Rest In Play est une nouvelle chronique ayant pour but de revenir dans les moindres détails sur des entreprises du passé qui sont parfois oubliées. Que ça soit pour redonner leurs lettres de noblesse ou bien pour rappeler des moments et périodes plus douloureuses pour l’industrie du jeux vidéo, nous en parlerons avec sincérité, mais toujours empreint de bienveillance dans la teneur de nos propos. Pour inaugurer cette nouvelle série d’articles, nous avons décidé de débuter avec un studio français : Titus Interactive, entreprise derrière Superman 64 ainsi que Robocop. 

La création du studio

C’est en 1985 que l’entreprise Titus Interactive est fondée par les frères Hervé et Eric Caen ainsi que Gil Espeche dans la commune de Raincy, dans le département de Seine-Saint-Denis en Île-de-France. Elle prend vie d’une volonté profonde d’entreprendre.  

À son départ, la société adapte et crée des jeux vidéo pour d’autres boîtes comme Infogrames Entertainment, France Image Logiciel, Loriciel ou encore Matra. Citons les jeux One (1986) sur Amstrad CPC et Thomson MO5, Erebus (1986) sur Thomson MO5, Atari ST, Commodore 64 et Amstrad CPC ou même Maddog (1986) sur Amstrad CPC et Thomson MO5. Les trois fondateurs et membres de Titus Interactive se partagent les développements et se répartissent les tâches, Eric, Hervé et Gil s’occuperont d’un projet spécifiquement du côté Game Design et de la programmation.

Mais grâce au succès de leur jeu Crazy Cars ils peuvent désormais se focaliser entièrement sur leurs propres créations. Viendront donc de leur studio : Balthazar, Magic et Top Gun. Au total plus d’une quarantaine de jeux paraîtront chez Titus Interactive sur les différentes plateformes comme la GameBoy, la GameBoy Color, la Nintendo 64, la Playstation ou encore les PC. 

L’apogée et le succès jusqu’à l’international

Titus Interactive voit grand, très grand. Voici l’épopée de la société en quelques dates clés.

En octobre 1996, dix ans après sa fondation, l’entreprise est cotée à la bourse Française dans la section OTC ("Over the counter" en anglais et "de gré à gré" en français est une expression employée dans la finance pour qualifier une transaction, un marché ou un titre s’échangeant à l’amiable, d’un commun accord. En général, la raison pour laquelle un titre s’échange en OTC est généralement que la société est trop petite et ne remplit donc pas les critères pour être listée sur une Bourse. Ces titres sont aussi appelés "hors cote". Définition faite par cafedelabourse.com).

En juillet 1997, Titus entre dans le "Nouveau Marché", un segment de cotation crée en France l’année précédente, en 96 ayant pour but de faciliter l’accès au marché financier à des jeunes entreprises et aux start-up. Ce marché disparaîtra en 2005. 

En 1998, afin d'étendre ses activités de développement et d'édition, Titus acquiert Digital Integration à Londres, un studio spécialisé dans les jeux de simulation de vol sur PC et BlueSky Software à Los Angeles, spécialisé dans les jeux PlayStation. 

1999, Titus détient une participation majoritaire dans Interplay Entertainment Corp. L'un des développeurs et éditeurs de jeux pour PC les plus populaires. Interplay Entertainment est à la base fondée et gérée par Brian Fargo, en 1983. Il est derrière des licences fortes et appréciées du public comme Fallout, Baldur’s Gate ou Earthworm Jim. Suite à ce rachat, quelques temps après, Brian Fargo démissionnera et fondera InXile Entertainment. C’est donc Hervé Caen qui prit le poste de CEO, poste pour lequel il siège encore en 2021. Interplay commercialise ses produits par son propre biais mais aussi par celui de Digital Mayhem, de Black Isle Studios, de ses partenaires de distribution et de sa filiale à part entière Interplay OEM Inc.

Octobre 1999, Après l'investissement majoritaire dans l'éditeur de jeux américain Interplay, qui a acquis en février 1999 43,9% de Virgin Interactive Entertainment, Titus a maintenant accepté d'acquérir 50,1% supplémentaires de l'éditeur et distributeur Virgin Interactive Entertainment.

Avec ces acquisitions, Titus compte à ce moment là, 700 employés, dont 550 programmeurs, concepteurs et artistes. Titus ira même jusqu’à avoir 1000 employés à son actif par la suite.

Grâce à la distribution directe, aux distributeurs externes et aux accords de licence, Titus a établi un vaste réseau de distribution et une forte présence au fil des ans. Titus vend ses produits aux États-Unis et dans plus de 30 pays en Europe et en Asie. Possède des bureaux à Paris, Hambourg, Oslo, Cannes, Los Angeles, Tokyo et Londres.

Au cours de l’année fiscale 2000/2001 Titus Interactive ira jusqu’à enregistré un chiffre d’affaire net record, avec plus de 175 millions d’euros. Et 122 millions l’année suivante. 

