis sur Astérix aux Jeux Olympiques en 2007.

En 2008, l'entreprise travaillera sur la saga Spyro avec l'épisode La Légende de Spyro : Naissance d'un Dragon. Un titre salué par la critique et les joueurs.

Étranges Libellules est, au cours de sa vie, derrière le développement de nombreux jeux vidéo à licences. Aussi bien approché par les équipes de Luc Besson pour l’adaptation du film Arthur et Les Minimoys que par celles de Tim Burton pour Alice au pays des merveilles. Notre studio français rayonne désormais à l’international avec une équipe de plus d’une centaine d’employés. 

La fin du studio 

Seulement voilà. L’année 2012 sonne le glas pour Étranges Libellules et ses employés. Jean-Marie Nazaret, PDG de l’entreprise, n’a plus la force ni les moyens de lutter. Un prototype pour Kinect, accessoire de Microsoft pour sa Xbox, demeurera le dernier projet tenté, avant d’être avorté.

Après un redressement judiciaire ayant duré quelques mois, la société est finalement placée en liquidation judiciaire. L’entreprise n’a pas réussie à tenir à cause d’une réduction d’effectifs trop importante et son absence de nouveaux contrats de jeux vidéo à développer.

"Après le dépôt de bilan, Jean-Marie Nazaret, le gérant d’Étranges Libellules avait bien tenté de signer de nouveaux contrats, et d’essayer de survivre avec des effectifs réduits, divisés par trois ou quatre ces deux dernières années, mais en vain. Le studio Etranges Libellules ne regroupait plus qu’une vingtaine de salariés." d'après lyon-entreprises.com

Certains professionnels du milieu déclareront ceci : "Le problème d’Étranges Libellules était paradoxalement dû à ce qui avait, dans le passé, fait son succès. Sa technologie très forte, très importante était calibrée pour de gros jeux. Elle était très chère et difficile à vendre en cette période de crise."

Entretien avec Frédérique Blanc, Jean-Christophe Blanc et Frédérique Nazaret (Fondateurs)

Comment est né Étranges Libellules ?

Frédérique Nazaret : En 1993, Frédérique Blanc, Sylvie Silvy, Jean-Christophe Blanc, Jean-Marie Nazaret, et moi même, travaillions à Infogrames sur le jeux Alone in the dark II.

Suite à ce jeu qui nous a réunis, nous avons décidés de monter un studio d'infographie. En montant une équipe nous étions plus à même de décrocher du travail. Pascal, le mari de Sylvie qui était comptable, s'est joint à nous et s'est occupé de toute la partie administrative. Et Étranges Libellules est né en 1994.

Frédérique Blanc : En fait, toutes les personnes ayant fondé Étranges Libellules ont travaillés en tant qu’indépendants chez Infogrames pour Alone In The Dark II. Et c’est à l’issue du développement de ce second opus que nous nous sommes dit que nous serions plus forts si nous nous regroupions sous la forme d’une structure plutôt qu’en restant indépendant chacun de notre côté. Et c’est de là que nous avons décidés de monter Étranges Libellules. 

Jean-Christophe Blanc : On était un groupe d’anciens étudiants de l’école Emile Cohl. On travaillait chez Infogrames sur Alone In The Dark II. À la fin, pour nous faire payer, nous avons créé une association de loi 1901 qui nous permettait de facturer. Nous n’avions pas un statut d’indépendant, on sortait de l’école. Infogrames voulait qu’on continue avec le projet de Alone In The Dark III. Avec les cinq autres fondateurs nous avons décidé de créer une société pour pouvoir continuer à travailler et nous avons choisis le statut de SARL. C’est de là qu’est né Étranges Libellules.

D’où vient ce nom ? 

Frédérique Nazaret : Le choix du nom a été extrêmement long. Nous arrivions à chaque réunion avec chacun nos listes de noms. Nous avons essayé de combiner des mots qui évoquaient notre domaine. Vu que nous étions six c'était difficile de plaire à tout le monde !

Un jour, Jean-Marie avait noté dans sa liste "Étranges Libellules" Cela n'évoquait absolument pas notre activité mais ce nom a plu à l'unanimité. Il est tiré de la chanson Volutes d'Alain Bashung.

Frédérique Blanc : Ça vient d’une chanson de Bashung. On était plusieurs à être fans de cet artiste et dans l’une de ses chansons il parle d’étranges libellules. Mais faut savoir qu’on a cherché pendant longtemps, on a tous fait énormément de propositions de noms. On était tous très enthousiastes avec tous des envies très différentes et Étranges Libellules ça a eu l’approbation de tout le monde, donc nous avons voté pour ce nom.

