Dans ce nouvel épisode nous allons revenir sur un studio énormément marquant pour la génération 90 - 2000, une équipe derrière des licences éducatives cultes et au succès exceptionnel. Nous parlons bien évidemment de Coktel Vision, un studio ayant fait rayonner la France à travers le monde. 

La création du studio

Le studio est fondé en 1984 à Meudon la Forêt, en France par Roland et Catherine Oskian et Manuelle et Jean-Michel Mauger.

En 1985 ils réalisent 14 jeux dans divers styles : ludo-éducatif, simulation, gestion, stratégie, danse ou encore action et aventure. La même année, ils fondent un label d’édition de titres pour adultes, Tomahawk, avec lequel ils éditent et développent des titres comme : Cougar Force, Bécé Bégé, Geisha ou encore Emmanuelle, adaptation des célèbres romans d’Emmanuelle Arsan qui seront aussi adaptés dans des films ayant rencontré un immense succès. 

Coktel Vision continue comme ça de 1985 à 1991 en étant extrêmement prolifique puisqu’ils développent/éditent au total plus de 78 titres. Une productivité qu’ils gardent tout au long de leur parcours avec au final 130 jeux vidéo au compteur. Ainsi que 12 autres sous l’ère Mindscape. 

Toutes ces cordes à leur arc vont permettre de marquer de manière indélébile l’industrie, mais aussi toute une génération de joueurs. 

L’apogée du studio

Lors de ses premières années Coktel Vision rencontre de belles réussites vidéoludiques, mais rien de comparable à la saga qui les propulse directement à la reconnaissance internationale, nous parlons bien évidemment d’Adi et Adibou. 

C’est en 1991 que le succès frappe à la porte grâce à un extraterrestre aux oreilles pointues et au crâne chauve. Ce personnage, c’est Adi. Il est jeune, porte les vêtements des jeunes des années 90 et permet à des centaines de milliers d’enfants d’apprendre tout en s’amusant. Adi n’est pas seulement un jeu vidéo qui, à cette période, est encore pour beaucoup de parents un loisir abrutissant. C’est un véritable compagnon venant soutenir l’enfant dans ses apprentissages scolaires. 

Il conquit donc le cœur de bon nombre de familles en France et dans le monde avec, selon le magazine Joystick, 100 000 exemplaires vendus. Un chiffre fantastique pour le genre ludo-éducatif. 

Mais 1991 signe aussi l’arrivée d’une autre licence Coktel Vision qui va rencontrer un franc succès : Gobliiins. Un jeu d’aventure Point & Click. De ce jeu naît une véritable saga avec Gobliiins2Gobliiins3 et Woodruff & le Schnibble d’Azimuth 

"La licence a d’ailleurs pu continuer même après la fin du studio, Pierre Gilhodes, le papa de l’univers, a repris la main dessus et a pu créer en 2009 Gobliiins 4 en 3D avant de repartir en 2D pour un nouvel épisode, Gobliiins 5, financé grâce à une campagne de crownfunding."

En 1992, soit seulement un an après, arrive Adibou. Il s’agit là du petit frère d’Adi. Coktel Vision a une vision claire : faire des frères extraterrestres des amis accompagnants les enfants tout au long de leurs parcours éducatifs, avec comme schéma simple : 

Adi pour les 8 - 14 ans
Adibou pour les 4 - 7 ans
Adiboud’chou, qui arrivera plus tard, en 2000, pour les 18 mois à 4 ans.

Et une nouvelle fois, la création du studio plaît au public. Les chiffres explosent, la famille extraterrestre cumule en 1998 plus de 2,5 millions d’exemplaires vendus dans le monde entier. C’est donc un réel succès dithyrambique et surtout planétaire. Comme quoi, dans les années 90, nous avons été colonisés par une espèce venue d’ailleurs sans nous en rendre compte !