À ce moment là, Titus est une société titanesque avec un nombre incalculable de studios et partenaires : Digital Integration, BlueSky Software, Interplay Entertainment, Digital Mayhem, Black Isle Studios, Virgin Interactive Entertainment, Palace Software, Eye One etc. Ainsi que des filiales comme Avalon Interactive, responsable de la distribution européenne des jeux du groupe. Avalon a distribué des jeux pour toutes les principales plateformes (PC, GameBoy Advance, PlayStation®2, GameCube, Xbox...)

Une chute douloureuse et foudroyante

En 2003, rien ne va plus au sein de l’entreprise, alors qu'ils annoncent leur mise en redressement judiciaire. La société était en cessation de paiements et un administrateur judiciaire est mandaté pour surveiller le déroulement de cette période de redressement. Le groupe poursuit tout de même sa restructuration débutée en 2002 avec des licenciements économiques et la fermeture d’un de ses studios de développement, Eye One, situé en Norvège. (Source : https://www.gamekult.com/actualite/titus-restructure-black-isle-ferme-29980.html)  

Pour l’exercice 2002/2003, clos au 30 juin 2003, le chiffre d’affaires consolidé du Groupe Titus Interactive atteint 46,5 millions d’euros. Bien loin des 122 millions enregistrés l’année précédente, l’effondrement est plus que palpable.

Au cours du premier trimestre 2004, les ventes réalisées aux Etats-Unis par la filiale américaine Interplay s'avèrent décevantes. Un résultat dû, selon la direction du groupe, à des problèmes de réorganisation du distributeur Vivendi Universal Games. L'état financier de Titus place la société dans l'incapacité de développer de nouveaux jeux. Elle tente alors de vendre Interplay. Sans succès. 

La société Titus Interactive est contrainte de fermer ses portes en 2005. 

Interplay Entertainment existe toujours cependant grâce à plusieurs cessions d'actifs depuis 2002, dont la vente du studio Shiny Entertainment à Infogrames, ce qui a permis de désendetter la société. 

D’autres studios ont pu survivre ou même, ressuscité, comme c’est le cas pour Black Isle Studios qui, après s’être éteint en 2003 suite à son rachat par Titus Interactive renaîtra de ses cendres en 2012, 9 années après. 

Le cas Superman 64

Pour beaucoup d’entre vous, Titus rime très certainement avec le désastre vidéoludique qu’est Superman sur la console Nintendo 64 un jeu ayant reçu un accueil de la presse et des joueurs plus que mauvais. Et ce, à juste titre. Sortie chez nous le 29 mai 1999 cette adaptation en jeu vidéo de la série animée Superman l’Ange de Metropolis nous mettra dans la peau de Clark Kent et nous fera parcourir divers niveaux au level design très peu inspiré. Victime d’un gameplay calamiteux et d’une maniabilité atroce le jeu sera véritablement un supplice à jouer. Rajoutons à tout cela le fait qu’il sortira déjà dépassé graphiquement, bien loin des standards de la console comme Banjo-Kazooie ou Super Mario 64. Il est mis au rang, pour beaucoup de joueurs, de pire jeux vidéo de tous les temps. 

Le cas RoboCop

Quelques années après, rebelote, Titus réitère avec un nouveau désastre industriel tiré d’une licence très célèbre, RoboCop. Un second jeu plus que mauvais à leur actif, massacré par la presse et les joueurs, le jeu paru tout d’abord le 30 avril 2003 sur PC puis le 12 décembre 2003 sur Playstation 2 ainsi qu’Xbox et le 25 juin 2004 sur Nintendo GameCube. Il laissera un goût plus qu’amer aux joueurs et fans de l’univers de RoboCop. Tant il est dépassé techniquement et toujours aussi désagréable en main avec un système de viser laborieux. 

Entretien avec Éric Caen

Éric Caen (co-fondateur et PDG) échange avec nous. Comment l’idée vous est venu de monter cette société ? 

J’ai commencé à coder quand j’avais 14 ans, et j’ai passé plus de temps au lycée à coder en assembleur sur des listings que je retapais le soir sur mon Commodore 3032 que de travailler les matières officielles… Résultat : deux bacs ratés malgré des notes honorables en Math et Physique (mais c’est tout). À 15 ans mon premier jeu est publié par Ellix, la boutique d’informatique de Laurent Weil, qui montera ensuite Loriciel. À 19 ans, donc, une vingtaine de sociétés du très jeune secteur voulaient me voir ou me proposer de les rejoindre, et alors mon frère (Hervé) de 4 ans mon aîné s’est dit qu’il devait y avoir un marché et que nous devrions faire du service pour tous ces éditeurs de jeu… Par exemple en convertissant des jeux d’un ordinateur à un autre (de Commodore 64 vers TO7, ou les jeux éducatifs de plan Informatique pour Tous de Thomson vers Excelvision). EH Services était né le 15 Avril 1985.