Jean-Christophe Blanc : Lors d’un brainstorming. On essayait de mettre en place la société, ce qu’on allait faire. On cherchait le nom et à un moment donné c’est Jean-Marie Nazaret qui a dit ça. C’est issu d’une chanson de Bashung. Nous avons de suite aimé l’idée. Il faut savoir qu’en France ce nom était aimé pour son originalité. Par contre, à l’étranger c’était plus compliqué car il était difficile de le prononcer.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans le jeu vidéo ?

Frédérique Nazaret : Au départ ce n'est pas le jeu vidéo qui m'a attiré, mais l'outil informatique. En 2e année à l'école nous avions un mini stage d'informatique d'une semaine avec Emmanuel Perrier qui était à l'époque le professeur d’informatique. Nous avons appris à dessiner et peindre sur ce nouveau support. Ça a été le coup de foudre pour moi, l'ordinateur était un outil incroyable ! À l'époque mon père travaillait chez IBM et nous avions à la maison un des premiers PC. Mais il n'y avait pas de couleur, juste du texte vert sur fond noir ! Alors quand j'ai vu à l'école qu'on pouvait dessiner et même animer sur Amiga, j'ai su tout de suite que c'était ce que je voulais faire. J'ai ensuite décroché un stage chez Infogrames (stage de 3eme année), suivi d'un autre de deux mois toujours à Infogrames pendant l'été 1992. C'est a ce moment là que j'ai découvert la 3D et travaillé sur le jeu Alone In The Dark. Cela me plaisait énormément. Créer des personnages en 3D et leur donner "vie" m'a littéralement passionnée. Par la suite, toute l'équipe du jeu ayant quitté Infogrames, j'ai été contacté pour Alone In The Dark II.

Frédérique Blanc : Ce qu’il faut savoir c’est que sur les six fondateurs d’Étranges Libellules nous sommes cinq à venir de l’école Emile Cohl à Lyon et à avoir fait la spécialisation "multimédia". On a tous appris à bosser sur ordinateur grâce à l’Amiga du fabricant Commodore. Nous avions des logiciels comme Deluxe Paint et Digi-paint pour travailler. Et moi à la base, je ne me destinais pas du tout aux jeux vidéo. À cette époque là, je ne savais pas trop ce que j’avais envie de faire, à vrai-dire… Mais mes ambitions se portaient plus vers l’illustration pour enfants. Je suis partie vivre une année aux États-Unis pour travailler pour Disney. À mon retour, c’est la femme de Frédérick Raynal (créateur de la licence Alone In The Dark) qui m’a contactée pour me proposer de travailler pour Infogrames en me disant qu’elle me recommanderait. Suite à ça j’ai été approchée par le directeur artistique, Patrick Charpenet, qui était sur Alone In The Dark II. Il m’a proposé un entretien et c’est ainsi que j’ai commencé à travailler dans le jeu vidéo. 

Jean-Christophe Blanc : C’était un monde que je ne connaissais pas trop. Quand je suis sorti de l’école je faisais plus de la musique, de la vidéo, de la photo, du dessin. J’aimais bien mélanger un peu tous les médias. J’avais l’ambition de faire du clip vidéo. Celui qui m’a beaucoup marqué est celui de Michael Jackson avec le titre Thriller. Quand j’étais à Emile Cohl c’était l’époque de Bouge de là de MC Solaar. Mais c’était aussi le temps du groupe de Michel Gondry qui est un super réalisateur. Le groupe s’appelait Oui-Oui. Tous les clips étaient faits par ce dernier avec de la stop-motion. Cela m’a beaucoup influencé dans mon projet d’étude à l’école Emile Cohl. Le jeu vidéo, j’y suis arrivé par hasard. Quand j’ai terminé mon service civil et pas militaire car j’étais objecteur de conscience, j’ai passé un test où j’ai pu découvrir que l’on pouvait créer des décors pour les jeux vidéo.

Vous êtes derrière des jeux qui ont marqué les joueurs. Je pense notamment aux deux premiers Astérix et Obélix XXL qui encore aujourd’hui sortent sur les nouvelles consoles. Comment s’est mis en place le projet ? 

Frédérique Blanc : Alors les jeux Astérix et Obélix XXL et Astérix et Obélix aux Jeux Olympiques c’est arrivé car nous avions fait de la sous-traitance pour Infogrames qui s’était plutôt bien passé. Il y a eu un appel à projet sur Astérix et Obélix XXL et c’est nous qui avons remporté ce fameux appel. Infogrames était donc l’éditeur car c’est lui qui détenait la licence. Donc tous les jeux vidéo Astérix et Obélix ont été faits avec eux.

