Cela fait bien longtemps que je désire réaliser un épisode sur le studio Darkworks, une entreprise qui me tient particulièrement à cœur, notamment pour son jeu Alone in the Dark : The New Nightmare, qui, bien qu'il divise les fans, m'avait énormément plu à l'époque. C'est donc l'occasion de retracer l'histoire de cette société et ainsi d'entamer une discussion avec son fondateur, Antoine Villette.

La création du studio

Née à Paris en 1998, Darkworks est le fruit de la collaboration entre Antoine Villette (président) et Guillaume Gouraud (directeur général). Ensemble, ils ont fondé une entreprise de jeu vidéo qui a brillé pendant plusieurs années.

Au début de leur parcours, ils ont naturellement dû faire leurs preuves. Ils se sont ainsi lancés dans la réalisation de leur premier prototype, 1906: An Antarctic Odyssey. Malheureusement, ce projet n'a jamais abouti, mais il leur a permis de se faire remarquer par le géant de l'époque, Infogrames.

En effet, l'éditeur a pu découvrir leur projet ainsi que leur talent. Convaincu de leurs capacités, Infogrames leur a proposé d'abandonner ce jeu au profit d'une licence très célèbre à l'époque, Alone in the Dark.

L'équipe de Darworks au complet.

Sans hésitation, ils ont accepté et se sont lancés dans cette première aventure "officielle", aboutissant à la réalisation dès 2001 de Alone in the Dark : The New Nightmare. Ils ont eu la lourde tâche de donner une suite à la célèbre trilogie d'Infogrames qui avait marqué les années 90, notamment grâce au talent de Frédérick Raynal.

Ce défi s'est avéré être relevé avec succès, puisque le titre a rencontré un succès critique et commercial. Cependant, de nombreux fans de la première heure n'ont pas forcément été réceptifs à cette nouvelle vision proposée par Darkworks.

En novembre 2002, Antoine Villette annonce que plus d'un million d'exemplaires du jeu se sont écoulés à travers le monde. Voici ce qu'il a déclaré à cette époque :

"Nous sommes fiers de ces chiffres réalisés dans une période difficile du marché et nous sommes reconnaissants envers les joueurs pour avoir récompensé ces 30 mois d'efforts. Un grand merci à toutes les équipes d'Infogrames qui nous ont témoigné leur confiance."

Depuis la sortie de Alone in the Dark : The New Nightmare, l'entreprise est restée discrète, mais a finalement pris la parole pour déclarer :

"Notre stratégie demeure la même : progresser et développer des jeux parmi les meilleurs du marché, avec pour ambition de faire de Darkworks un studio de référence dans le domaine de l'action/aventure sur console."

"Tout ce que je peux vous révéler, c’est qu'à partir de début 2002, Darkworks est en production sur un titre avec l'un des éditeurs japonais les plus prestigieux du marché."

"Notre objectif reste de développer deux productions en parallèle, et 2003 devrait concrétiser nos efforts de 2001 et 2002. Rendez-vous à l'E3 2003."

Finalement, il faudra attendre l'E3 2004 pour assister à la naissance d'une toute nouvelle licence, Cold Fear.



Cold Fear PC Trailer - Trailer

Cold Fear PC Trailer - Trailer


L’apogée du studio

Cold Fear a donc fait sa première apparition publique à Los Angeles, lors de l’E3. On découvre que Darkworks se lance une nouvelle fois dans le genre survival-horror, cette fois-ci édité par Ubisoft. L'annonce est prometteuse, l'atmosphère semble oppressante et l'attente n'est pas si longue puisque le jeu sortira l'année suivante, en mars 2005, sur PlayStation 2, Xbox et PC. Cependant, malgré des retours critiques plutôt favorables, les ventes ne répondent pas aux attentes. En février 2006, on apprend que Cold Fear s'est écoulé à 70 000 exemplaires à travers le monde.

