La semaine dernière, nous explorions l’histoire palpitante du studio Deadline Games, à travers les trois axes habituels de votre chronique Rest In Play : création, apogée, fermeture. Nous tentons à chaque épisode de comprendre pourquoi ces sociétés s’éteignent. Elles sont accompagnées d’échanges avec leurs fondateurs, pour tenter d’y voir à chaque fois plus clair et comprendre les choses, de l’intérieur. Aujourd’hui, nous explorons ensemble le studio fantastique de Bizarre Creations, à l'origine de jeux vidéo reconnus comme : The Club, Blur, Geometry Wars ou encore Project Gotham Racing. 

La création du studio 

Bizarre creations ouvre ses portes en 1988 à Liverpool au Royaume-Uni, sous le nom de Raising Hell Software et fondée par Martyn Chudley. Le studio débute sa carrière en créant le jeu Combat Crazy sur Commodore 64. Martyn est à ses débuts accompagné d’un ami rencontré pendant ses études. Hélas, suite à l’échec de leur première réalisation, ce dernier décide de quitter Martyn et de se focaliser sur la recherche d’un métier viable et pérenne. Notre fondateur se retrouve donc désormais seul dans cette aventure pourtant toute fraîche. Il prend alors la décision de sous-traiter pour l’entreprise mythique Psygnosis (studio de développement et d’édition britannique célèbre pour ses licences cultes comme Lemmings, Destruction Derby ou bien Wipeout et Formula One). Pour Martyn Chudley, il s’agit là d’une opportunité fantastique au niveau professionnel mais aussi sur le plan sentimental. Effectivement, il y fera la connaissance de Sarah, pour qui il a un coup de foudre et qu’il épousera quelques temps après. Sarah Chudley deviendra par ailleurs un personnage clé de l’entreprise Bizarre Creations, dans laquelle elle occupera le post de directrice commerciale.

Après des créations de jeux vidéo sur diverses plateformes comme l’Atari ST, L’Amiga ou encore la Megadrive pour le compte de Psygnosis, Martyn Chudley prend la décision de voler de ses propres ailes. C’est alors qu’en 1994, il doit changer le nom de sa société, abandonnant donc le nom de Raising Hell Software pour devenir le studio que beaucoup d’entre vous connaissent, Bizarre Creations. Les raisons de cette modification ? Martyn Chudley y reviendra personnellement avec nous lors d’un entretien exclusif avec l’équipe de Superpouvoir en fin d’article.

L’apogée du studio

À son sommet, la talentueuse équipe sera riche de plus de 160 employés avec lesquels ils créeront des licences comme Metropolis Street Racer pour Sega ou bien l’excellente série Project Gotham Racing et Geometry Wars pour Microsoft et leur console Xbox. Des succès aussi bien critiques que commerciaux. 

Un succès qui attisera la curiosité de l’éditeur Activision. Ce dernier s’approche de Martyn pour parler rachat, le célèbre éditeur désirant s'approprier Bizarre Creations. Nous sommes alors en 2007. Et là, pour Sarah et Martyn Chudley, la question se pose. Après deux décennies dans l’industrie, ils doutent. Effectivement, à ce moment là, ils ont deux enfants et une vie comme la leur nécessite des concessions difficiles, comme celles sur leur vie de famille. Ne voyant plus leurs enfants grandir et estimant rater de nombreux paliers de leurs vies, ils acceptent la proposition d’Activision. Et même si cela restera, selon ses dires, à contre cœur sur le moment.

La fin du studio

Après seulement deux jeux vidéo développés sous la houlette d’Activision, Blur et Bloodstone 007. (Qui ont eu tous deux eu un succès commercial très mitigé) l’éditeur prend une terrible décision, celle de « Réaligner ses stratégies globales » comprenez par cela, fermé le studio Bizarre Creations, en 2010, de manière brèves et sans appel, laissant plus de 160 personnes sur le pas de la porte. Cependant, unis et solidaires entre eux, ils prennent l’initiative d’ouvrir leur propre studio de jeux vidéo, Lucid Games Ltd. En connaissant leur passé commun, nous ne pouvons nous empêcher d’y trouver une certaine allusion à ce qu’ils ont vécus. Vous connaissez très certainement ce nouveau studio pour leur dernière sortie en date, Destruction AllStars, une exclusivité PlayStation 5. 