Jean-Christophe Blanc : Notre client principal était Infogrames. Au départ nous n’étions qu’un prestataire graphique. Nous nous sommes diversifiés par la suite, en souhaitant devenir des développeurs. Au début, personne ne nous a fait confiance, ce qui est normal car nous ne sommes pas programmeurs donc nous avons embauché. Nous avons quand même bien galéré. Un jour une boîte nous a fait confiance, Wanadoo Edition. L’entreprise nous a confié la réalisation du jeu Kirikou. Ça a été notre premier jeu en développement. Nous avons conçu le jeu, les graphismes, le game design et nous l’avons programmé. Ça a bien marché. Wanadoo Edition nous a refait confiance en nous donnant La Panthère Rose, même moteur, même principe. Et à partir de là, ça nous a ouvert les portes du développement. 

On est allés taquiner Infogrames en leur montrant que nous avions fait nos preuves dans le développement. Ils nous ont demandé ce que nous avions à proposer pour la licence Astérix et Obélix. Nous avons fait un prototype et une proposition, on a été mis en concurrence au sein même du studio Infogrames. La présentation que l’on a fait leur a semblé intéressante. On a décroché le contrat. Astérix et Obélix a était notre premier projet de grande envergure. On passe sur PS2, des contraintes plus fortes que pour la PS1. Le jeu est totalement en 3D. On ne savait pas si on allait y arriver, mais nous avons réussi à le sortir et il a eu du succès. En tous cas assez pour que l’on nous propose de faire la suite.

Vous avez pu travailler sur le Alice au pays des merveilles de Tim Burton, comment s’est passer le projet et à quel point Tim Burton était impliqué dans le projet ? Aviez vous pu le rencontrer ? 

Frédérique Blanc : Alors justement, pas moi. Moi je travaillais sur le jeu Dragons. Nous étions plus de cent dans les locaux, nous avions donc plus d’un projet en même temps. J’ai uniquement suivi le projet de loin. Je sais juste que Tim Burton n’était pas impliqué dans le projet, il ne s’est pas déplacé voir le projet etc. Nous avions accès à toutes les infos, toutes les données uniquement via l’équipe de production.

Cédric Lavanche nous racontera que Tim Burton refusait de transmettre ses concepts du film. C’est donc Jean-Marie Nazaret qui, en début de production, prenait des photos en cachette pour le jeu. Nous avons fini par avoir des designs à la toute fin, c’était trop tard pour tout changer. Ce qui a fait qu’on a eu des incohérences comme par exemple avec les pattes du lapin et du lièvre qui, au final, ne correspondaient pas totalement au film.

Jean-Christophe Blanc : Je n’ai pas vécu la chose car je suis parti avant. On a monté la boîte nous étions six et, quelques années plus tard, il y a eu des tensions et les trois filles se sont retirées. Il faut savoir qu’il avait beaucoup de stress. Être indépendant c’est aussi penser aux employés qu'on rémunère à la fin du mois. Alors dès qu’on s’apprêtait à finir un jeu, il n’y avait pas de répit, nous pensions déjà au prochain. Le jeu vidéo a connu sa période en dents de scie, des hauts, des bas. Les filles ont donc lâchées. Nous avons du répartir les parts. Tous les soucis ont fait que nous sommes passés de six à trois associés. Puis, au moment d’Arthur et les Minimoys, Jean-Marie Nazaret a eu les dents longues et avec Frédérique Blanc on en a eu marre. Nous avons donc décidé de partir de la société. J’ai revendu mes parts à Jean-Marie et je suis parti après la mise en place de Spyro.

C’était aussi le cas pour Arthur et les Minimoys, Luc Besson vous a choisi pour être les développeurs officiels du jeux vidéo du film. Était-il impliqué dans le jeu ? Venait-il suivre son évolution ?

Frédérique Blanc : Alors oui, là, j’étais sur le projet directement. Et pour le coup Arthur et les Minimoys c’était un projet un peu différent car nous avions dépêché une équipe à Pantin, en région parisienne, directement dans les locaux de production de Luc Besson. Et donc nous avions une équipe là-bas pendant plusieurs mois avec un accès aux maquettes du film, aux storyboards, nous avions pu prendre des photos, par exemple. Puis les personnes qui étaient sur la direction artistique du film étaient des anciens de notre école, Émile Cohl. Tout ça fait que nous pouvions être au plus proche du film sur la partie 3D et sur les animations.