Mais cela n'est pas une fatalité pour Darkworks. Ils ont de nombreux projets en tête et beaucoup d'ambition. En 2006, l'entreprise entame un changement de locaux et déménage avec ses équipes dans de nouveaux bureaux de 1 600m² dans le deuxième arrondissement de Paris. Grâce à cette superficie, la société peut désormais accueillir plus d'une centaine de collaborateurs.

En mai de la même année, une cérémonie se tient à Paris, réunissant alors plus de 500 chefs d'entreprises. Pour les accueillir, le Premier ministre de l'époque, Dominique de Villepin, est présent. Il annonce le lancement d'un programme appelé Gazelle 2005, visant à accompagner la croissance des PME les plus dynamiques.

Darkworks bénéficie de ce programme, ce qui prouve une fois de plus le succès de l'entreprise et la reconnaissance dont elle jouit, même au plus haut niveau de l'État. Ne s'arrêtant pas là, Antoine Villette est nommé Chevalier des Arts et des Lettres l'année suivante, en mars 2007.

Lors de son discours, il déclare :

"Une vie professionnelle, surtout celle d'un chef d'entreprise, est faite de rencontres. M. Patrick Beljansky, qui m'a mis le pied à l'étrier, M. Rémi Herbulot, qui a permis à Darkworks d'éclore, M. Bruno Bonnell, qui a été le premier à nous faire confiance pour un projet original, M. Nicolas Homassel, qui a profondément cru en nous, et M. Yves Guillemot, qui a permis à Darkworks de devenir ce qu'elle est, ont tous contribué à faire de ma vie professionnelle un parcours de succès et de combats."

Si vous êtes un fidèle de Rest In Play, il y a très certainement un nom qui vous dit quelque chose. Outre Bruno Bonnell et Yves Guillemot, déjà très célèbres.

En effet, il cite Rémi Herbulot, dont nous avons déjà parlé lors de notre chronique sur Cryo Interactive. Véritable légende du rétro gaming, il s'est retiré de cette industrie au milieu de la vie de Cryo. Mais le fait qu'il le cite n'est pas anodin.

Et oui, au tout début de Darkworks, avant son premier véritable jeu, Alone in the Dark : The New Nightmare, la société avait participé au développement des Visiteurs : Le Jeu, l'adaptation de la célèbre comédie de Jean-Marie Poiré, en 1998. Même si ce jeu est rarement mentionné dans les œuvres de Darkworks, il est important de souligner leur implication.

Après cette légère digression, revenons à 2008, lors d'un nouvel E3. Darkworks est de retour avec Ubisoft pour présenter un nouveau jeu, I Am Alive. Ce titre avait pour ambition de nous plonger au cœur d'un scénario catastrophe, avec un tremblement de terre dévastateur survenant à Chicago. Votre objectif ? Survivre. Le premier trailer est prometteur et même s'il est plutôt avare en informations, les joueurs font confiance.



E32008 - Ubisoft I Am Alive Trailer

E32008 - Ubisoft I Am Alive Trailer


À ce moment-là, il est rassurant de voir le fruit d'une collaboration entre Ubisoft et Darkworks. Il est difficile d'imaginer que les choses pourraient mal tourner. Mais malheureusement, c'est le cas.

La fin du studio

Nous sommes en mars 2009 lorsque l'on apprend dans les médias qu'Ubisoft récupère le développement de I Am Alive et que Darkworks se retire complètement. Désormais, c’est Ubisoft Shanghai qui prendra le relais et tâchera de reprendre le projet en cours tout en respectant les fondations initiales.

Si Darkworks quitte le projet, ce n'est malheureusement pas pour rien. En effet, l'entreprise traverse une période financière difficile et peine à s'engager dans un projet aussi ambitieux que celui entrepris avec Ubisoft. De plus, ils avaient de nombreux prototypes prêts, mais ceux-ci n'ont pas trouvé preneur pour concrétiser leurs idées. À cela s'ajoute une période extrêmement difficile, où l'arrivée des jeux mobiles suscitait des remous dans l'industrie. Beaucoup n'ont pas su saisir cette opportunité, y compris Darkworks. C’est donc en 2011 que nous apprenons la mise en redressement judiciaire de la société, suivie, un mois plus tard, de sa liquidation.

