Le Comics Code est une notion à part entière de l’histoire des comics. S’il est désormais abandonné, il a néanmoins été (plus ou moins) appliqué durant de nombreuses décennies chez tous les éditeurs mainstream. La rédaction de Superpouvoir vous propose via une longue série d’articles de revenir sur cette histoire aux rebondissements multiples. Aujourd’hui, nous allons nous intéresser à une figure majeure de cette histoire : le Dr Frederick Wertham.

Épisodes précédents

Des scènes de plus en plus violentes

Les autres éditeurs, à l’assise financière beaucoup moins large, n'ont pas en tête de publier des récits tout publics : les grandes franchises pour enfants comme les dessins animés étant déjà toutes sous licence, ils recherchent un profit immédiat que seules des histoires spectaculaires et violentes peuvent leur apporter. Uniquement créées dans le but de se faire remarquer, plusieurs histoires proposent des dessins à la limite du supportable comme par exemple dans le magazine True Crime Comics en 1947 où une jeune femme se fait presque crever l'œil en gros plan par une aiguille (il s'agit d'une scène de cauchemar illustrée par Jack Cole le créateur de Plastic Man).

Création du Comics Code

Une image assez choquante, Crime does Not Pay, Lev Gleason. Dessin de Jack Cole

Si les Crime Comics, premières victimes des procès d'intention de la presse bien-pensante, se sont retrouvés mis au banc des accusés aussi rapidement, c'est parce que le fondement même de leur existence est contradictoire. En effet, ces revues veulent adapter des histoires policières violentes destinées à un public pour adulte dans un format que la grande majorité du public considère (à raison) comme destiné aux enfants et aux adolescents. Même s'ils ne sont pas, et de loin, les comics les plus vendus dans un marché dominé par Dell et National (Jean Paul Gabilliet considère dans son livre Des Comics et des Hommes que ces derniers ne représentent au mieux que 10% de part de marché à la fin des années 40), la place des Crime Comics dans l'histoire de la bande dessinée américaine est constamment surévaluée puisqu'il s'agit du genre qui aura certainement fait le plus parler de lui durant cette période.

Certaines voix commencent donc à s'insurger contre le contenu de plus en plus macabre et violent des Crime Comics dès 1948, incluant par extension la totalité des comic books dans la polémique. Une campagne de presse très agressive voit alors le jour, initiée par des articles sans concession signés par un psychiatre de renom, le docteur Fredric Wertham.

Création du Comics Code

Frederick Wertham lisant des comics

Enter : Frederic Wertheimer

Frederic Wertheimer est né en 1895 en Allemagne. Juif non pratiquant, il passe son enfance en Angleterre dans une famille plutôt aisée et c'est à cette époque qu'il commence à s'intéresser au monde de la médecine. Affecté dans une clinique Londonienne durant la première guerre mondiale, il décide de se spécialiser plus particulièrement dans la psychiatrie et les causes physiques des différentes psychoses. Il s'installe aux Etats-Unis quelques années plus tard et change son nom en Fredric Wertham, persuadé que les Américains détestent les Allemands et que son patronyme complet pourrait porter préjudice à sa carrière et ne pas lui permettre de s'installer durablement. Il pose définitivement ses valises à New York dans les années 20 et devient officiellement psychiatre. Il commence alors à fréquenter l'intelligentsia d'extrême gauche au contact de laquelle il développe des idées bien arrêtées sur les dangers du consumérisme et de la culture de masse. Rapidement reconnu et apprécié, il travaille parfois avec la police de New York qui n'hésite pas à lui demander son avis d'expert psychiatre afin d'établir le profil de suspects lors d'enquêtes criminelles. Convaincu que la psychiatrie est l'une des seules manières de venir à bout des comportements violents, il ouvre en 1946 un dispensaire gratuit à Harlem afin d'offrir un suivi médical aux populations les plus défavorisées et qui n'ont pas les moyens de se payer des séances de psychanalyse.