Cette réussite ne s’est pas faite seule. En effet, en 1992 la société est rachetée par l’éditeur Sierra, le géant américain de l’industrie. Une société qui cumule des dizaines de millions de dollars de chiffre d’affaire et plusieurs centaines d’employés autour du globe. Ce rachat est aussi responsable de ce succès grâce à la force de frappe et de distribution de l’éditeur. 

La croissance de Coktel Vision est exponentielle. En 1993, elle gagne 75 millions de francs contre 30 millions en 1992, la série Adibou couvrant 65 % du marché français de l'éducation ludo-éducative et 35 % du marché européen. En 1996, ces chiffres montent jusqu'à 75 % en France.

La fin du studio

Des rachats et du mouvement, Coktel Vision en a connu. Après avoir été racheté par Sierra en 1992 c’est l'éditeur Sierra lui-même qui est repris par Havas Interactive en 1996, pour devenir en 1997 Vivendi. Dans cette période là, l’entreprise continue sa route et ses travaux jusqu’en 2005 et un nouveau rachat qui s’avère être le dernier, celui entreprit par la société américaine, Mindscape. À cette période, l’éditeur du pays de l’oncle Sam est un géant de l’industrie avec 26 millions de chiffre d’affaires. Il absorbe le studio mais aussi 11 salariés de Coktel Vision pour qu’ils rejoignent Mindscape. 

Après 12 jeux, Coktel Vision sous la houlette de Mindscape, connaît sa fin du fait de la liquidation judiciaire du géant. Il ne s’en relève pas, annonçant son retrait du marché du jeu vidéo et laissant derrière lui Coktel Vision et quelques autres avant de lui même disparaître.

Entretien avec Roland Oskian (Fondateur du studio) 

Comment est né Coktel Vision ?

J’avais commencé à travailler dans le domaine spatial. Tout allait bien, j’avais déposé un brevet sur le pilotage à voiles solaires des satellites... et puis l’envie de liberté et de création est arrivée au bout de 3 ans. Des évènements proches m’avaient rappelé qu’on n’a pas de temps à perdre. J’adore la musique, le cinéma, la technologie et j’avais la chance d’avoir une femme graphiste, Kaki, et deux amis Manuelle et Jean-Michel Mauger avec qui nous avons fondé Coktel Vision.

Qu’est-ce qui vous a attiré dans les jeux vidéo ?

C’est le seul domaine qui réunit beaucoup de mes passions : la musique, le cinéma, le numérique. Et puis j’aime jouer, le progrès, les domaines nouveaux où tout reste à faire.

Quelle était l’ambition de départ avec Coktel ?

On voulait créer des jeux intéressants, avec du fond, utiles : des simulations (au fait, vous vous rappelez de Votez Pour Moi ?), des jeux d’aventure avec des thématiques engagées, des héroïnes.

Les jeux éducatifs vous sont-ils apparus comme une évidence ?

J’ai souvent raconté cette galère au CES de Chicago : de gros éditeurs américains, la déferlante des consoles de Nintendo et Sega qui voulaient contrôler la création des jeux. C’est dans l’avion du retour qu’est née la gamme éducative Adi. On avait connu un premier succès avec Balade au pays de Big Ben, conçu par un étudiant de Supelec, Arnaud Delrue. L’éducation interactive était un domaine encore tristounet avec quelques pâles adaptations de livres par les éditeurs traditionnels de manuels scolaires. En Europe tout restait à faire, et on pouvait inventer librement sur ordinateur, sans contrôle.

Comment avez-vous vécu le succès dépassant même les frontières d’Adibou et Adi ?

Le succès des gammes Adi et Adibou a été immédiat. On s’était imposé une qualité sans concession et les idées ne manquaient pas. Nous sommes passés en deux ans de petit éditeur français à leader européen de l’éducation. Pour changer, les autres venaient vers nous : concurrents, journalistes, financiers... mais on a gardé le cap : création, qualité et encore création.

Avez-vous une anecdote drôle durant vos années au sein de cette industrie ?