Jean-Marie Nazaret a eu une réunion avec Luc Besson et ses équipes au tout début du projet mais c’était plus pour nous renifler et voir à qui il avait à faire, haha. Après, suite à ça, il ne s’en occupait plus du tout. Il avait délégué ça à sa société de production.

Jean-Christophe Blanc : On a eu un appel d’appel d’offre. On a été mis en concurrence direct avec Eden Games, qui appartenait à Infogrames. Le studio était sûr qu'on était là juste "pour la forme". Ils sont arrivés les mains dans les poches le jour de la présentation. Luc Besson est hyper secret et ne veut jamais rien montrer car il se fait toujours descendre par la presse. Sans aucune communication il est vrai que c’était un peu compliqué. Faire un jeu sur un film qui n’était pas sorti. Il nous a briefés, montré quelques illustrations que j’ai essayé de photographier dans ma tête. J’ai dessiné quelques croquis et ont nous a demandé de faire un prototype. On est revenu un mois plus tard, nous avions tout donné (prototype, belle démo) et Eden Games était arrivé qu’avec des documents papiers, des illustrations et un petit bout de jeu. Luc Besson, qui ne connaissait rien aux jeux vidéo, a de suite flashé. De là nous avons obtenu le projet. Du coup nous avions accès à quelques rushs du film ainsi que toute la direction artistique. Du moment où nous avons travaillé avec Luc Besson, tout était protégé. Pas d’internet, interdiction d’envoyer des mails la journée. Notre réseau était verrouillé. Rien ne pouvait sortir. Il n’y avait que moi, le directeur artistique qui avait la D.A. du jeu sur disque dur à reconnaissance digitale. Je ne pouvais même pas passer les images aux graphistes car aucun passage possible par réseau. Je montrais donc tout ça depuis mon poste de travail.

Pour l’anecdote : un jour on voit des avocats qui débarquent, trois ou quatre, et ils nous disent levez les mains en l’air. Il y avait eu des fuites d’images et du coup Luc Besson avait lancer son armada d’avocats et nous avons était suspectés de fuite d’images. Ils ont tout vérifié, la sécurité, si elle avait été respectée. Après d’innombrables recherches, il s’est avéré que ce n’était pas nous mais une boîte de communication qui s’occupait du projet qui a fauté. Ils se sont pris un procès dès que ça c’est su. J’imagine que ça devait être pareil pour Jean-Marie Nazaret lors du jeu Alice au Pays des Merveilles. Luc Besson n’est jamais venu suivre l’évolution du jeu. Il se trouve qu’il nous avait demandé de venir travailler dans ses locaux à Paris. Il louait des locaux pour le film où il faisait construire des maquettes. Tous les décors étaient des maquettes. Tous les personnages étaient en 3D mais d’après les shoots vidéos. C’était pas de la motion capture. Il ferait venir des acteurs, ils jouaient les mouvements et il y avait huit caméras qui se posaient autour d’eux en 360 degrés. Tous leurs mouvements étaient filmés. Et ensuite d’après ces mouvements les artistes 3D reproduisaient en animation 3D les mouvements. Ils nous avaient donc demandé de venir travailler là-bas où il y avait mon copain de ma promo a Émile Cohl qui était directeur artistique du film et deux autres gars de ma promo. Ça nous a permis d’être plus proches de la direction artistique du film. Là on pouvait voir Luc Besson passer dans les locaux pour voir la progression du film, mais aussi de voir ce que l’on ferait. Vu qu’il ne comprenait rien au jeu vidéo, il nous a fait entièrement confiance. Ce qui nous a permis de changer quelques petites choses, comme par exemple le fait que nous ayons eu besoin d’ennemis volants qu’il n’y a pas dans le film. 

Quel projet vous a le plus marqué ?

Frédérique Blanc : J’ai énormément aimé travailler sur Dragons. Car moi mon métier à évolué avec mon historique dans les jeux sur lesquels j’ai travaillé. Puisque en tant que fondatrice d’Étranges Libellules au départ, on était tous des infographistes, nous avions tous les mêmes compétences et la même expérience. Nous nous sommes formés petit à petit. Par exemple, nous ne savions pas faire de la 3D au début. Nous nous formions vraiment tout seul en plus de ça. Au fur et à mesure de notre expérience, nous avons pu encadrer des équipes. Et donc, sur Dragons, j’ai eu un poste d’encadrement de l’équipe sur tout ce qui était graphique. J’avais une vision globale du projet et ça c’était super intéressant. En plus avec les studios DreamWorks ça s’est super bien passé. Ils se sont déplacés, c’était chouette de les rencontrer, de rencontrer un autre domaine. 