Après 18 mois incroyables où nous étions déjà une vingtaine, nous avions considéré qu’il était temps d’avoir nos propres jeux… Titus était né ! Les petits profits réalisés dans le service furent réinvestis dans nos créations… Nos premiers jeux ne furent des gros succès, jusqu’à Crazy Cars que j’ai codé en quatre mois entièrement en C, sur Commodore Amiga, avant de l’adapter à l’Atari ST, IBM PC (CGA 4couleurs), etc...

Quelle était la philosophie de l’entreprise, ce que vous vouliez d’elle ? 

Nous n’avions pas vraiment de philosophie à part travailler non stop, dur, pour réussir à faire les jeux fins, poussant les limites des contraintes techniques de micro ordinateurs 8 et 16 bits… En codant en assembleur, en essayant de faire aussi bien que nos modèles Nintendo, Namco, Electronic Arts…

Au bout de plusieurs années nous nous sommes dit que nous pouvions en faire un leader mondial avec comme rêve « atteindre le top 10 mondial » pour être insubmersible.

Qu’est-ce qui vous a fait croire aux jeux vidéo a l’époque où c’était encore un marché marginalisé ?

Ce n’est pas qu’on y croyait mais on savait coder vite et avec des bons résultats. On savait bosser en mode « hyper agile » en décidant en live tout ce qui fait un jeu, y compris son marketing… Même si bien sûr, on a pas fait que des hits

Quel moment fort retenez vous dans tout ça ? 

Il y en a eu tellement ! On a quand même amener Titus Interactive en bourse, atteint le  douzième rang mondial avec 175 millions d'euros de chiffre d'affaire en 2000, et environ mille personnes. On a vendu vingt millions de jeux en vingt ans (pas des jeux gratuits en freemium, ou des jeux à un dollar, mais des jeux entre vingt et soixante euros ! Soit plus d’un demi-milliard de chiffre d'affaire, pas mal pour deux frangins de Montfermeil, non ? En 1998, Titus fut même le record de la bourse de Paris tous marchés confondus avec +350% dans l’année…

Une anecdote drôle à raconter, dans cette industrie ?

Il y en a tellement… Un matin juste avant de partir de chez moi pour rejoindre le bureau de Titus, je vois ma fille qui devait avoir un an dans le panier de notre gros berger allemand à poil long, avec un grand sourire. Sur la route, l’évidence me frappe, et en arrivant je dis au graphiste qui travaillait sur les sprites des personnages du jeu Prehistorik Man SNES que le personnage devrait courir à quatre pattes comme un chien…

Quelques mois plus tard, nous exposons au CES avec un petit stand sur le très grand de Nintendo, et alors que mon frère et d’autres de l’équipe partent déjeuner, je vois quelqu’un s’approcher du jeu en démonstration… Je n’en crois pas mes yeux car je crois bien reconnaître la silhouette… Je m’approche et j’ai le souffle court… L’homme regarde Prehistorik Man, je prends la manette pour lui montrer la course à quatre pattes du héros… Il se tourne vers moi, me sourit et m’indique qu’il aime bien, avant de rapidement quitter notre stand, car à l’époque Shigeru Miyamoto ne parlait pas très bien anglais… Je venais de montrer à mon dieu vivant pendant une minute environ ce que ma fille m’avait inspiré.

Comment avez-vous vécu la fin de cette grande aventure ?

C’est toujours difficile mais ce fut une aventure incroyable, singulière, et j’ai appris tellement pendant ces vingt ans.

Que devenez vous aujourd’hui ? 

Je suis le Chief Digital Officer du groupe Crédit Agricole.

Jouez-vous encore aux jeux vidéo ? 

Je n’ai jamais beaucoup joué (sauf aux Mario et à Zelda). Ce qui m’intéresse depuis toujours c’est de comprendre comment les jeux sont faits, ce qui les rend fun, addictifs, intéressants… Comment dépasser les contraintes techniques. Comment innover, trouver des nouvelles façons de passionner les joueurs…

Comment vous, vous avez ressenti la chose en voyant les retours sur Superman 64 ou bien RoboCop ? Vous y attendiez vous ? 

Nous en avons vendu beaucoup… Le niveau d’attente, surtout des américains, pour Superman était tellement haut, et nous avons eu trop d’ambition, c’est à dire que nous pensions pouvoir faire un jeu avec un univers 3D entier ouvert… C’était visionnaire mais c’était trop tôt, et Warner ne nous a pas aidés non plus… Robocop était bien meilleur.

Nous remercions chaleureusement les intervenants de notre série qui font de Rest In Play une chronique si particulière. Merci à eux pour leurs réponses et leur temps offert. Retracer l’histoire de leurs studios ne serait pas aussi enrichissant sans eux. 

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