Entretien exclusif avec Martyn Chudley (Fondateur) 

Comment est née l'aventure Bizarre Creations ? 

Avant Bizarre, j'étais un développeur indé, travaillant en tant qu'indépendant pour la légendaire Psygnosis à Liverpool. C'était l'époque des 8 et 16 bits, et l'ère du 32 bits commençait tout juste avec la PSX (PlayStation 1). À ce moment-là, j'avais un choix à faire – les jeux nécessitaient des équipes plus importantes pour être créés, le créateur unique était en train de devenir une chose du passé – alors est-ce que je rejoignais Psygnosis (il y avait une offre), je rejoignais un autre développeur de jeux, ou je créais un studio indépendant ? Avec l'aide de ma future épouse, Sarah, nous avons décidé que nous n'étions jeunes qu'une fois et nous avons décidé de nous mettre à notre compte. C'était donc ça !

Quelle est l'histoire derrière le nom de ce studio ? 

Le nom était un peu aléatoire. Auparavant, j'ai travaillé sous le nom de Powerslave Developments (avec un ancien partenaire commercial) et de Raising Hell, sous lequel est sorti The Killing Game Show. Raising Hell n'a pas été jugé assez sympathique par Sega, nous avons donc dû trouver un nouveau nom. Tard dans la nuit, nous travaillions sur un document de conception de jeu et nous avions besoin d'un nom. Je crois que j'ai dit "Weird Concepts". Sarah l'a entré dans un thésaurus (dictionnaire analogique avec des mots organisés par champ lexical) et Weird est devenu Bizarre, et Concepts est devenu Creations !

Votre studio est à l'origine de nombreux titres autour des jeux de course, quelle était votre ambition autour de cet univers dans les jeux vidéo ? 

Pas d'ambition du tout. Nous travaillions sur un titre PS1 au nom de code Slaughter pour Psygnosis. Il s'agissait en fait de Quake Arena sur des planches de surf, et l'équipe (alors petite) y croyait vraiment. Cependant, un jour de 1995, le regretté Ian Heatherington (responsable du développement chez Sony/Psygnosis) savait que j'étais un grand fan de Formule 1 et, comme Sony avait la licence de la FIA, il m'a demandé si j'étais prêt à faire un jeu de F1. Après avoir fait circuler l'idée dans l'équipe, nous savions que cela pourrait être notre grande chance, alors nous avons foncé.

Je parle des jeux de voiture, mais vous n'avez pas fait que ça, je pense aussi à The Club, qui était un jeu de tir. Encore une fois, ce style de jeu était quelque chose que vous aimiez ?

Le concept de The Club a été créé pendant un rêve fou que j'ai fait, après avoir mangé des crevettes douteuses lors d'une réunion avec Electronic Arts ! Je voulais essentiellement essayer de faire avec le genre du tir ce que nous avions fait avec le genre de la course, et j'ai donc fait en sorte que le concept entier consiste à essayer d'atteindre la "perfection" du tir, Kudos sous un autre nom, plutôt que le gameplay habituel de type progression. Nous avons commencé avec un simple "Box Man" non descriptif comme personnage, et le joueur était récompensé pour avoir "bien tiré" – tout était question de vitesse et de précision. Au fil des mois, nous avons affiné le système qui vous permettait de créer des combos et d'enchaîner les tirs, ce qui était assez unique à l'époque. Cependant, nous avions besoin d'un éditeur et SEGA était de loin le meilleur choix. Le problème, c'est qu'ils pensaient que les jeux avaient besoin d'une histoire, et donc la caractérisation et l'intrigue sont malheureusement devenues le point central du jeu. Nous avons tous estimé que le jeu était bien meilleur dans sa forme "pure", mais SEGA craignait qu'il ait besoin de l'accroche des personnages. Dans l'ensemble, je suis très fier de ce que nous avons réalisé avec The Club, mais il a finalement perdu beaucoup de son intérêt au moment de sa sortie.

Quand je parle à des PDG ou à des gens du secteur, ils me parlent de la toxicité et de la pression des grands éditeurs. Avez-vous souffert de cela aussi ?