Jean-Christophe Blanc : Le projet où j’ai fait la direction artistique complète : The Devil Inside. C’est un jeu pas très connu par le créateur Hubert Chardeau, game designer de Alone In The Dark I,II et III. Ce qui m’a marqué, c’est que j’ai tout réalisé. Le moindre croquis de la moindre salle. Il y a quelqu’un qui m’aidait et qui faisait les personnages et j’avais quelqu’un pour les décors. Mais j’avais tout designé, ce qui pour moi a était une grosse expérience. C’est la même époque où on a débuté le développement sur Kirikou. C’est pour cela que je n’étais pas trop sur ce projet là.

Si vous deviez citer une anecdote qui reste gravée en vous pendant l’aventure Étranges Libellules, laquelle ça serait ? 

Frédérique Blanc : Justement, j’en ai une sur le développement de Dragons. Faut savoir que lorsqu’on a commencé à faire le jeu, ils avaient déjà produit une grande partie du film. Ils ont fait une projection test et en fait, ils se sont rendus compte que les enfants comprenaient rien, que ça marchait pas, qu’ils n’adhéraient pas à l’histoire. Et nous, nous avions déjà commencé à travailler sur le jeu. On apprend qu’ils ont tout arrêté, qu’ils ont pondu un nouveau script, un nouveau storyboard et qu’ils ont redémarré la production. Tout ça avec une nouvelle histoire remodelée. Heureusement avec les mêmes personnes, donc pour nous, ce n’était pas un problème. Mais l’histoire avait changé. Comme nous étions en phase de production de tous les assets et que les environnements n’ont pas changés et les personnages non plus, ce n’était pas trop grave. Nous n’avions pas perdu de temps.

Il y a aussi une superbe anecdote sur Astérix et Obélix XXL 2. Moi, à ce moment là je m’occupais de l’outsourcing*. Donc je travaillais avec des équipes qui étaient en Russie, Ukraine, Inde et en Chine. C’était assez motivant de travailler avec les indiens avec qui on avait une vraie connexion artistique et une vision graphique commune. Par contre, c’était très compliqué en revanche avec les pays de l’est. Car nous demandions des choses très luxuriantes, c’était quelque chose de basé sur Las Vegas. Mais ce qu’ils produisaient était très froid, la vision des magasins qu’ils nous transmettaient c’était juste une boutique vide avec deux statuettes à acheter, c’était terne. Par contre de leur côté, les indiens s’occupaient d’un style proche de l’Italie, de Venise, et pour le coup, c’était chatoyant. Nous avions réellement la même vision graphique. C’était vraiment une collaboration marquante pour moi. 

*Outsourcing : externaliser une partie de la production vers d’autres équipes.

Jean-Christophe Blanc : À une époque, on travaillait sur Arx Fatalis le premier jeu d’Arkane Studios. Il nous avait démarchés pour savoir si on pouvait produire des décors sur le jeu. On avait décroché le contrat et on a fait au moins 75% des décors qui sont dans le jeu. On réalisait encore les décors par niveau de ce temps là. J’avais une équipe qui travaillait là dessus et, j’avais un gars qui avait un décor en charge. On avait un mois pour tout faire. Il arrivait en fin de contrat, je lui demande si il avait tout terminé et il me dit que oui. Et là il s’en va. La semaine où on doit rendre les décors, je vais vérifier les sauvegardes sur l’ordinateur, et là, je me rends compte qu’il avait été formaté par le directeur financier d’Étranges Libellules. Il y avait un mois de travail dessus. J’étais mal car Arkane Studios était vraiment carré. Il a fallu que je leur annonce la nouvelle. J’ai demandé un petit délai, on s’est engagé à tout refaire en 1 semaine. On a réussi à tout rendre à temps, non sans mal.

La société s’est éteinte en 2012 pouvez-vous nous parler des raisons ayant mené à tout cela ? 