Voilà le triste résultat de deux années de tumultes financiers, entre 2009 et 2011, qui auront eu raison de Darkworks, le bijou pourtant si précieux d'Antoine Villette et Bruno Gouraud. Mais comme vous le savez, cette chronique est également l'occasion de comprendre le pourquoi du comment avec les principaux intéressés, ceux qui l'ont véritablement vécu. Grâce à ce type de témoignages, nous pouvons saisir toutes les subtilités derrière la fin d'une entreprise.

Entretien avec Antoine Villette (fondateur et PDG)

Comment avez-vous découvert le jeu vidéo et comment avez-vous su que vous vouliez en faire votre métier ?

Alors, j'ai découvert le jeu vidéo assez tôt avec Camels in Space sur Commodore 64. Ce qui m'avait intéressé, c'était la possibilité de modifier son expérience même si c'était assez léger. Ensuite, il y a eu un hiatus, je suis parti faire d'autres choses. Faut dire, je n'étais pas vraiment équipé.

Puis, j'y suis revenu relativement tardivement, car c'est à l'occasion d'une rencontre avec Guillaume Gouraud qui allait devenir mon associé chez Darkworks, où j'ai commencé à découvrir l'envers du décor et à observer ce qu'était une production de jeux vidéo.

J'ai toujours eu un intérêt très fort pour tout ce qui était projet technique, quelle que soit sa nature. La manière dont on appréhende un peu cet objet bizarre qui relie à la fois l'artistique, le logiciel, la narration, le son, etc. Comment tout cela s'assemble pour former un tout cohérent.

Guillaume, lui, était un peu en avance sur moi, car il travaillait déjà à l'époque sur des CD multimédias, ce qui n'existe plus maintenant, mais à l'époque, il y en avait encore quelques-uns. Donc, on a commencé à travailler en créant des CD multimédias à des fins promotionnelles.

Par exemple, on a réalisé le CD de promotion de Heart of Darkness d'Éric Chahi. Et puis, petit à petit, on a rencontré des gens du milieu, on a commencé à réfléchir, et puis, ça s'est enclenché assez rapidement par la suite.

De mon côté, je regarde un peu tout ce qui se passe. J'essaie de tester au maximum depuis longtemps, mais j'ai toujours eu un rapport plutôt professionnel qu'un rapport de consommateur avec le jeu vidéo.

Bien sûr, il y a des jeux que j'adore, des jeux auxquels j'ai énormément joué. Je pense à Starcraft II, Doom ou Quake à l'époque, mais plus récemment aussi avec Return of the Obra Din ou Hadès.

Mais voilà, j'ai du mal à me détacher de l'œil du professionnel. Comment ont-ils réussi à faire ça ? Quel était le planning de production ? Combien étaient-ils ? Sur quoi sont-ils partis ? Quel était le moteur utilisé ?

Mon expérience de joueur est toujours un peu gâchée par ces questionnements qui arrivent très vite, surtout quand un jeu me plaît.

Comment est né Darkworks ?

C'est souvent le fruit de rencontres. On ne peut pas dire qu'il y avait une volonté absolue ou une envie d'entrepreneuriat depuis le plus jeune âge. C'est simplement la rencontre avec Guillaume Gouraud. Et très rapidement, avec deux ou trois membres de ce qui allait devenir l'équipe de Darkworks.

Mais aussi une rencontre autour d'un projet qui n'a jamais vu le jour, qui s'appelait 1906: An Antarctic Odyssey.