Je me souviens de ce directeur général du plus grand éditeur de livres scolaires à qui nous avions proposé de lancer avec nous une gamme éducative révolutionnaire, enfin efficace. Après un tour de table avec ses équipes, il a conclu : « Pas d’état d’âmes sur nos produits actuels, ils sont parfaits ». Erreur : on a lancé Adi et Adibou sans eux. Les structures installées ne sont pas à l’abri, surtout dans le numérique. Et je pense aussi à ces grandes banques qui nous ont lâchés juste avant le lancement d’Adi ! On s’en est sorti grâce à la directrice d’une petite banque régionale. Je me rappelle aussi des ayants droit de Christophe Collomb qui voulaient attaquer Yannick Chosse, le créateur du jeu Inca, pour détournement de caravelle. Un gag bien sûr.

Adibou fait son grand retour par le biais de Wiloki et donc, de vos enfants, c’est extraordinaire. Comment vivez-vous cela ?

Les trois enfants sont talentueux, créatifs, et exigeants. Ce n’est pas le père qui parle. Bref j’adore.

Que deviennent les membres fondateurs de Coktel Vision aujourd’hui (Roland Oskian, Manuelle Mauger, Catherine Oskian et Jean-Michel Mauger) ?

Tout le monde va bien. Catherine (vous voulez parler de Kaki ?), elle est justement à côté de moi et continue à dessiner sur son ordinateur. On continue de créer des projets, librement et sans contraintes.

Est-ce qu’il y a encore des joueurs de jeux vidéo parmi vous ?

Je suis le seul des quatre à aimer jouer. Je regrette simplement la place qu’a prise la violence mais je suis scotché par le niveau technique et artistique atteint. Je crois pourtant qu’on peut viser beaucoup plus haut. J’attends le nouveau step virtuel qui nous fera vivre encore plus intensément, sans forcément dégainer son fusil.

Pour moi, il y a véritablement une génération Adibou.. Quels mots adresseriez-vous aux enfants devenus grands et ayant grandis avec Adibou ou bien Adi ?

Je pense aux messages, dessins, mots de reconnaissance qu’on a toujours reçus. Le petit bonheur qu’on a pu leur apporter à été notre moteur principal. Merci à tous.

Entretien avec Pierre Gilhodes (créateur des Gobliiins)

Comment es-tu arrivé chez Coktel Vision ?

Je suis arrivé chez Coktel Vision en faisant un stage de PAO (Publication assistée par ordinateur) sans connaître les ordinateurs et cet univers. Je suis arrivé là-dedans totalement par hasard mais directement les jeux vidéo m’ont vachement parlé car c’est mon univers, c’est très BD, cinéma. Puis au bout d’un an j’ai commencé à proposer des projets étant de base auteur.

Peux-tu nous parler de comment est née l’idée de Gobliiins et les inspirations que tu avais en tête à ce moment-là ?

Alors je ne sais plus comment m’est venue la genèse de Gobliiins, je me souviens avoir proposé initialement un jeu d’action où les monstres se montaient les uns sur les autres pour atteindre leurs ennemis, j’avais à l’origine dessiné pas mal de choses à ce sujet mais très rapidement je suis passé à autre chose pour arriver à un jeu d’aventure.

J’ai souvenir que mes idées de scénario n’étaient pas forcément très appréciées au départ. Je me rappelle qu’en réunion on m’avait un peu envoyé bouler car certains auteurs sur place disaient "Bah non, il faut que ça soit des chevaliers qui aillent chercher la princesse" alors que moi j’étais déjà dans des délires plus farfelus mais qui ne se sont pas faits. J’avais des idées d’énigmes où il fallait chercher des ingrédients pour faire un gâteau pouvant endormir l’ennemi. Mais ces idées ne sont jamais allées très loin et n’ont pas abouties. 

Le succès a été immédiat pour le jeu et la série ? 

Gobliiins a rapidement fonctionné mais de mon côté je ne l’ai pas vraiment ressenti. Il fallait aller très vite, j’étais déjà sur le suivant (Gobliiins 2). Tu sais, il fallait que les jeux soient sortis dans l’année. C’est pour ça que de mon point de vue ce sont des jeux qui ne sont pas finalisés. C’est dur de dire ça mais quand tu joues maintenant tu vois que c’est quand même ardu, ça ne fonctionne pas super bien. Après de mon côté, étant derrière sa création, je ne vois que ses défauts, c’est normal aussi. 