Frédérique Blanc : Déjà, il y avait la conjoncture. À ce moment là, il y avait pleins de studios qui fermaient leurs portes. Je crois qu’il y a eu des gros changements au sein de l’industrie. Pas forcément au niveau des modes de productions mais des projets qui étaient faits dans les jeux vidéo. En plus de ça, nous avons eu pas mal de projets qui ont été annulés sur la dernière année. Pas mal de choses avec Disney qui n’ont pas pu aboutir finalement car ils ont remanié leur catalogue. Nous avons donc écopé de tout ça. Je pense aussi que Jean-Marie Nazaret était fatigué de tout ça. Il voulait passer à autre chose, il a donc à un moment, arrêté de se battre. Du moins, c’est comme ça que j’ai perçu les choses. Je ne sais pas lui, de son côté, comment il l’a ressenti. Mais à Étranges Libellules nous avions déjà eu des périodes compliquées, des temps où nous avions dû avoir recours à des licenciements. Mais je pense qu’au bout de vingt ans, il a décidé d’arrêter de lutter. Il n’avait plus l’énergie pour restructurer, pour s’adapter à la nouvelle façon de produire. Je garde de lui le souvenir d’une bête de travail par contre. Il n’arrêtait jamais, il avait une idée à la minute.

Jean-Christophe Blanc : Les projets qui n’ont pas aboutis, il y avait à peu près soixante personnes à payer. Dure période pour le jeu vidéo. Pas mal de sociétés ont coulées durant cette période.

Comment avez-vous vécu humainement la fin d’une telle aventure ?

Frédérique Blanc : Mal, très mal. Ça a été un gros choc pour moi, car c’est quelque chose qu’on avait monté. Je suis resté jusqu’au bout de l’aventure contrairement à d’autres membres fondateurs qui sont partis entre temps. Le plus difficile pour moi a été de perdre les équipes. J’avais vraiment un relationnel fort avec eux, que ça soit les développeurs, les graphistes etc. Et je ne me sentais pas en capacité de recréer ce lien là dans une nouvelle boite de jeux vidéo car c’était vraiment trop triste que cela s’arrête.

Jean-Christophe Blanc : Déjà moi à l’époque j’étais très triste de partir, les équipes étaient géniales. Des personnes avec qui je suis devenu ami là-bas. J’avais toujours indirectement un pied dedans puisque Frédérique Blanc y était. Après c’était un choix personnel, je voulais arrêter le jeu vidéo et me consacrer aux illustrations. Sauf qu’après trois jours de chômage, j’ai été contacté pour un poste de directeur artistique chez Eden Games. Je remplaçais le directeur artistique du Alone In The Dark de 2008. C’était un peu un retour au source. J’ai commencé avec ce jeu, je reviens vers lui. Je suis resté quelques années là bas. Ensuite la boîte a été fermée en même temps qu’Étranges Libellules.

Que devenez-vous aujourd’hui ?

Frédérique Nazaret : Après avoir travaillé de nombreuses années avec Christophe (le frère de Jean-Marie Nazaret) sur des jeux vidéos mobiles, aujourd'hui je travaille dans un autre domaine.

Je suis aquarelliste et je vends mes aquarelles sur le marché artisanal. Je fais des prestations en parallèle en tant que designer dans une entreprise qui crée des objets déco/souvenirs.

Frédérique Blanc : Aujourd’hui, je suis dans la transmission de compétences. Depuis 2015 j’enseigne à l’école Emile Cohl. J’y enseigne la 3D, l’éclairage etc… C’est comme ça que j’ai basculé dans le milieu du professorat. Et depuis 2019, je suis responsable pédagogique au sein de cette école. 

Jean-Christophe Blanc : Je suis directeur artistique chez Ivory Tower, boîte appartenant à Ubisoft. Spécialisée dans les jeux avec conduite de véhicules. Elle a, en ce moment, la licence The Crew. Personnellement, j’ai travaillé sur le second et maintenant on travaille sur un nouveau projet.

Comment avez-vous découvert le jeu vidéo ? 

Frédérique Blanc : J’ai découvert le jeu vidéo au moment de travailler chez Infogrames, sur Alone In The Dark II. Avant ça je ne m’intéressais pas du tout aux jeux vidéo. Et ce qui va peut-être vous paraître dingue c’est que moi, je ne joue pas. Je jouais uniquement à Étranges Libellules car nous devions tester nos jeux. Tester d’autres jeux pour voir un peu ce qui se faisait. Mais pour moi, c’était du boulot. Quand je jouais par exemple à Uncharted, c’était sur mes heures de travail, j’assimilais ça à du travail pas à du plaisir. Le seul jeu auquel j’ai joué et pris du plaisir c’était La Famille Cosmic. C’était une fusée avec une famille dedans et il y avait pleins de petites animations d’ambiance, de partout. Pleins de mini-jeux. Je trouvais ça vraiment chouette. Par contre, construire des éléments de jeux, ça, j’y prenais réellement plaisir. 