C’est également une rencontre avec Infogrames qui a cru en notre projet, mais qui nous a proposé de travailler sur un autre, donc un peu surpris, un peu décontenancé, mais nous avons relevé le défi et c'est ainsi que nous avons commencé à travailler, comme un véritable studio de développement, structuré avec beaucoup de membres et une véritable production, un éditeur et du marketing.

Parmi tous les jeux développés au cours de l’existence de Darkworks, quel développement a été le plus marquant pour vous ? Et pourquoi ?

Évidemment, Alone in the Dark, notre premier jeu publié, a été un marqueur très important, non seulement parce que c'était le premier, mais surtout parce que c'était un projet très ambitieux. Nous nous en sommes rendu compte au fur et à mesure de la production, que par rapport à nos moyens et à notre naïveté, c'était vraiment ambitieux.

Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais il y avait deux aventures en une seule. Celle d'Edward et celle d’Aline. Donc, il y avait une complexité de narration et de game design qui était assez importante. Mais c’est l’enthousiasme et probablement la naïveté qui nous ont permis de ne pas avoir peur tout de suite et donc de relever le défi en ne lâchant pas le morceau.

Ensuite, nous avons travaillé assez intensément en sous-traitance sur des projets qui ont vu le jour, ou pas, avec un certain nombre d'éditeurs japonais, dont Namco et Capcom. C'était une expérience extrêmement marquante aussi, mais là, ce n'était plus du tout du point de vue du game design. C'était surtout du point de vue de la production et de l'organisation, notamment chez Capcom, où nous avons été impressionnés par le niveau d'attention aux détails que nous n'avions jamais vécu auparavant, surtout à des stades avancés de production avec des ajustements très fins des mécaniques de gameplay.

Et puis, il y a eu Cold Fear, un projet très court, 18 mois de production à flux tendu avec un engagement personnel très important, qui m'a pas mal fatigué d'ailleurs. C'est un projet que j'apprécie car nous savons très bien que nous n'avions pas les moyens d'un Resident Evil ou même son ambition.

Personnellement, j'ai toujours placé Cold Fear comme une série Z, mais avec de bonnes mécaniques de gameplay, un environnement original et un titre efficace. Même s'il n'a pas eu un succès retentissant, nous ne nous attendions pas non plus à cela. Il n'a jamais été positionné comme un méga hit.

Cependant, quand je vois des articles suggérant aux fans de Resident Evil d'essayer de jouer à Cold Fear, cela me fait toujours extrêmement plaisir. Parce qu'en effet, nous avons beaucoup donné pour une production courte de 18 mois, presque 16 mois uniquement pour la production, avec une intensité quotidienne, mais avec une vision suffisamment claire pour savoir où nous allions. Nous n'étions pas dans des problématiques de remise en question du concept, qui peuvent plomber certaines productions, mais plutôt sur la capacité à produire ce qui était prévu.

Évidemment, j'ai un regret, c'est que la plateforme pétrolière qui était prévue pour bouger autant que dans la première partie du jeu, nous n'avons pas pu le faire parce que c'était trop ambitieux, probablement. Mais nous avons fait à peu près ce que nous voulions dans les contraintes qui nous étaient données, avec une grande liberté à cet égard. Donc, c'était plutôt sympa.

Et puis, bien sûr, il y a tous les prototypes sur lesquels nous avons pu travailler, avec des projets extrêmement intéressants. Ce sont des projets qui n'ont pas vu le jour.

Vous avez pu offrir une suite à la célèbre licence Alone in the Dark, comment s’est passé la reprise des droits et le développement d’un tel projet ? Aviez-vous une pression et des directives à assurer ?

Nous n'avons pas du tout été confrontés à cette problématique, puisque les droits étaient chez Infogrames. Et comme Infogrames nous a proposé de travailler dessus, cela n’a pas posé de problème.

Bien sûr, nous avons cédé les droits sur tout ce qui était concret, donc l'ensemble des visuels, des aspects scénaristiques, mais la propriété intellectuelle appartenait à Infogrames, donc nous ne nous sommes pas posé la question.