Par contre j’ai quelques souvenirs sympas comme par exemple avec Muriel Tramis. Nous étions aller voir un spectacle de l’humoriste Michel Courtemanche, un comique canadien qui est très visuel, très marrant. Et à un moment il s’adresse à la salle et ça tombe sur Muriel et donc il lui demande "vous, vous faîtes quoi dans la vie" et là elle lui répond qu’elle fait des jeux vidéo et donc là il rétorque "Ah bon, quoi comme jeux vidéo ?" Et du moment qu’elle lui répond Gobliiins on entend une réaction dans la salle, un frémissement d’appréciation. C’est là que tu te rends compte que c’était quand même connu. Ou même, la dernière fois je discutais avec un cousin éloigné que je ne vois pas souvent. Il me dit que quand il était jeune il jouait à Gobliiins avec son frère et tu vois, je ne le savais même pas. Donc oui, c’était quand même pas mal connu. 

Aujourd’hui, tu continues à faire vivre la saga avec tout d’abord un épisode 4 en 3D puis, grâce à la réussite de la campagne de financement participative, l’épisode 5. Comment s’est déroulée la reprise des droits de Gobliiiins, peux-tu nous raconter ? 

Mindscape avait racheter le catalogue des jeux Coktel Vision et ils distribuaient ce qu’ils voulaient dedans. Donc nous sommes allez les voir directement avec mon programmeur et nous leur avons demandé. Ils ont accepté directement sans même nous demander d’argent.

Avec le nouvel épisode, tu reviens au format 2D, l’accueil de la 3D par les fans s’est passé comment dans l’ensemble ? 

Quand j’ai fait l’épisode 4 en 3D et bien ça n’a pas du tout marcher, haha. Les gens n’ont pas accrochés du tout. Mais comme je m’étais lancé dans la 3D depuis plusieurs années et que ça présente tout de même beaucoup d’avantages j’ai tenté. Mais c’est vrai que ça n’a pas le même charme que les dessins en 2D.

Si tu devais y décrire ton expérience de vie à Coktel Vision, que pourrais-tu nous dire ? 

Ça a été intense sur quelques années, avec les trois Gobliiins après Woodruff & le Schnibble d’Azimuth, mais déjà à partir de Woodruff ça commençait à se tasser car Coktel Vision commençait à tout miser sur l’éducatif. Ils devaient lancer Adi puis après c’était Adibou et puis ils misaient tout là-dessus et moi c’est vrai que l’éducatif ça ne me plaît pas spécialement. D’ailleurs mon style était considéré comme trop bizarre, trop délirant pour Adibou. 

Entretien avec Muriel Tramis (Créatrice des Gobliiins et des jeux Tomahawk) 

Comment êtes-vous arrivée chez Coktel Vision ? 

Grâce à mon diplôme d’ingénieur en électronique j’ai commencé ma carrière dans l’aérospatial, plus précisément dans l’armement. J’ai travaillé 5 ans dans ce secteur. J’y faisais par exemple de la programmation de drones militaires. J’aimais bien, globalement, sauf sur la fin où je commençais à m’ennuyer et à avoir des états d’âme sur les armes. J’ai donc démissionné. J’avais envie de faire autre chose mais je ne savais pas quoi. Ça m’a permis d’avoir du temps pour chercher. J’ai donc trouvé une formation en marketing et communication, ce qui m’a beaucoup plu. Comme j’avais été dans la technique pendant 5 ans, je voulais voir d’autres aspects de l’entreprise. C’était le temps de la grande créativité en France. J’ai compris qu’on pouvait éduquer et manipuler par l’image. 

