Le Comics Code est une notion à part entière de l’histoire des comics. S’il est désormais abandonné, il a néanmoins été (plus ou moins) appliqué durant de nombreuses décennies chez tous les éditeurs mainstream. La rédaction de Superpouvoir vous propose via une longue série d’articles de revenir sur cette histoire aux rebondissements multiples. Lors de la dernière partie, on avait abordé la nouvelle direction éditoriale d’EC, une compagnie qui vient de recruter deux jeunes artistes, Al Feldstein et Johnny Craig !

Épisodes précédents

Al Feldstein et Johnny Craig

Al Feldstein est né en 1925 à Brooklyn. Après avoir gagné quelques concours de dessin, il est embauché à l'âge de 15 ans dans le studio Eisner et Iger où il reste trois années. Il devient ensuite pilote durant la guerre avant de travailler pour la compagnie Victor Fox qu’il quitte très rapidement, estimant se faire exploiter. C'est à ce moment qu'il rentre en contact avec Bill Gaines qui lui propose d'abord quelques titres adolescents afin de lui mettre le pied à l’étrier. Feldstein gagne rapidement du galon et devient au fil des ans scénariste et éditeur principal.

Johnny Craig quant à lui a été l'assistant de Harry Lampert, le peer dessinateur de Green Lantern avant d'être embauché à plein temps par National et Sheldon Moldoff. Il arrive chez EC à la fin de la guerre, d'abord sur Moon Girl and The Prince puis sur des titres d'horreur. Les deux artistes deviennent les plus réguliers et les plus prolifiques de la compagnie, lui donnant une véritable identité visuelle.

Moon Girl Fights Crime, EC

Un changement drastique

Les idées de ce nouveau pool éditorial sont radicales : ils veulent tout simplement faire exploser tous les codes des comics établis jusque-là et pousser la narration et l'expérimentation au maximum.

Il faut dire que contrairement aux artistes de la génération précédente, la plupart des auteurs d'EC sont nés avec les comic books et qu'ils ont donc pu s'imprégner de tous leurs mécanismes narratifs dès leur plus tendre enfance, possédant ainsi un certain recul sur la manière de les réaliser. Connaissant sur le bout des doigts les recettes utilisées dans un comic book classique, ils décident de prendre une direction radicalement opposée en créant des comics outranciers, cyniques, racoleurs et pas du tout destinés aux enfants qui font vivre au medium sa toute première crise d'adolescence avec une attitude contestataire et rebelle. On ne peut s'empêcher de penser que cette ligne, en contradiction flagrante avec celle voulue au départ par Charlie Gaines, cache en réalité un ultime pied de nez de Bill à son père.

1947 voyant la montée en puissance des Crime Comics ; ils rebaptisent, non sans ironie, quelques-uns de leurs titres les plus mineurs et les plus mièvres afin de profiter du succès du genre. Le titre Moon Girl and The Prince, sur lequel officie Johnny Craig et qui propose les aventures d'une pseudo Wonder Woman devient Moon Girls Fights Crime tandis que le titre Blackstone le magicien est renommé … Blackstone Fights Crime ! C’est simple mais cela fonctionne : les titres de la gamme "crime" d'EC commencent à se vendre de mieux en mieux, ce qui donne à Gaines et à ses collaborateurs de plus en plus d'assurance et d'audace. La production augmente, le chiffre d'affaires suit et la compagnie embauche de jeunes dessinateurs talentueux et désireux de se faire remarquer comme Wally Wood, Al Williamson ou encore John Severin. La compagnie suit toutes les modes, adaptant ses histoires et poussant la provocation à son maximum. Le staff réuni par Gaines n'a qu'une seule consigne : se faire plaisir et produire des comics qu'eux-mêmes auraient envie de lire. C'est donc tout naturellement qu'EC s'oriente vers les comics d'horreur, un terreau fertile pour proposer le plus de provocation possible tout en orientant le ton et le thème vers un public adulte.

The Vault of Horror, EC

Un macabre glissement

Ce n'est pourtant pas une si grande nouveauté : le genre des comics d'horreur est présent depuis les années 30 et 40 avec les comics de vampires, de loups-garous ou de momies principalement inspirés par les films de l'époque. Il ne fonctionne pourtant pas beaucoup en dehors de quelques revues anthologiques comme Adventures into the Unknown lancée en 1948 par le American Comics Group et qui n'achève sa course que vingt ans et cent soixante-dix numéros plus tard. Les héros d'horreur récurrents ne font pas, à juste titre, recette puisqu'il semble alors difficile de faire d'un vampire ou d'une goule le héros d'un comic book auquel les adolescents puissent s'identifier. EC se lance pourtant dans la production massive de titre de ce genre, réalisant une bonne demi-douzaine de revues aux noms plus explicites les uns que les autres comme Haunt Of Fear, The Crypt Of Terror ou encore Vault of Horror (le repaire de la peur, la crypte de la terreur, le caveau de l'horreur). Ces nouveaux titres prennent petit à petit la place des anciens comics de crime de la compagnie déjà démodés.

Et leurs auteurs s'en donnent à cœur joie : chaque histoire franchit encore un peu plus les limites de l'acceptable en proposant une morale douteuse accompagnée la plupart du temps d'une fin immorale et cynique. Dans chaque titre, les scènes de torture et de mutilation sont légion et traitent de thèmes souvent ambigus, comme cette bande de criminels jouant au base-ball avec les restes d'un homme qu'ils viennent d'exécuter, la tête servant de balle et les boyaux de ligne de touche ! Le but du staff éditorial d'EC, plutôt orienté à gauche est désormais avoué : il s'agit de choquer les bourgeois et les bien-pensants ! Cette irrévérence leur attire rapidement les foudres du FBI qui diligente dans la foulée une enquête sur Gaines et sa petite équipe. L'arrivée de thèmes plus politiques et la critique ouverte du gouvernement Eisenhower n'est désormais qu'une question de mois, et c'est un dénommé Harvey Kurtzman qui met le feu aux poudres.

The Crypt of Terror, EC

Qui est Harvey Kurtzman ? Réponse dans la prochaine partie !

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