C'est au cours de ses nombreuses sessions de travail avec de jeunes délinquants qu'il fait l'association entre violence et comic books. En effet, il remarque que la majorité de ses jeunes patients lit régulièrement des comics de crime et en tire la conclusion que les revues de ce type sont un facteur aggravant de leur comportement. Ce qu'oublie Wertham, c'est que 90% des adolescents de l'époque lisent des comics et qu'il semble donc logique que les jeunes délinquants soient eux aussi des lecteurs occasionnels de bandes dessinées. Mais ce type de contre-argument ne le déstabilise pas du tout : persuadé de sa théorie, il publie dès 1948 (dans le très sérieux magazine Collier's ) des articles dénonçant l'influence néfaste de ce medium sur la jeunesse américaine. Une récente étude du professeur Carol Tilley de l'université de l'Illinois a d’ailleurs établi en parcourant les différentes notes de Wertham (qui étaient restées sous scellés jusqu'en 2010) et en les comparant à ses écrits officiels que beaucoup de cas et d'exemples avaient été consciemment déformés par le psychiatre afin de mieux coller à ses thèses. Selon Tilly, Wertham semble avoir sciemment omis certains détails lors de ses différentes interviews et conservé uniquement des éléments à charge. Quoi qu'il en soit, ses études sont à l’époque de leur publication reprises et approuvées par d'autres grands psychiatres de renom ou d'influents critiques comme Gershon Lagman et trouvent dans l'opinion publique un écho très favorable.

Création du Comics Code

Un autodafé de comics !

Un Bad Buzz inévitable

À la fin de la guerre, la société Américaine, pourtant en plein essor, est en effet plus que préoccupée par le problème de la délinquance chez les jeunes. Beaucoup de pères de famille (figures de l'autorité parentale) ne sont pas revenus du front et le nombre grandissant d'enfants sans modèle paternel devient une véritable inquiétude pour le pays, qui craint de les voir basculer dans la délinquance. Wertham choisit pour ses articles des exemples particulièrement parlants afin d'étayer ses propos, et il n'a pas à chercher très loin. Il lui suffit en effet d'ouvrir les pages d'un Crime Comics publié par une petite maison d'édition pour trouver des dizaines de meurtres macabres et de scènes de torture. Son discours se radicalise : non seulement il accuse ces derniers d'être un facteur aggravant de la délinquance juvénile, mais il propose purement et simplement leur interdiction aux moins de 16 ans mettant dans le même sac comic books, alcool et drogue comme élément déclencheur de la violence et de la conduite à risque. La multiplication d'articles de presse détaillant des crimes sordides commis par de jeunes garçons perturbés et soi-disant inspirés par les comics parachève le travail de sape de Wertham et de ses soutiens, et retourne au fil des années l'opinion publique à sa cause. On ne sait finalement pas pourquoi la presse joue un rôle aussi déterminant dans cette affaire en prenant fait et cause contre ce type de revues. Peut-être est-ce tout simplement un effet de mode vendeur ou peut-être parce que ce type de lecture était toujours considéré comme un sous-genre. En tout cas, si on peut contester les idées de Wertham, complètement biaisées, on ne peut absolument pas lui prêter des ambitions mercantiles. Wertham est persuadé de la justesse de sa cause, de son analyse et son but principal est véritablement la protection des mineurs et des jeunes en difficulté.

Quoiqu'il en soit, des associations de défense citoyennes, soutenues par des lobbys religieux, commencent à voir le jour un peu partout, manifestant bruyamment leur mécontentement et demandant le retrait immédiat de ces lectures "diaboliques" des kiosques à journaux et des supermarchés. Elles vont même jusqu'à organiser des autodafés, brûlant des comics par centaines aux pieds de bibliothèques ou d'églises. Le mouvement prend de l'ampleur et s'étend comme une traînée de poudre en dehors des frontières : le Canada instaure la loi Fulton en 1949 sur le contenu des publications destinées à la jeunesse au moment même où le Général de Gaulle fait passer une loi identique en France (pour information, la RDA adoptera une réglementation similaire en 1953 et la Grande-Bretagne en 1955).

Toute cette mauvaise presse va inciter les éditeurs de comics à régir. Pour pas grand-chose puisque tout tombera par terre quelques années plus tard. C’est ce que nous verrons dans notre quatrième partie : les ébauches d’un code et l’héritage de Charlie Gaines.

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