Ma rencontre avec Coktel Vision s’est faite au moment où je recherchais un stage pour ma formation. J’adorais les salles d’arcade avec Pac-man ou encore Space Invaders. J’en parlais souvent à mon entourage et on m’a dit "tu devrais aller voir Coktel Vision, c’est une petite boîte où ils commencent à développer des jeux éducatifs". J’ai alors demandé un rendez-vous avec Roland Oskian pour avoir un stage mais il fallait que ce soit un stage de marketing bien sûr. Ça tombait bien car il m’a dit vouloir connaître les freins et les motivations des PME ou des agences de pub à l’usage de la palette graphique. On commençait tout juste à les utiliser. J’ai donc travaillé là-dessus lors de mon stage chez Coktel Vision et Roland Oskian était satisfait de mon travail. Au cours de ce stage j’ai eu l’occasion de venir plusieurs fois à la boîte. J’ai découvert cet univers créatif avec des gens sympathiques, qui se connaissaient tous. Il y avait une bonne ambiance, quelques fois de la musique dans les salles. À la fin de mon stage, je suis allé proposer à Roland Oskian un premier scénario nommé "Méwilo" qui parlait des Antilles. Il m’a répondu "Ok, je te laisse à disposition l’ordinateur, tu viens quand tu veux et tu programmes."

C’est comme ça qu’est né mon premier jeu vidéo. Le jeu a été apprécié, je l’ai dessiné avec un copain qui s’appelle Philippe Truca. J’ai situé le scénario à Saint-Pierre, il s’est basé sur des cartes postales, les a mises en couleurs. J’ai aussi demandé de l’aide à un ami, Patrick Chamoiseau. Je lui ai demandé d’écrire les dialogues. À nous trois, nous avons développé ce titre édité par Coktel Vision. Ça a été le début de ma carrière chez eux. Le titre a été traduit en anglais, en espagnol et allemand.

Pouvez-vous nous parler des jeux édités via Tomahawk et ce qu’était Tomahawk exactement ? 

Alors ça c’était une lubie de ma part. J’ai eu envie de m’occuper de titres érotiques. J’ai donc soumis l’idée à Coktel Vision et Roland Oskian m’a dit qu’il n’était pas contre. Nous sommes donc allés chercher du côté de la littérature érotique ce qui pouvait attirer le chaland, haha. Et nous sommes rapidement tombés sur le titre Emmanuelle qui, à l’époque, était un symbole d’érotisme très fort. À la base c’était un bouquin bien avant de devenir un film. De mon côté, j’ai abusivement emprunté le titre et Roland Oskian a de son côté négocié l’achat des droits auprès d’un italien qui les détenait et qui a bien voulu nous les céder à je ne sais quel prix. Et j’ai donc créer un nouveau scénario autour d’Emmanuelle qui n’avait rien à voir avec le titre original, de mon côté ça se passait au Brésil. Alors, j’ai cédé à la facilité, je l’avoue, car mon titre s’adressait avant tout à des hommes car c’était la majorité des joueurs. Donc nous incarnions un homme dont sa copine, Emmanuelle, s’était échappée au Brésil. Elle avait fuit son amant et il fallait la retrouver. Le pays du Brésil était un prétexte car c’était pour beaucoup un symbole érotique fort. Et c’était une balade touristique en fait, nous devions visiter plusieurs endroits du pays comme Rio avec son carnaval à Maranhão ou bien à Iguazú là où il y a ces magnifiques chutes. Lors de cette aventure, nous devions retrouver trois statuettes érotiques et bien évidemment Emmanuelle qui, arrivé à chaque endroit, nous échappait pour partir ailleurs. De notre côté nous devions en profiter pour augmenter notre pouvoir de séduction et, pour ce faire, il fallait aller draguer des femmes à l’hôtel et au bar via un système de dialogue. Et si nous avions atteint notre pouvoir de séduction à 100%, nous pouvions retrouver Emmanuelle. Et quand Roland Oskian a vu le titre, il m’a dit qu’il n’était pas question qu’il sorte sous le nom Coktel Vision car nous faisions des jeux vidéo éducatifs en même temps et que nous ne pouvions pas polluer la marque avec des jeux pour adultes. Alors nous avons décidé de créer une autre marque, Tomahawk. Au final nous avons créer trois ou quatre titres il me semble via Tomahawk.

