Le Comics Code est une notion à part entière de l’histoire des comics. S’il est désormais abandonné, il a néanmoins été (plus ou moins) appliqué durant de nombreuses décennies chez tous les éditeurs mainstream. La rédaction de Superpouvoir vous propose via une longue série d’articles de revenir sur cette histoire aux rebondissements multiples. Le Comics Code est désormais en place, et il va avoir des conséquences absolument désastreuses pour la plupart des compagnies de comics.

Épisodes précédents :

Une industrie déjà sur le déclin avant le Comics Code

La publication du Comics Code accroit de manière exponentielle l'effondrement du marché des comic books qui avait déjà commencé à régresser à partir de 1953. L'industrie a déjà, selon toute vraisemblance, atteint son pic de croissance en 1952 et les ventes commencent s'érodent depuis de manière indiscutable. De plus, la concurrence de la radio et surtout de la télévision en tant que moyen de distraction commence à se faire sentir. Quelques tentatives pour faire évoluer le medium, comme l'apparition des comics 3D fournis avec des lunettes bicolores (Captain 3D par les incontournables Simon et Kirby et publié par Harvey) se sont rapidement soldées par des échecs et l'apparition des supermarchés (qui remplacent petit à petit les kiosques à journaux), peu enclins à distribuer des revues avec une aussi faible marge de rentabilité, n'arrange pas les affaires des éditeurs. Fawcett, (la compagnie qui publie Captain Marvel/Shazam) laisse tomber en 1953 sa ligne de comic books, comme si la firme avait anticipé la future implosion du marché et préféré stopper net ses activités avant de perdre de l'argent.

Captain Marvel Adventures, Fawcett

Des compagnies meurent

Plusieurs compagnies cessent totalement leurs activités après la création du Code. L'une des premières à mettre la clef sous la porte est bien évidemment Lev Gleason qui a basé sa stratégie commerciale uniquement sur les Crime Comics. Timely réduit drastiquement ses effectifs et laisse tomber pas mal de titres anthologiques tandis qu'Harvey Comics réduit sa production aux personnages inoffensifs issus des dessins animés dont il a la licence, comme Casper le fantôme, Richie Rich ou Little Lulu.

Et que dire d'EC ! Bill Gaines essaye en tout premier lieu de publier ses revues sans l'accord de la commission du Comics Code, mais lorsque la quasi-totalité de ses exemplaires lui sont retournés sans même avoir été déballés, il se résigne la mort dans l'âme à y adhérer. Cela signe bien évidemment l'arrêt de mort d'EC qui disparait des stands quelques mois plus tard. Gaines réussit pourtant à sauver du naufrage la revue Mad en la transformant en magazine de presse adulte, qui lui permet d'échapper aux contraintes du Code. C'est une véritable aubaine pour Mad qui trouve enfin son public et devient une publication culte. Son seul succès permet même à Gaines de regagner de l'argent !

Harvey Comics

Une tragédie pour les auteurs

En 1956, le nombre de Comics publiés à diminué de moitié par rapport à 1952 ! C'est la débandade chez les scénaristes, les éditeurs et les dessinateurs puisqu'une quinzaine de compagnies (sur quarante) ferment définitivement leurs portes. La plupart des auteurs, âgés maintenant d'une quarantaine d'années et menant une vie de famille bien établie, se voit ainsi obligée d'aller chercher du travail en dehors de l'industrie afin de payer les crédits en cours et de subvenir aux besoins de leur famille. Gene Colan, Charles Biro et John Buscema s'exilent dans des agences publicitaires (John demande même à son jeune frère Sal de le rejoindre) tandis que Jack Cole se met à travailler pour Hugh Hefner et Playboy avant de se suicider. Will Eisner réalise des magazines pour l'armée et Jerry Robinson entre à l'université comme professeur de dessin. Bill Everett trouve du travail dans une entreprise de cartes de visite et Don Heck, qui réalisait la plupart des comics Timely, conçoit des designs pour une compagnie de modèles réduits spécialisée dans l’aviation. Mike Sekowsky, qui a réalisé les meilleures bandes dessinées de l'époque (dont la JSA ou Millie The Model) se retrouve même caissier dans une superette ! Tous reviendront quelques années plus tard sauf Biro, qui estime que "l'industrie du comic book a plus besoin de Biro que Biro de l'industrie".

Pour les dessinateurs qui ont encore du travail, la situation devient difficile. Toutes les compagnies se voient obligées de diminuer leur rémunération à la page afin de pouvoir franchir le cap. Même National (selon le dessinateur Carmine Infantino) baisse ses tarifs par page de 3 dollars afin de compenser la baisse des ventes dues à la mauvaise réputation des comic books. Ceux qui restent, comme Gil Kane, n'ont pas d'autres choix et acceptent cette diminution de leurs revenus sans broncher. Infantino avoue même dans son livre Amazing World Of Carmine Infantino que les bureaux de DC n'ont plus recruté de dessinateurs pendant des années et que ces derniers vivaient en vase clos, presque honteux de leur travail.

Amazing World of Carmine Infantino, Vanguard Productions

Le destin de Marvel, sauvé par DC Comics

Toujours pour des raisons économiques, Martin Goodman arrête de distribuer lui-même ses revues et confie la tâche à l'un des plus grands groupes de l'époque : l'American News Company chargée, entre autres, des comics Dell. Bien mal lui en prend car quelques mois plus tard, en 1957, la compagnie de distribution est accusée de fraude et doit fermer boutique. Plus de la moitié des éditeurs de comics qui avaient survécu au Comics Code viennent de perdre leur unique distributeur !

