Le Comics Code est une notion à part entière de l’histoire des comics. S’il est désormais abandonné, il a néanmoins été (plus ou moins) appliqué durant de nombreuses décennies chez tous les éditeurs mainstream. La rédaction de Superpouvoir vous propose via une longue série d’articles de revenir sur cette histoire aux rebondissements multiples. Nous suivons le chemin de la maison d’édition EC, qui a poussé le curseur extrêmement loin dans la provocation. Et nous allons nous intéresser aujourd’hui à une légende des comics, Harvey Kurtzman ainsi qu’à la multiplication des titres d’horreur.

Épisodes précédents :

 

Une enfance chaotique

Harvey Kurtzman est né en 1924 à Brooklyn et comme la majorité de ses contemporains dans le monde des comics c'est un fils d'immigrés juifs en provenance d'Odessa. S'il ne renie pas sa religion, Kurtzman n’est pas un pratiquant fidèle puisqu'adolescent il refuse sa bar-mitsvah. À la mort de son père (alors qu’il était encore très jeune), sa mère, par manque de revenus suffisants, se voit obligée de le placer lui et son frère dans un orphelinat où ils restent quelques mois le temps qu'elle se remarie avec un syndicaliste communiste venu de Russie. Toute la famille déménage alors dans le Bronx.

Harvey est souvent décrit comme un enfant très intelligent (il saute même une classe) et surtout très attiré par le dessin lorsqu'il découvre les strips d'Alex Raymond ou le Spirit de Will Eisner qu'il considère comme la meilleure bande dessinée du monde. Poussé par son beau-père (et après avoir remporté quelques concours de dessin), il entre à la High School Of Music & Art où il rencontre Al Feldstein et John Severin qui travailleront avec lui chez EC quelques années plus tard.

The Art of Harvey Kurtzman, Denis Kitchen & Paul Buhle

Des débuts alambiqués chez Marvel !

Diplômé en 1941 à l'âge de seize ans, il décide d'embrasser la carrière d'artiste de comic book. Après quelques refus, il réalise l'un de ses tout premiers travaux professionnels chez Gilberton avec le Classics Illustrated #5 : Moby Dick. Il est alors appelé sous les drapeaux en 1943 mais ne part pas au front : il reste en effet cantonné dans des casernes à travers tous les Etats-Unis où il réalise des dessins pour des manuels militaires ou des affiches. Après la guerre, il décroche finalement un travail régulier chez Timely lorsque Stan Lee lui propose de réaliser un strip d'une page pouvant servir de bouche-trou dans les revues de la firme et baptisé Hey Look ! C'est d’ailleurs dans les bureaux de Timely qu'il rencontre Adele Hasen, une des seules femmes à travailler pour la firme de Goodman et Lee.

Moby Dick, Classics Illustrated, Gilberton

La jeune femme tombe tellement amoureuse de Kurtzman qu'elle va jusqu'à truquer le résultat d'un sondage effectué auprès des lecteurs afin de mettre le strip de son bien-aimé en avant ! Lee, surpris par la (frauduleuse) notoriété du strip, assigne alors Kurtzman sur Pigtales, un funny animal et sur d'autres séries d'humour adolescent. Même si Kurtzman produit à côté le strip un peu plus sérieux Silver Linings pour le New York Herald Tribune, il ne se sent pas toujours à l'aise avec les histoires un peu trop naïves à son goût que lui propose Stan Lee. C’est lorsqu'il ouvre pour la première fois Crime Does Not Pay de Charles Biro qu’il comprend qu'il est tout à fait possible de mélanger comics et critique sociale. Cette révélation le pousse ainsi à quitter Timely pour entrer dans les années 50 chez EC. Au bout de quelques années, Bill Gaines lui propose de lancer deux revues anthologiques de guerre : Two Fisted Tales et Frontline Combat.

 

War is hell

L'auteur exprime dans ces deux titres toutes ses idées les plus radicales sur l'armée et les conflits militaires. Pour Kurtzman, la guerre est un fléau et la plupart de ses récits (où les batailles sont très réalistes et où l’on ne trouve jamais la moindre trace d’un héros) proposent à l’inverse des autres revues du même acabit un message clairement antimilitariste. Ce que veut faire Kurtzman, c'est retirer tout le vernis mensonger des histoires de guerre de l'époque qui ont tendance à sublimer les actions de quelques soldats en vue d'une quelconque glorification. En opposition totale avec les récits patriotiques de l'époque publiées par Timely ou National, Kurtzman s'attire ainsi les foudres de l'armée, qui condamne vigoureusement ses revues.

Two-Fisted Tales, EC

Une course effrénée vers le trash

EC essaye ensuite de redorer le blason des récits de science-fiction en leur appliquant le même traitement que pour les comics d'horreur, à savoir des histoires au ton nettement plus adulte et des intrigues ultra-élaborées avec les titres Weird Science ou Weird Fantasy. Mais dans les années 50, le genre ne fonctionne pas sur le public et les lecteurs n'adhèrent pas du tout à ces récits trop compliqués à base de voyages temporels, de mondes éloignés ou de créatures étranges. C'est un échec (autour de 200 000 exemplaires par numéro) et les deux revues se retrouvent compressées en une seule au bout de quelques mois  : Weird Science Fantasy.

Les comics d'horreur, poussés sur le devant de la scène par des couvertures de plus en plus gore et morbides (signées pour la plupart Johnny Craig) continuent néanmoins de se vendre comme des petits pains et dépassent fréquemment le demi million d'exemplaires. Cela entraîne bien évidemment l'apparition quasi-immédiate de titres anthologiques d'horreur parmi les compagnies concurrentes. Si les moins célèbres d'entre elles se lancent dans une course effrénée à la couverture la plus provocante, National et Fawcett proposent quant à eux des titres beaucoup plus grand public. Dans House of Mystery (produit en 1951 par la compagnie de Donenfeld) la violence n'est par exemple jamais explicite et la morale toujours sauve à chaque fin d'épisode. Il faut dire aussi que Donenfeld et Liebowitz n'ont toujours qu'un seul mot d'ordre en tête : devenir une compagnie respectable et consensuelle dans l'esprit des Américains. Fawcett publie quant à elle les titres This Magazine is Haunted ou encore Worlds of Fear qui respectent eux aussi les canons moraux de l'époque.

Comme on a pu le dire plus tôt Timely, qui vend nettement moins de revues que ses deux consœurs, joue alors un peu plus avec le feu. Elle se rebaptise Atlas Comics et laisse tomber les super-héros, transformant le titre Captain America en Captain America Weird tales puis en Weird Tales tout court au bout de deux numéros. La compagnie essaye tout de même sous l'impulsion de Stan Lee de relancer Human Torch, Namor The Submariner et Captain America en 1953 avec des artistes de renom comme Syd Shores, Dick Ayers ou John Romita mais rien n'y fait. Le public veut de l'horreur et Timely va lui en donner. La firme propose en quelques mois les titres Adventures into Horror ou Adventures into Terror qui sont (comme à l'accoutumée) de pâles imitations des comics d'horreur EC. La maison d’édition Harvey lance elle aussi sa propre ligne d'horreur en 1951 et perpétue la tradition des couvertures de comics gore et terrifiantes avec des titres comme Witches Tales, Chamber of Chills, Tomb of Terror et Black Cat Mystery réalisés par des pointures du genre comme Bob Powell ou Lee Elias.

Tomb of Terror, Harvey

 

Les comics d’horreur ont le vent en poupe, et ils vont engendrer un mouvement de fond : la contre-culture. C’est ce que nous verrons dans la prochaine partie.

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