Vous avez aussi créé la saga Gobliiins avec Pierre Gilhodes. Pouvez-vous nous raconter la naissance de ce projet et votre rôle sur cette saga ? 

Tout est né d’une idée à lui, c’est son univers à la base à Pierre Gilhodes. Cet univers médiéval totalement décalé et loufoque qui me fait beaucoup penser aux Monty Python. Je pense que c’est d’ailleurs l’une de ses inspirations. Et comme j’étais cheffe de projet pour Coktel Vision, j’avais mes propres titres à gérer. Mais Roland Oskian me demandait d’être la cheffe de projet des autres titres aussi, donc de m’occuper des créations des autres auteurs qui n’étaient pas forcément calés pour être chefs de projets. C’était surtout des graphistes etc. Sur Gobliiins, Pierre Gilhodes m’a surtout confié les dialogues, qui étaient très peu présents dans le premier opus, un peu plus dans le second et beaucoup plus dans le troisième épisode et dans Woodruff et le Schnibble d’Azimuth. 

Il me semble que vous étiez aussi présente sur le projet Adi lors de sa naissance. Pouvez-vous nous parler du projet à ses prémices et votre travail sur le titre ?

Ça a d’abord commencé par le jeu La Bosse des Maths. C’est un titre que j’ai proposé à Roland Oskian sur les mathématiques car à l’époque il n’y en avait pas du tout dans le commerce et je trouvais que les mathématiques étaient un peu un repoussoir pour les enfants. Et moi je voulais démontrer que nous pouvions jouer avec les maths. Du coup j’ai créé une gamme pour les collégiens. L’idée c’était qu’un dromadaire avait perdu sa bosse, sa bosse des maths évidemment haha. Et qu’il fallait l’aider à la retrouver. Pour ce faire, nous devions affronter la baleine à bosse, le chat bossé et ainsi de suite pour accumuler des points lors des exercices. Et plus vous aviez obtenus de points, plus la bosse sur le dromadaire augmentait. Et ça a été le premier jeu sur les mathématiques en France. Quand Roland Oskian a vu l’engouement des parents, mais aussi des joueurs, pour ce titre, il s’est dit qu’il avait une place pour une gamme éducative assez forte. Donc nous avons cherché d’autres concepts. Il a donc réuni différentes personnes pour réfléchir à tout ça et le projet Adi est né. Adi signifie d’ailleurs Accompagnement Didacticiel Intelligent. 

Nous ne voulions pas nous substituer aux professeurs avec ce jeu d’ailleurs, mais simplement accompagner l’enfant à la maison. Car déjà à cette époque l’informatique faisait peur aux enseignants qui se voyaient déjà remplacés. Nous avions fait appel à un ergonome mais aussi à des inspecteurs de l’Éducation Nationale. Et comme nous n’avions pas réussi à avoir l’étiquette "d’utilité publique", nous avons donc décidé de passer par les parents et les enfants directement. Adi c’est tout un concept, pas seulement dans sa partie pédagogique. Le personnage, cet extraterrestre, était censé établir un lien affectif avec l’enfant. Nous avions choisi un extraterrestre car nous voulions pas trop le personnifié. Nous voulions qu'il colle à tout le monde, pour tous les apprenants. Adi reposait sur un certain nombre de règles d’I.A. ce qui donnait l’impression qu’il était doté d’intelligence. Et il apprenait à l’enfant en circonstance, suivant ses résultats à ses test de pré-acquis par exemple. Il était encourageant, il félicitait l’enfant, etc. Mais jamais il se fâchait comme pouvaient faire les parents. Il ne se mettait jamais en colère. Ce qui a fait le succès d’Adi, ce sont aussi ses jeux entre les exercices. Plus vous réussissiez vos exercices, plus vous aviez accès à ces mini-jeux. Et ça, c’était vraiment la carotte qui a fait marcher les jeux vidéo Adi car vous étiez autorisé à jouer en même temps que vous appreniez. 