Jean-Christophe Blanc : Le premier jeu auquel j’ai joué est Pong sur ma télé. Console créée par SEB qui fabriquait aussi des cocottes minute. Après j’ai connu les jeux dans les salles d’arcades : Pac-man, Space Invader, Doom Patrol. Le jeu qui m’a vraiment bluffé, il est désigné par Don bluth c’est Dragon’s Lair, un dessin animé interactif. C’était un die and retry. Pour l’époque c’était un jeu aux graphismes super développés. 

Si vous pouviez adresser quelques mots aux joueurs que vous avez marqués par vos créations lesquels ce serait ? 

Frédérique Blanc : J’ai pris énormément de plaisir à travailler sur les projets qu’on a fait à Étranges Libellules et si, vous, vous avez pris du plaisir à jouer et bien c’est un juste retour des choses. Le but c’est pas de faire pour soi, mais pour les autres. Donc si la communauté des joueurs a adhéré à nos jeux, c’est qu’on a gagné. 

Jean-Christophe Blanc : Un grand merci d’avoir joué à ces jeux. J’espère que les gens ont pris autant de plaisir à jouer que nous à les concevoir. On a conçu nos jeux avec passion, et ça, c’est pas toujours le cas car aujourd’hui, c’est très industriel. C’est devenu alimentaire pour certains. Ça me fait plaisir d’entendre des gens dirent que nos jeux sont une partie de leurs enfances. C’est un joli partage d’émotions.

Entretien avec Cédric Lavanche (Lead Animator) 

Quel était ton poste chez Étranges Libellules et en quoi il consistait ?

Je suis rentré à Étranges Libellules (ELB) en tant qu'animateur sur Astérix aux Jeux Olympiques. Mon job consistait à faire animer les personnages, que se soit pour le jeu ou pour les cinématiques. Le métier d'animateur est divisé en plusieurs parties, cela dépend de la taille du studio, des compétences de chacun, mais dans le cadre d'ELB, il fallait être un peu couteau suisse. Avant de pouvoir animer un personnage, il faut le créer, c'est l'atelier personnage qui s'en occupe, on reçoit alors une version 3D du personnage, mais à ce stade, il ne peut pas bouger.

Première étape, il faut le rendre animable. Pour cela, on place un squelette dans le personnage, qui répond aux contraintes techniques liés au jeu, puis on crée des contrôleurs qui vont permettre de faire bouger ce squelette. Il faut imaginer une sorte de marionnette que l'on manipule. C'est ce que l'on appelle la phase de rigging. Ensuite le personnage est donc animable. Dans les plus grosses structures, c'est un autre département qui s'en occupe, car c'est très technique. On peut également créer des outils en code qui permet d'automatiser cette partie. C'est encore une autre phase du métier.

Ensuite le personnage est donc animable, et on peut travailler un peu à la façon d'un dessin animé. Que se soit du jeu vidéo, du film ou de la série, les principes de bases sont les mêmes, seuls les outils changent. À la demande, on crée des animations pour le jeu en lui même. Typiquement des animations de marche, de course, de saut... Suivant les demandes de designers qui établissent les règles, et suivant aussi les programmeurs gameplay qui s'occupent du comportement manette en main. 

Ensemble typique : le designer veut que le personnage court lorsque le joueur appuie sur le stick, le programmeur code le comportement en jeu et utilise l'animation de course crée par l'animateur pour faire bouger le personnage.

Autre partie du job, les cinématiques. Là on se rapproche du film ou de la série. Encore une fois suivant la taille du studio, c'est généralement un autre département qui s'en occupe. L'animation de cinématique est différente du travail gameplay, on parle "d'acting". Il faut rendre les personnages vivants, ils peuvent parler, contrairement au gameplay où c'est principalement du travail mécanique. On parle de body mechanic dans le métier. Le travail de cinématique est souvent moins technique, on se concentre sur la performance d'animation, un peu à la manière d'une performance d'acteur. Contrairement aux gros studios AAA qui font des jeux pour la plupart réalistes, on ne pouvait pas se reposer sur de la motion capture, tout était fait à la main en keyframe. C'est un travail long mais super intéressant.

Après Astérix et Obélix aux Jeux Olympiques, je suis passé lead animateur. En gros, j'étais le responsable de l'équipe animation, j'encadrais une équipe d'animateur, je m'occupais du recrutement, de leur formation, du suivi au quotidien de leurs tâches... En plus de produire également de mon côté.