Ayant quitté le secteur depuis si longtemps, je ne peux pas vraiment faire de commentaires, mais malheureusement, les pressions financières génèrent une atmosphère au sein du secteur qui n'existait certainement pas au départ. Faire des jeux était tellement amusant, mais une fois que c'est devenu un énorme business mondial…

Aujourd'hui, que faites-vous, êtes-vous toujours dans l'industrie du jeu vidéo ?

J'ai bien peur d'avoir quitté le secteur. Certains aspects me manquent, mais certainement pas la pression ! Je ne pourrais pas rêver de faire un jeu AAA dans le climat actuel !

Je sais que vous restez en contact avec vos employés même des années plus tard, je trouve cela fantastique. Est-ce important pour vous de créer un sentiment de grande famille ?

Bizarre a toujours été notre "famille" – nous savions que les gars et les filles étaient notre source de vie, et pas seulement cela, de vraies personnes ! De nombreuses entreprises traitent leurs employés comme des ressources. Sarah et moi n'étions pas des gens d'affaires, et nous avons fait de notre mieux pour offrir à chacun le meilleur environnement et les meilleures récompenses possibles. Et nous entendons de temps en temps que nous avons en quelque sorte réussi dans ce domaine, alors c'est agréable !

Avez-vous une anecdote drôle ou émouvante ? Dans le secteur ?  

Il y en a tellement ! Mais l'un des moments les plus agréables a eu lieu très tôt. Psygnosis avait réussi à attirer le grand Murray Walker pour faire les voix off de notre jeu F1 et c'était un vrai gentleman. On dit qu'il ne faut jamais rencontrer ses héros, mais cela ne s'appliquait pas à Murray. Lorsque nous avons discuté de la conception du jeu avec lui, nous sommes tous allés dans un petit hôtel de campagne et il était absolument charmant. Cependant, dans notre bureau, nous lui avons montré la dernière version du jeu. N'oubliez pas qu'il avait alors plus de 70 ans et n'avait aucune expérience des jeux vidéo. Nous lui avons proposé de jouer et lui avons tendu le joypad gris de la PS1. Mais au lieu d'appuyer sur les boutons de direction pour diriger la voiture, il a simplement fait tourner le joypad en l'air, s'attendant à ce qu'il contrôle la direction de la voiture ! Ce qui est fou, c'est que ce type de contrôle de mouvement allait devenir une partie importante de l'industrie des jeux dans le futur, donc il était évidemment en avance sur son temps, haha. 

Jouez-vous toujours aux jeux vidéo ? Si oui, quel est votre jeu préféré ? 

Mon jeu préféré en ce moment est sans aucun doute Walkabout Golf sur l’Oculus Quest 2. Il a des graphismes et une physique extrêmement forte, et les développeurs sont très avisés sur leur modèle économique et font ce qui est bon pour leur public. Il est certain qu'ils seront bientôt rachetés par l'un des grands groupes. Mais l'aspect le plus important du jeu est l'intégration de l'aspect social. C'est tout simplement le jeu parfait pour jouer et se détendre avec ses amis.

Je pense que lorsqu'un studio ferme, on ne vous donne pas vraiment l'occasion de vous exprimez auprès des joueurs. Que diriez-vous aux nombreux fans de vos licences telles que Project Gotham Racing, The Club, Geometry Wars, Blur, etc. qui étaient encore des licences fortes et appréciées des joueurs ?

Malheureusement, tout a une fin. Quand le studio a fermé, une grande partie des gars et des filles sont parties vers des choses plus grandes et meilleures dans l'industrie. En effet, il aurait été formidable de faire une suite de Blur, les gars avaient des idées et une technologie incroyables pour cela, et j'aurais personnellement aimé faire une suite à The Club mais dans sa forme originale, la plus pure. Pour ce qui est de la course, je pense que PGR en particulier a eu beaucoup d'influence sur les jeux de course ultérieurs, les jeux Forza Horizons en particulier, donc je suppose qu'ils peuvent tous survivre sous une certaine forme !

Merci à Martyn Chudley de nous avoir accordé cette exclusivité et une des rares interviews qu’il ait donnée depuis la fermeture de Bizarre Creations. Et nous remercions chaleureusement les intervenants de notre série qui font de Rest In Play une chronique si particulière. Merci à eux pour leurs réponses et leur temps offert. Retracer l’histoire de leurs studios ne serait pas aussi enrichissant sans eux.

 

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