Timely est au bord du gouffre et c'est ironiquement Jack Liebowitz, le sous-directeur de National (DC Comics) et sa firme Indépendant News qui viennent à la rescousse de leur concurrent direct. Le geste n'est pas désintéressé puisque Liebowitz lorgne en réalité sur les magazines pour hommes de Goodman qui se vendent plutôt bien. Il propose un contrat global pour l'ensemble de ses magazines à Timely, qui inclut en corollaire la distribution de huit comic books par mois seulement. Si Liebowitz ne réussit pas à attirer les funny animals de Dell dans ses filets, il profite tout de même de la fermeture d'ANC pour récupérer la distribution des magazines Playboy et Mad. Goodman vient se sauver sa firme de justesse, mais à de terribles conditions. Contraint de diminuer sa production de plus de moitié, il demande à son éditeur en chef (l'indéboulonnable Stan Lee) de licencier la moitié du personnel de Timely"ça a été la journée la plus difficile de ma vie", avouera plus tard le futur créateur de Spider-Man en interview. Lorsqu'il téléphone à John Romita pour lui signifier que Timely n'a plus besoin de ses services, ce dernier promet à sa femme de ne plus jamais lui adresser la parole !

La rupture entre Joe Simon et Jack Kirby

Le déclin de l'industrie apporte au monde des comics une autre conséquence inattendue : la rupture entre Simon et Kirby après presque vingt ans de travail en commun ! Il faut dire que les deux amis sortent de l’échec de leur ligne de comics Mainline, pour laquelle ils ont créé en 1953 le comics Fighting American, qui n’a duré que sept numéros. Après l'adoption du Comics Code, les temps sont durs et même des superstars du medium comme eux se voient obligés d'accepter tous les travaux possibles afin de maintenir leurs revenus. Simon a alors une idée géniale pour gagner du temps : il réutilise pour la revue In Love (chez Mainline) les dessins d'une histoire que Kirby a réalisés pour Crestwood et en change uniquement les dialogues pour en faire une histoire nouvelle. Bien évidemment Crestwood, qui emploie aussi les deux artistes, n'est pas ravie par l'opération mais Simon est sûr de son fait : rien dans le contrat qu'ils ont signé avec la compagnie ne leur interdit cette réutilisation des dessins. Crestwood arrête alors de les rémunérer, ce qui amène à un règlement à l'amiable devant le juge. Simon et Kirby repartent avec 10 000 $ chacun mais les tensions entre les deux artistes sont désormais palpables. Joe part finalement travailler pour Archie Comics puis dans la publicité lors de la fermeture de Mainline, qui se produit quelques semaines après les résultats de la commission Kefauver.

Fighting American, Harvey Comics

Cinq années de transition

À la fin des années 50, l'industrie du comic book est au plus bas. Beaucoup d'auteurs sont partis voir ailleurs et la moitié des compagnies ont fermé. Les funny animals restent le genre dominant avec les westerns, les teen comics et les comics de guerre qui ne sont pas impactés par le Comics Code en raison de leur haute teneur patriotique. Les compagnies qui ont survécu au Comics Code et à la fermeture de l'American News Company sont obligées de réduire drastiquement leurs dépenses et leur production. Dell et ses adaptations de dessins animés reste la compagnie numéro 1, suivie par National/DC Comics, Archie Comics et Charlton Comics. Timely est n'est quasiment plus constituée que de Stan Lee, de son frère Larry Lieber et de quelques dessinateurs "freelance". Elle s'est de plus vue contrainte d'accepter un contrat de distribution drastique avec Independant News, la principale bénéficiaire de la chute d'AMC et qui en a profité pour récupérer de nombreux magazines dans son escarcelle. Les super-héros ont presque tous disparu et les limitations du Code vont obliger tous les éditeurs à développer le genre de la science-fiction, totalement épargné par le Code en raison du peu d'intérêt qu'il suscite chez les lecteurs. Cette période, qui s'étend de 1954 à 1960 peut véritablement être considérée comme une période transitoire, qui permet aux compagnies de s'adapter à leurs nouvelles limitations et d'imposer de nouveaux genres moins subversifs. Le Golden Age des comics vient de prendre fin. Plus jamais ces derniers ne connaîtront une telle envolée et un tel développement.

Un nouvel espoir

Ce n'est pourtant pas la fin de l'histoire puisque National justifie encore une fois son statut de maison d'édition d'avant-garde en mélangeant un genre qui ne fait plus recette (les super-héros costumés) avec des récits de science-fiction, pas touchés par les contraintes du Code. La deuxième déferlante de l'industrie des comics va bientôt voir le jour, signant le début du Silver Age (l'âge d'argent). C’est en effet cette combinaison qui va nous donner toutes les nouvelles versions des super-héros du Golden Age, en commençant par la mise à jour de Flash (Barry Allen). Quant à Marvel, il est inutile de vous raconter son histoire. Stan Lee, aidé de Jack Kirby revenu au bercail va tout simplement changer à jamais le monde des comic books.

La série d'articles sur la création du Comics Code touche à sa fin. Dans une dernière partie, nous verrons comment ce dernier a évolué pour finalement disparaitre autour des années 2000. Nous ferons aussi un point sur la censure en France.

(Image : © DC Comics) 

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