En 2018 vous avez reçue la Légion d’Honneur. Parlez nous de cette incroyable histoire du moment où vous l’avez appris jusqu’à sa remise ? 

En novembre 2017 je reçois un mail du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) me disant que le ministère de la culture souhaitait me proposer d’être décorée du grade de Chevalier de la Légion d’Honneur. Alors sur le moment je suis tombée des nues, je n’y croyais pas. Pour moi il s’agissait d’un canular. Dans le message il y avait un numéro de téléphone et je me suis empressée de téléphoner pour en être sûre. Je suis tombée sur une femme me confirmant que non, ce n’était pas une blague mais bien réel. J’étais tellement étonnée qu’ils me connaissent. Elle me rétorque que si, je suis connue et reconnue dans le métier. Ensuite, il faut mon accord pour présenter ma candidature devant la chancellerie. De mon côté, bien sûr que j’étais d’accord ! Quelques temps après, j’apprends que ma candidature a été reçue favorablement et qu’ils ont été d’accord pour me nominer. La raison : je suis pour eux "une pionnière dans la conception de jeux vidéo en France". Je suis la première femme, jusqu’à preuve du contraire. Haha. J’ai appris la bonne nouvelle le 14 juillet 2018.

Ce que j’ai appris après, c’est que la médaille n’était pas gratuite mais à nos frais. Tout comme la cérémonie de remise que nous devions financer par nos propres moyens. Comme je ne voulais pas tout organiser à mes frais j’ai donc cherché une solution pour la faire financer par quelqu’un. Je voulais que la remise se déroule dans l’année et puisse avoir lieu en France, car c’est là que je suis la plus fière de ma carrière. Comme je connaissais les gens du S.E.L.L. (Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs), dont la présidente qui était une ancienne de Coktel Vision, j’ai soumis mon idée et j’ai demandée s'ils étaient intéressés par l'idée d’organiser la cérémonie de remise de la médaille au cours de la Paris Games Week 2018, au mois d’octobre. Ils ont répondu présents et accepté. Et ça a pu avoir lieu le jour de l’ouverture de la convention parisienne. J’ai pu inviter ma famille, mes amis et l’équipe de Coktel Vision. Nous pouvons choisir aussi la personne nous remettant la décoration, ça s’appelle le délégué. J’ai donc choisi le ministre du numérique, Mounir Mahjoubi. 

J’étais fière de voir que vraiment, le jeu vidéo était enfin reconnu comme un objet culturel. C’est vraiment important pour moi, ça a été un point culminant de ma carrière car j’ai réussi à faire reconnaître le jeu vidéo de la plus belle manière.

Entretien avec Pierre-Alain De Garrigues alias PADG (comédien de doublage sur Adi, Adibou)

Comment s’est passé ton recrutement pour le projet d’Adibou ? Tu as participé à un casting ou bien tu as directement été appelé ? 