Pour les directives, je me souviens avoir passé un peu de temps avec Hubert Chardot à l'époque, qui nous a expliqué un peu l’univers. Mais après, c'est vrai qu’on a assez vite pris notre envol, toujours avec la validation et l'approbation d'Infogrames. Nous avons proposé énormément de choses nouvelles, qui n'étaient pas dans les trois premiers jeux, comme un changement d'époque, l'introduction de nouveaux personnages, etc.

Mais je crois que ce qui était important à l'époque pour Infogrames, c'était de respecter l'esprit plus que la lettre. Donc, nous nous sommes permis des libertés qui ont pu parfois sembler étranges à certains fans de la première époque. Mais en même temps, nous n'avons pas eu énormément de retours sur cet aspect-là. Donc, je pense que nous avons respecté le mandat, mais nous avons eu beaucoup de liberté pour le redéfinir à notre sauce.

Vous êtes derrière le jeu I Am Alive dont, en cours de route, le développement a bifurqué vers Ubisoft Shanghaï. Comment cela se fait-il ? Ce changement est survenu à quel stade de sa création et pouvez-nous nous parler de comment tout cela s’est vécu de l’intérieur ?

Pour vous expliquer les choses dans l’ordre, nous savions un peu avant la fin de l'automne que nous ne continuerions pas avec Infogrames sur un Alone in the Dark V, par exemple. On nous avait prévenus suffisamment en amont.

Mais nous avions toujours envie de continuer à faire ce que nous aimons. Cela a débouché sur Cold Fear, et, en fin de compte, il était important pour nous de continuer à créer un jeu où les décors étaient dynamiques, car cela nous semblait crucial à l'époque.

C'était moins facile à réaliser. Les décors étaient souvent statiques, avec quelques jeux de lumière, mais nous voulions vraiment introduire quelque chose de nouveau en faisant du décor un véritable personnage.

Nous avons présenté un concept à Ubisoft, appelé Alive, qui était essentiellement un jeu catastrophe où Chicago subissait un tremblement de terre pendant que le joueur y était en plein cœur.

Il comportait une multitude de styles de jeu, de l'exploration à l'aventure, en passant par le parcours, le tir et la tactique. C'était sans doute trop ambitieux de ce point de vue-là. Nous avons malgré tout réalisé une maquette, une démo jouable assez étendue qui était convaincante.

Mais en passant à la production, en faisant les plannings, etc., nous avons réalisé à quel point c'était vraiment énorme. Nous avions conscience de l'ambition du projet, mais c'était encore plus énorme que prévu. Petit à petit, nous avons dû faire des coupes, repenser le tout. Et le processus n'a pas été très fluide.

Donc Ubisoft, qui avait acquis le projet, l'a repris pour le confier à Ubisoft Shanghai. Et nous avons pris des chemins différents sur cette aventure. Pour ma part, je pense que nous n'étions pas loin du but. Je crois aussi que c'est un jeu qui aurait pu marquer les esprits à l'époque, du moins dans l'état où nous l'ambitionnions. Mais nous avions du retard, des choses n'étaient pas encore tout à fait ficelées, pas encore maîtrisées.

Du point de vue humain, ce n'était pas simple. Mais dans les studios de développement, surtout dans les studios professionnels, il y a toujours un aspect de prestation de service quand on ne s'auto-finance pas. Ce n'était pas des moments faciles, mais cela fait partie du contrat, de la vie d'une entreprise. Je pense que nous aurions pu aller jusqu'au bout et sortir quelque chose de bien plus marquant et ambitieux que ce que cela est devenu.

Ceci dit, il y a toujours ce que nous avons réalisé malgré tout, qui existe un peu à travers le titre qui est sorti, et beaucoup à travers les maquettes que nous avons pu montrer et réaliser à l'époque. Cela reste un apprentissage pour le studio, même si cela a eu des conséquences assez importantes pour nous et pour les équipes. Je peux témoigner que certains membres de l’équipe l’ont mal vécu.

