Le Comics Code est une notion à part entière de l’histoire des comics. S’il est désormais abandonné, il a néanmoins été (plus ou moins) appliqué durant de nombreuses décennies chez tous les éditeurs mainstream. La rédaction de Superpouvoir vous propose via une longue série d’articles de revenir sur cette histoire aux rebondissements multiples. Afin de prolonger cette série d’articles, nous vous proposons de voir l'évolution du Code depuis sa mise en place et les éléments qui ont conduit à sa fin.

Épisodes précédents :

Avant toute chose, on rappelle que le Comics Code n’était pas obligatoire, mais que son absence sur la couverture des comics pouvait permettre aux vendeurs de pouvoir les retourner sans explication. Cela pouvait aussi influencer la décision des annonceurs concernant les achats d’espaces publicitaires à l’intérieur des revues.

Des comics sans le Code !

Il serait faux de penser que tous les comics produits depuis 1954 avaient le sceau du Comics Code. Dès les années 60, la grande vague des comics underground réalisés par des auteurs comme Trina Robbins ou Robert Crumb était diffusée sans le fameux sésame. Il faut dire que les comics satyriques ou provocateurs produits par ces auteurs ne rentraient absolument pas dans les critères de ce dernier. Mais ce n’était pas un problème car la plupart de ces publications underground n’étaient pas publiées en kiosque mais dans des magasins spécialisés dans la contre-culture et les drogues douces, nommés « head shops » et qui étaient en vogue à l’époque. De la même manière, tous les comics au format magazine, distribués directement via la presse, n’étaient pas soumis à l’injonction du Comics Code. C’est ce qui a permis à Marvel de sortir quelques magazines un peu plus adultes, comme Howard The Duck magazine ou Savage Tales dans les années 70 ou encore Epic Illustrated dans les années 80. Certains magazines étaient toutefois publiés avec le tampon du Comics Code.

Comics Code

Howard The Duck Magazine #1, Marvel Comics

Une première évolution en 1971

C’est en 1971 que le Comics Code va être révisé une première fois. Les temps changent, les avancées concernant les droits civiques et la défiance envers le gouvernement et la guerre du Vietnam grandit et le Code doit toutefois se mettre à la page. Premièrement, l’article mentionnant que « les illustrations suggestives et salaces, de même que les postures suggestives sont inacceptables » est amendé : la mention « postures suggestives » est supprimée. 

De la même manière, l’article « Les crimes ne devront jamais être présentés de manière à générer de la sympathie pour les criminels » est révisé. Ils sont désormais permis si à la fin la justice est rendue et le coupable puni. Il est aussi désormais autorisé de montrer la mort d’officiers de police par des bandits.

Mais le plus important, c’est le retour des monstres ! En effet, le Comics Code autorise désormais l’utilisation des vampires et des loups-garous s’ils sont toutefois décrits dans la tradition des grands auteurs comme Edgar Allan Poe, Mary Shelley ou Conan Doyle. L’effet est quasi-immédiat : on assiste dès les mois suivants à une résurgence des revues d’horreur. Chez Marvel, on lance des séries comme Tomb of Dracula, Ghost Rider ou encore Werewolf by Night. DC quant à lui se lance dans des anthologies d’horreur comme House of Mysteries. À noter aussi l’apparition des deux créatures des marais : Swamp Thing et Man-Thing !

Toutefois, le Code interdit toujours d’utiliser les zombies ! Mais qu’à cela ne tienne : Marvel va trouver un moyen de contourner le problème en utilisant le mot « zuvembie », un monstre sans âme crée par le romancier Robert E. Howard, le créateur de Conan le barbare dans une nouvelle publiée en 1936. Ce terme de substitution sera utilisé jusque dans les années 80 et l’utilisation des zombies ne sera officiellement autorisée par le Code que lors d’une nouvelle révision en 1989 ! Si le Code a fait quelques concessions, toute mention de drogue est encore interdite. Ce qui ne va pas durer très longtemps.

Comics Code

Strange Tales #169, Marvel Comics

Stan Lee, le Comics Code et la drogue

Tout commence lorsque Stan Lee, devenu le visage des comics depuis le succès de ses publications Marvel, reçoit en 1971 une lettre du Département de la jeunesse, de la santé et de l’éducation. L’instance gouvernementale, reconnaissant la popularité des comics et de Spider-Man sur les jeunes lecteurs, pense à utiliser ce medium pour faire passer un message concernant les effets néfastes de la drogue. Elle demande même à Stan Lee de le publier au sein d’une histoire de Spider-Man, le héros le plus populaire ! Stan Lee, toujours à la pointe du combat concernant les problèmes de société, s’exécute et propose une histoire en trois parties (Green Goblin Reborn) où Harry Osborn, le meilleur ami de Peter Parker, est victime d’une overdose. Ce n’est toutefois qu’une intrigue parmi d’autres ! Le scénariste ne voulait pas donner à ses lecteurs l’impression de faire un sermon. Gros problème, la mention de toute drogue (même sous la forme de pilules) est interdite par le Comics Code, qui refuse d’approuver la publication. Lee a beau argumenter sur le fait qu’il s’agit d’une demande gouvernementale et que c’est une histoire contre la drogue, le Code reste inflexible – à sa décharge, le président de la Comics Code Association était très malade et la décision a été entérinée alors par son remplaçant. Lee prend alors la décision courageuse de publier son triptyque sans l’autorisation du Code, ce qui n’est alors jamais arrivé à Marvel. Il en réfère à Martin Goodman, le président de Marvel qui lui donne le feu vert. C’est un risque important mais les deux hommes veulent tenter le coup. L’histoire est relayée dans divers journaux (notamment le New York Times), ce qui amplifie la publicité autour du titre, qui se vend presque mieux que les autres ! Les numéros 96, 97 et 98 de Spider-Man sont un succès sans l’approbation du Comics Code, qui ne réagit pas. Le pari est gagné !