Alors c’est marrant, je ne sais même pas si Roland Oskian s’en rappelle, mais tu sais, c’est l’époque où il n’y a pas internet ni de portables et donc je suis à la maison je reçois un coup de fil. Au bout du fil, c’était Roland et tout de suite il me dit "Écoutez, j’ai un petit travail à faire et j’aimerais qu'on discute d'un projet ensemble, mais je vais être tout à fait honnête, j’ai déjà appelé deux de vos collègues qui m’ont répondu que non, c’était trop loin". Et, bien évidemment, je ne vais pas te citer le nom de ces deux comédiens qui sont connus, mais c’est vrai que les connaissant ils n’aimaient pas se déplacer à part en studio d’enregistrement. Mais aller à un rendez-vous pour discuter, hors Paris, en banlieue, à Meudon, non. C’est vrai qu’à l’époque pour y aller c’était compliqué, il fallait la voiture. Et moi, j’avais une moto donc ça ne me dérangeait pas. J’étais à cette période là déjà assez connu pour avoir travaillé sur des publicités, etc. Et donc, je débarque à Meudon dans un petit bureau où il n’y a pas grand chose et uniquement deux personnes, Roland et Kaki (sa femme). On se tutoie tout de suite et là il pointe un objet en me disant "tu sais ce que c’est ça ?". Je lui réponds directement que oui, c’est un ordinateur ! Pour moi ça servait à la comptabilité et c’est tout, ça s’arrêtait là. Mais lui m’explique qu’il a l’idée de l’utiliser avec ses dernières technologies pour apprendre aux enfants le français etc. Et il me montre ce petit personnage, cet extraterrestre qui devait accompagner les enfants dans l’apprentissage. Adi. Je lui demande l’âge des enfants auxquels c'est destiné et il me précise que c’est pour les CE1/CE2 et CM1/CM2. Donc à partir de là je savais que je n’étais pas obligé de prendre une voix trop enfantine. À savoir que les voix de tout petit garçon c’est les filles qui s’en occupent, pas les garçons. Il me demande "qu’est-ce que tu ferais comme voix pour ce personnage ?". Et là, je parle avec la voix qui me vient directement en tête pour Adi et bingo il me répond "on va faire ça". Finalement un projet devant partir sur un enregistrement de deux heures seulement s’est terminé sur quatorze années ensemble. Aujourd’hui, ce sont de véritables amis avec qui je suis toujours en contact. J’ai par la suite fait Adibou avec la voix de tous les environnements et décors c’était passionnant. 

As-tu une anecdote à nous faire part au moment de l’enregistrement des voix ? 

Tu sais, c’est toujours pareil. Tu fais des choses sans forcément te douter que ça va devenir mythique par la suite. C’est comme l’aubergiste d’Heartstone. J’ai fait trois enregistrements sur trois demi-journées et c’était fini. Pourtant c’est devenu mythique aussi. C’est pareil pour d’autres projets que j’ai pu faire. C’est arrivé tellement de manière inattendue que je n’ai pas eu le temps d’avoir une anecdote véritablement marquante. 

C’était un projet écrit en amont ligne par ligne ou tu avais une liberté d’improvisation ? 

Alors pour inventer les voix je pense que j’avais un certain niveau d’improvisation. Bien sûr c'était validé par Roland et toute l’équipe. Mais dans l’ensemble tout était écrit quand même. Les textes étaient prêts à l’avance, donc non, pas vraiment d’improvisation. D’ailleurs, dans mon métier ce n’est que très rarement qu’il y a de l’improvisation. En doublage sur 100 000 lignes il n’y en a que 3 qui vont être improvisées. C’est un peu ça l’idée. En publicité c’est encore pire, tu changes à peine une demi-virgule.

Aujourd’hui, tu es de nouveau de retour pour le nouvel Adibou, qui est d’ailleurs repris par les enfants des créateurs. Comment vis-tu ce retour ? Dis-nous tout. 

Étant donné que je n’ai jamais coupé le contact avec la famille Oskian et que j’ai même aidé à la création de leur boite qui s’appelle Wiloki avec leur application etc. Ça s’est fait tout naturellement mon retour sur Adibou. J’ai connu les enfants quand ils étaient tout petits. Je les avais vus deux trois fois au bureau. Ils passaient de temps en temps, c’était marrant, donc c’est une fierté d’avoir été de nouveau appelé, je suis le seul d’ailleurs. Toutes les équipes ont changées, mais voilà, ils m’ont tout de même gardé car il y a aussi beaucoup de nostalgie dans tout ça. Retrouver des voix que j’ai faites, c’était bien vu aussi quelque part. Je suis vraiment super fier. Surtout quand tu travailles avec des gens depuis 30 ans et qu’aujourd’hui, même ses enfants valident le fait que je puisse revenir sur le projet. 

Nous remercions chaleureusement les intervenants de notre série qui font de Rest In Play une chronique si particulière. Merci à eux pour leurs réponses et leur temps offert. Retracer l’histoire de leurs studios ne serait pas aussi enrichissant sans eux.

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