Avez-vous une ou des anecdotes vécues au sein de l’industrie du jeu vidéo à nous raconter ?

L’industrie du jeu vidéo, c’est vraiment un monde à part. Je me souviens que sur Cold Fear, Infogrames et nous cherchions une musique un peu marquante pour le générique de fin. Il se trouve qu'un de nos employés, à l'époque, connaissait quelqu'un qui était en relation avec le manager de The Cure.

Nous avons donc été invités à un concert privé qui se tenait au sommet de l'Arche de la Défense. Nous avons eu l'opportunité de discuter et de prendre un verre de vin rouge avec Robert Smith à la fin du concert. Il était extrêmement sympathique, vraiment adorable.

Malheureusement, cela ne s'est pas concrétisé. Mais je pense qu'il n'y a pas beaucoup d'industries où des jeunes de Paris, pleins d'enthousiasme, peuvent prendre un verre de vin rouge avec Robert Smith en backstage. Nous envisagions une version originale d'une de ses chansons, mais cela ne s'est pas réalisé.

Je crois qu'à la fin, le choix s'est porté sur Marilyn Manson, mais je ne l'ai pas rencontré. Cela s'est fait par un accord, séparément, chez Infogrames. Cependant, je dois encore avoir quelque part le médiator que Robert Smith m'avait donné à la fin de notre rencontre.

Quelles étaient les raisons de la fermeture de Darkworks ?

On traversait une période un peu difficile pour le jeu vidéo, et nous avons investi beaucoup d'énergie, que ce soit dans Alone in the Dark: The New Nightmare ou dans Cold Fear.

Nous avons développé des maquettes et des démos pour des projets qui n'ont pas trouvé d'éditeur. À cette époque, nous étions d'une taille importante, ce qui n'était pas facile mais très gratifiant. Mais voilà, ce n'était pas une période facile non plus.

On nous répétait sans cesse « pourquoi ne pas vous tourner vers le mobile ? » Eh bien oui, mais ce n'est pas la même chose. C'est un peu comme si on disait à un constructeur automobile de fabriquer des scooters. Ce n'est pas parce qu'on a des mécaniciens et des designers qu'on sait forcément le faire. Nous avons vu les choses arriver environ un an à l'avance. Nous avons pu anticiper au maximum, même si évidemment, nous aurions préféré que les choses continuent comme avant.

Cependant, lorsque des projets ne trouvent pas preneur et que certains éditeurs hésitent trop longtemps avant de signer ne serait-ce qu'un protocole d'accord, c'est un peu le destin normal, dirons-nous. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas.

Comment avez-vous vécu, humainement, cette épreuve ?

Sur le moment, pas grand-chose. Parce que contrairement à ce qu'on peut croire quand on ne le vit pas, il y a énormément de choses à faire, énormément de sollicitations, énormément de choses à remettre en ordre, à faire, etc.

C'est plutôt une fois que tout est fait, une fois que tout est fini, une fois que tout est rangé dans des boîtes, qu'on se dit « ah oui, d'accord, donc là c’est vraiment fini ». Mon travail est terminé, je n'ai plus à travailler pour cette société, je n'ai plus à faire d'efforts.

Mais pas de regrets non plus, car cela ne fait pas forcément avancer les choses. C'était surtout une fatigue physique assez importante, peut-être psychologique aussi, mais je ne suis pas sûr, je n'ai pas consulté, donc je ne peux pas l'affirmer haha.

Mais je sais que c’était en novembre 2011 et que j'ai dû beaucoup dormir entre février et mars 2012.

Et voilà, le soutien de la famille, le soutien des amis, je sais que cela aide à avoir l’esprit relativement tranquille, même si on se demande parfois si on a fait tout ce qu'on aurait pu, mais on en a quand même fait beaucoup. Il y a aussi un aspect de chance dans ce domaine, comme dans beaucoup de choses.