Au final, je suis resté presque quatre ans et demi chez ELB. Je suis parti un peu avant sa fermeture et ça reste une super expérience. C'était mon premier vrai job dans l'industrie, les productions cartoon s'enchaînaient, sur des délais pas trop longs. C'était très formateur pour moi. On était bien loin des productions AAA qui s'étalent sur des années, et qui ont un suivi sur des années après leur sortie. Il n'y a plus trop de studios comme ELB, mais c'était une bonne école pour commencer dans le métier. Ensuite je suis parti vers d'autres studios lyonnais où j'ai pu faire d'autres spécialités autour de l'animation, et ce, grâce à toute l'expérience que j'ai pu emmagasiner à ELB.

Vous étiez combien d’employé chez ELB ?

Quand je suis arrivé nous étions sur la fin d’Astérix et Obélix aux Jeux Olympiques. C'est à ce moment que l'effectif est le plus gros, il faut boucler le jeu, donc tout le monde est sur le pont. Je crois qu'on était une soixantaine, tous corps de métiers confondus. Sur le jeu suivant qui était La Légende de Spyro : Naissance d’un Dragon, nous étions pas loin de la centaine au plus fort de la production. Le projet était plus ambitieux, nous avions plus de moyens. Ensuite, nous sommes même passés sur deux projets en même temps : Alice au pays des merveilles et Dragons. Nous avions deux équipes, et là nous avons atteint les cent vingt personnes dans le studio si mes souvenirs sont bons.

Quel est le projet qui de ton côté t’a le plus marqué et pourquoi ?

La Légende de Spyro : Naissance d’un Dragon restera celui qui m'a le plus marqué, pour plusieurs raisons. Déjà c'était mon premier projet auquel je participais dès le début. Je venais de passer lead ce qui était un sacré challenge car j'avais trois mois de métier derrière moi. Et pour finir d'un point de vue purement animation, je m'occupais principalement des deux héros. Animer des quadrupèdes, avec des ailes et de longues queues, c'est un sacré challenge, surtout lorsqu'on n'a pas beaucoup de bouteille. Le projet a duré un an et demi, il fallait que je fasse mes preuves. Nous étions pas mal de juniors dans ce cas, du coup on a passé pas mal de temps au studio. Rien ne nous était demandé mais on restait pour terminer le jeu. C'est à ce moment que je me suis lié avec mes meilleurs potes. On a le sentiment d'avoir fait la guerre ensemble, c'est un peu particulier comme lien.

Dans ton métier, quelles sont pour toi les plus grandes difficultés ?

La communication, c'est la base de tout. On doit travailler avec des corps de métiers tellement différents, le tout dans un même et seul but : terminer un jeu. C'est pas toujours simple, il faut faire avec les caractères de chacun, l'expérience, la façon de s'exprimer... C'est une difficulté mais c'est aussi la partie que je préfère dans ce métier, cet échange qui doit se faire pour le bien du jeu, sinon tout s'effondre. L'animation en plus est au carrefour entre les artistes 3D, le design, les programmeurs, le QA... On voit tout le monde, c'est très motivant.

Quand on travaille sur des jeux à licences, y a-t-il des libertés ? Si oui, sur quels aspects ?

En animation c'est compliqué. Sur des jeux comme Astérix et Obélix ou Alice au pays des merveilles, on avait très peu de marge de manœuvre, particulièrement sur Astérix et Obélix où la licence est fortement encadrée. Après il y a des projets comme Alice au pays des merveilles où Tim Burton ne nous donnait absolument rien. Il fallait interpréter, refaire souvent, c'était assez particulier comme façon de travailler. Sur Spyro par contre on avait plus ou moins carte blanche. On repartait sur un nouveau design, du coup on était assez libres.

Le moment dans le développement qui te fait le plus vibrer ?

Si il fallait en choisir une seule, je dirais la fin de production. C'est la course, il faut finir, corriger les derniers bugs, passer les dernières phases de polish sans casser le jeu, tout le monde est à fond, et c'est là qu'on avance le plus. Avec les budgets qui augmentent on a tendance à être moins efficace à mon sens. On prend le temps d'essayer des choses, de se tromper, de revenir en arrière, de refaire etc. Sous la contrainte on est obligé de faire des choix et d'y aller, c'est assez gratifiant, et c'est souvent dans ces cas là qu'émergent les meilleures idées.

Nous remercions chaleureusement les intervenants de notre série qui font de Rest In Play une chronique si particulière. Merci à eux pour leurs réponses et leur temps offert. Retracer l’histoire de leurs studios ne serait pas aussi enrichissant sans eux.

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