Le Comics Code est une notion à part entière de l’histoire des comics. S’il est désormais abandonné, il a néanmoins été (plus ou moins) appliqué durant de nombreuses décennies chez tous les éditeurs mainstream. La rédaction de Superpouvoir vous propose via une longue série d’articles de revenir sur cette histoire aux rebondissements multiples. Dans cette partie, nous traitons un élément incontournable de son histoire : le livre de Fredric Wertham !

Épisodes précédents

Un livre polémique

La conviction de Fredric Wertham sur la dangerosité du medium se renforce au fur et à mesure des années et de la dérive des comic books vers le sensationnalisme. Le psychiatre publie en 1954 une compilation de ses recherches et de ses précédents articles de presse dans un livre qui va faire non seulement beaucoup parler de lui mais connaître aussi un succès immédiat : The Seduction Of The Innocent. L'argumentaire de Wertham n'a pas évolué d'un iota depuis ses débuts et le contenu du livre, partial et inexact, peut toujours être remis en question. Mais les seize pages d'images extraites de différents comics et insérés en milieu d'ouvrage sont inattaquables. Bien évidemment ce sont des cases issues pour la plupart de comics EC ou Gleason sorties de leur contexte et mises en exergue par un commentaire biaisé. Elles choquent profondément l'opinion et suffisent à appuyer les dires de l'auteur. On y retrouve évidemment la macabre partie de baseball d'EC dont nous avons parlé précédemment ou encore l'image de l'œil crevé par une seringue réalisée par Jack Cole.

Crime Suspenstories, EC

Superman un nazi et Batman un pédophile ?

En déformant la réalité et en dénonçant certains effets bien précis, Wertham produit un ouvrage volontairement à charge mais qui impressionne visuellement le public et les médias. Le bon docteur n'épargne personne et si les Crime Comics sont les principaux accusés, les super-héros en prennent eux aussi pour leur grade ! Superman montre selon Wertham le mauvais exemple car non seulement il induit dans l'esprit des jeunes lecteurs l'idée que la force est une solution efficace aux problèmes, mais il sape de plus l'autorité suprême des parents en proposant aux enfants un modèle parfait et inégalable. Le psychiatre ose même le rapprochement entre le S de son emblème et le SS nazi, ce qui rend bien évidemment les éditeurs de National (quasiment tous d'origine juive) fous furieux !

Wertham accuse ouvertement les super-héros de propager des idées d'extrême-droite, voire d'extrême-gauche en voulant passer au-dessus des lois. Batman et Robin, un adulte et un jeune garçon vivant ensemble dans une cave souterraine deviennent bien évidemment des chantres de l'homosexualité, voire de la pédophilie (encore heureux que Wertham n'ait apparemment jamais lu des comics avec le vieux majordome Alfred) tandis que Wonder Woman donne elle aussi un mauvais exemple aux jeunes filles de bonne famille. De par sa force, son indépendance et sa volonté, elle provoque (selon l'auteur) dans l'esprit de ses lectrices des envies de rébellion et d'émancipation envers leur futur avenir de femme au foyer ! Comment accepter l'idée de devenir une femme "modèle" qui ferait la vaisselle et s'occuperait de son mari et de ses enfants lorsqu'on lit les aventures d'une déesse aussi libre et sans contraintes ? Bien évidemment, les sous-entendus de Marston et les nombreuses scènes de bondage disséminées tout au long des pages de ses comics n'arrangent rien à l'affaire.

Wertham attire aussi l'attention des parents sur les formes généreuses de Millie The Model et Nellie The Nurse qui, selon ses études, obligent les jeunes filles à rembourrer leur soutien-gorge ce qui constitue une pratique tout à fait inacceptable quand on est une jeune fille de bonne famille.

Panic, EC

Dessinateur de comics : une honte ?

L'opinion publique se rallie en masse aux idées du psychiatre et l'on voit même certaines églises de Chicago renouer avec les autodafés de l'année 48. La demande d'une législation sur les comic books se fait de plus en plus pressante, à tel point que la ville de Détroit interdit sans condition la vente de certains fascicules : plusieurs artistes travaillant dans le milieu n'osent même plus avouer leur profession !

Par exemple, lorsque le dessinateur Dick Ayers (qui avait repris The Human Torch avec Stan Lee) fait don à l'école de sa fille d'un carton de comics dédicacés, celui-ci lui est retourné sans même avoir été ouvert !

Lorsqu'EC sort en 1954 Panic, un magazine satyrique qui surfe sur la vague de Mad et dans lequel les auteurs nous parlent sur un ton léger du divorce du père Noël, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! L'état du Massachussetts interdit purement et simplement le livre. Un sénateur du New Jersey propose alors la création d'une commission sur la délinquance juvénile et ses rapports supposés avec les comic books. C'est le sénateur Estes Kefauver qui est désigné pour la diriger. Kefauver est un démocrate qui a connu une immense notoriété au tout début des années 50 lorsqu'il s'est retrouvé à la tête d'une commission sénatoriale portant sur le crime organisé. Il a perdu de peu les primaires de son parti pour l'élection présidentielle en 1952 et reste persuadé que le thème de la délinquance juvénile peut lui permettre de rebondir et de pouvoir se représenter.

Les détails de la commission Kefauver dans notre prochaine partie.

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