Qu’avez-vous fait après l’aventure Darkworks ?

Après Darkworks, j'ai fait une pause, puis je suis entré au Musée Picasso en tant que responsable des projets numériques. Il fallait à peu près tout construire : le site internet, les applications, et bien d’autres choses.

C'était une aventure assez amusante, un changement de style. Mais j'ai aussi beaucoup appris sur le fonctionnement interne. Ce n'était pas une très grosse entreprise, mais comme c'était une entreprise publique, il y avait énormément de processus à suivre. Apprendre à travailler avec des gens pour qui ce n'était pas forcément le métier, reposer les bases, etc.

Ensuite, j'ai été directeur des technologies pour le Pass Culture, peu après son lancement jusqu'à sa généralisation en 2021. Là encore, c'était très intéressant. Une start-up d'État avec tout à construire : une équipe, des choix technologiques, un projet à long terme et une forte orientation culturelle, avec pour objectif de résoudre le problème de l'accessibilité à la culture pour de nombreuses personnes.

Que devenez-vous aujourd’hui ?

Aujourd’hui, je travaille en tant que directeur au studio Microids à Paris.

Y a-t-il eu des inspirations cinématographiques pour Cold Fear ? Et si oui, lesquelles ?

Oui, il y a du John Carpenter avec The Thing ou Assaut, mais aussi un certain état d'esprit où l'on ne prend pas les choses trop au sérieux, où l'on essaie de construire quelque chose qui joue sur des émotions relativement primaires comme la peur et l'angoisse. Mais nous ne le faisons pas de manière trop caricaturale non plus. Nous savons que le contexte, la qualité et la cohérence rendent l'expérience d'autant plus pertinente. Donc nous faisons attention à l'écriture et bien sûr au visuel. Oui, il y a beaucoup d'inspirations.

Il y a aussi une petite anecdote : les noms russes dans Cold Fear sont ceux de l'équipe que nous avons russifiée en amont. C'est aussi un jeu qui a demandé pas mal de documentation. Quand nous avons décidé de faire un jeu se déroulant sur une plateforme pétrolière en pleine tempête, nous avons cherché à comprendre comment cela fonctionnait dans la réalité. Nous avons donc essayé d'être logiques et cohérents par rapport à cette réalité.

Pour Alone in the Dark, quels étaient les défis majeurs pour relancer une licence aussi culte ?

À vrai dire, on ne s’est pas mis ce type de pression. Nous avons lu les scénarios, joué au jeu, examiné les concepts, étudié le game design de l'époque, et tout le matériel qu’Infogrames avait mis à notre disposition. Ensuite, nous les avons rangés et nous nous sommes dit que nous avions à peu près compris.

Nous avons pris tout cela, l'avons assimilé, puis nous l'avons interprété à notre manière. Si Infogrames disait oui, nous continuions. S'ils disaient non et nous expliquaient pourquoi, nous réorientions notre travail. Cependant, nous n'étions pas dans le cadre d'une licence comme peuvent l'être certaines que j'ai connues au Musée Picasso, où il y a des personnes qui sont là pour protéger l'intégrité de l'œuvre.

Notre objectif principal était de moderniser la licence. Lorsque nous avons commencé à réfléchir, nous nous sommes dit : « En nous basant sur le titre, Alone in the Dark, cela signifie mettre le joueur seul dans le noir et donner à la lumière un rôle très particulier. »

Les premiers prototypes allaient dans cette direction. Nous cherchions à comprendre comment la lumière pouvait agir sur le décor, non seulement pour l'éclairer, mais aussi pour déclencher certaines mécaniques de jeu.

Nous remercions chaleureusement les intervenants de notre série qui font de Rest In Play une chronique si particulière. Merci à eux pour leurs réponses et leur temps offert. Retracer l’histoire de leurs studios ne serait pas aussi enrichissant sans eux.

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