Comics Code

Amazing Spider-Man #97, Marvel Comics

Il n’y a qu’une seule personne qui n’apprécie pas la situation, c’est Carmine Infantino, le rédacteur en chef de DC Comics, qui avait clamé sur tous les toits que jamais il ne publierait un comics sans l’approbation du Comics Code.  En réalité, il n’apprécie pas vraiment que Marvel lui ait grillé la politesse. Et surprise, quelques mois plus tard, le numéro 85 de Green Lantern/Green Arrow nous montre en couverture Speedy, le jeune sidekick de l’archer vert devant une seringue et une dose d’héroïne. La couverture, signée Neal Adams, est très choquante : on est déjà très loin des pilules indéterminées qu’avalait Harry Osborn. Mais ce qui surprend le plus, c’est surtout le tampon du Comics Code sur la revue. Finalement, l’instance a choisi de changer son fusil d’épaule et d’autoriser la mention de substances illicites si elle est décrite sous un jour défavorable. Contrairement à ce que l’on peut entendre, ce n’est pas Stan Lee qui a fait changer les règles du Comics Code, mais en poussant au maximum la démonstration, il a obligé l’instance régulatrice à infléchir ses positions.

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Green Lantern/Green Arrow #85, DC Comics

Les comics des années 70 vont progressivement devenir plus violents, plus sombres, sans que le Comics Code n’y trouve à redire.

Les années 80 et 90

Dans les années 80, c’est l’avènement des comics-shops, c’est-à-dire des boutiques consacrées uniquement à la vente de comics pour tous les lecteurs. De fait, le Code n’a déjà plus vraiment d’importance. En 1985, DC commence à proposer les épisodes de Swamp Thing d’Alan Moore sans le fameux Code sur la couverture. Ce qui n’impacte pas vraiment les ventes puisque ce dernier est déjà presque exclusivement lu par des adultes. Arrivent alors Dark Knight Returns et Watchmen, publiés eux aussi sans l’approbation du Comics Code, et ce dernier devient dépassé. Les récits sont plus sombres, la violence quasiment présente à chaque page et la déconstruction des histoires pousse le Code à se simplifier encore. Les éditeurs peuvent désormais publier des titres sans le fameux sceau, en mettant la mention « For Mature Readers » (destiné à un public adulte) sur sa couverture. Ce changement entraîne de fait l’apparition de nouvelles lignes adultes, comme Vertigo, Helix et Wildstrom toutes publiées chez Marvel ou DC. À noter que c’est d’abord sous le couvert de la ligne Helix que sort le très transgressif Transmetropolitan de Warren Ellis et Darick Robertson.

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Transmetropolitan #1, DC Comics

Les années 2000, X-Force et la fin du Comics Code

Dans les années 2000, les publicitaires ne font plus attention à la mention du Code sur les publications et ce dernier n’a quasiment plus aucune importance. Et c’est un titre Marvel qui va précipiter sa fin. Marvel a en effet changé de président et de rédacteur en chef. Bill Jemas, Joe Quesada et Axel Alonso ont pour but de secouer le cocotier et de présenter des comics plus excessifs, plus matures avec les X-Men de Grant Morrison, le Spider-Man de Joe Straczynski et surtout le X-Force de Peter Milligan et Mike Allred.

Et les deux auteurs poussent le bouchon assez loin : dès leur premier épisode, la violence est décrite de manière assez crue, avec des tripes et des boyaux apparents et le sexe est omniprésent. Et en aucun cas le Comics Code n’aurait pu autoriser cela. Plutôt que de demander à ses auteurs de se restreindre, Jemas et Quaesada décident donc de publier, pour la première fois depuis 1971, un comics « mainstream » (X-Force n°116, 2001) sans l’approbation du Code. Il y a bien évidemment une autre idée derrière cela. Les responsables de Marvel veulent en réalité envoyer un signal très important aux créateurs pour leur signifier qu’ils auront, à l’instar de DC Comics, les mains libres chez Marvel ! Pour rassurer toutefois les familles, Marvel annonce qu’il va créer son propre code de lecture, semblable à celui utilisé pour les films. Il faudra attendre dix ans de plus pour que DC Comics (qui a toujours eu un train de retard sur ce sujet) laisse tomber lui aussi le Comics Code pour utiliser son propre système. C’est la fin de ce dernier, dont le logo (le fameux sceau) est racheté quelques mois plus tard par le Comic Book Legal Defense Fund, une organisation créée pour protéger les auteurs et la liberté d’expression.

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X-Force #116, Marvel Comics

Une liberté totale ?

Depuis, les comic books n’utilisent officiellement plus de Code de bonne conduite commun, ce qui ne signifie pas toutefois les fins des restrictions. Comme avant 1954, chaque compagnie possède son code interne, qui a déjà abouti à plusieurs révisions artistiques sans l’autorisation de leurs auteurs. On se rappelle notamment de la polémique autour du sexe apparent de Batman (immédiatement effacé) dans une bande dessinée signée Brian Azzarello et Lee Bermejo. Chez Marvel, c’est le dessinateur Greg Smallwood qui a subi les foudres de la branche Standards and Practice qui a retouché ses dessins en février 2022 sous prétexte d’une « meilleure représentation des minorités ».

La question de la censure, des retouches et de la bienséance a donc encore de beaux jours devant elle. La rédaction de Superpouvoir espère que cette (longue) série d’articles vous aura permis de découvrir les situations d’hier afin de pouvoir, nous l’espérons, mieux appréhender les problèmes d’aujourd’hui.

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