En 1940, Martin Goodman est décidé à développer Timely, sa branche comics. Il embauche pour cela le scénariste et éditeur Joe Simon. Avec l'aide de son dessinateur fétiche, Jack Kirby, il crée le super-héros Captain America, réceptacle de leurs craintes face à la montée du fascisme.
Un succès fracassant
Avec sa couverture punchy, le premier numéro est un succès immédiat, qui vend aux alentours d'un million d'exemplaires. Avec Captain America Comics, Timely se hisse dans la cour des grands. Ce succès ne va pas sans poser quelques problèmes.
D'abord, le propos ouvertement anti-nazi déplaît fortement au German American Bund et autres branches de l'extrême-droite américaine. Antisémites et contre une intervention militaire américaine en Europe, ils apprécient peu le discours interventionniste des deux auteurs juifs. La rédaction de Timely subira des menaces, invitant notamment les auteurs a d'ores et déjà choisir les lampadaires auxquels ils seront pendus à la victoire du nazisme. Le maire de New York en personne, Fiorello La Guardia (lui-même soutenant l'interventionnisme américain) assurera Goodman de la protection de la police. La petite histoire évoque également ce jour durant lequel Kirby reçoit un appel où l'on lui donne rendez-vous pour lui faire subir ce que son Captain America fait subir à Hitler. Enfant des rues de Brooklyn, Kirby n'est pas du genre à se démonter face à une bagarre annoncée. Après avoir terminé ses planches, il écrase son cigare et se rend sur le lieu de rencontre mais où il ne trouve personne.
Autre souci, la colère de John Goldwater, un des patrons de MLJ, qui apprécie peu que ce Captain America vienne tailler des croupières à son Shield. Il menace de poursuivre en justice ce nouveau héros dont le bouclier triangulaire ressemble beaucoup à la tenue du Shield. Cependant, Goldwater et Goodman sont de vieilles connaissances et le problème se règle entre gentlemen. Dès le deuxième numéro, le bouclier est modifié et prend la forme circulaire qu'on lui connaît depuis. Goldwater en profite pour essayer de débaucher discrètement Simon et Kirby, sans succès.
Forte de son succès, la revue continue ainsi son petit bonhomme de chemin. Dans le numéro 3, Crâne Rouge refait surface, s'imposant comme la Némésis régulière de Cap. Dans ce numéro paraît aussi un court texte de deux pages signé par un certain Stan Lee. Goodman a en effet collé son neveu par alliance, le jeune Stanley Lieber, alors âgé de 17 ans, comme assistant de son duo d'artistes vedettes. Dans les numéros suivants, le jeune homme commence à animer ses propres personnages comme Father Time ou Headline Hunter.
L'équipe s'étoffe rapidement. Aux côtés de Simon et Kirby, on retrouve Al Avison, Al Gabriele, Syd Shores, Georges Klein, Ernie Hart, Charles Nicolas, Stan Lee donc... Fort de sa popularité, le Captain apparaît également dans l'anthologie All-Winners Comics (où il partage l'affiche avec Human Torch et Sub-Mariner (1)) tandis que Bucky intègre les Young Allies, un gang de gamins prêt à défendre l'Amérique (2), dans Young Allies Comics.
Tout irait pour le mieux si Maurice Coyne, comptable de Martin Goodman, ne se confiait pas à Joe Simon en lui révélant que Goodman faisait sciemment peser les frais de fonctionnement de Timely sur les revenus générés par Captain America Comics, réduisant d'autant la part allouée aux auteurs. Si la révélation de Coyne, en tant que comptable de Goodman, peut paraître curieuse, c'est qu'il est aussi un des propriétaires de MLJ Comics. Si Goldwater n'a pas réussi à appâter Simon et Kirby, peut-être que Coyne pourra les pousser à quitter Goodman. C'est bien ce qui se passera, mais le duo n'ira pourtant pas se jeter dans les bras de MLJ. Simon préfère négocier un juteux contrat avec la société leader de l'époque, National Periodicals (future DC Comics). Tout se fait dans le secret, mais Goodman a vent de la manœuvre (Kirby pensera longtemps que c'est le jeune Stan Lee qui les a vendus) et forcera le duo à terminer le numéro 10 de Captain America Comics avant de partir. Le départ du duo créateur se fera donc dans une ambiance délétère.
La revue continue pourtant. Stan Lee devient le responsable éditorial de Timely (un poste qu'il occupera au final jusqu'en 1972) tandis que Avison et Gabriele deviennent les dessinateurs principaux. D'autres auteurs viennent s'ajouter comme Mike Sekowsky, Ken Bald, Don Rico, Vince Alascia, Carmine Infantino, Allen Bellman ou encore les auteurs de SF Ray Cummings (qui adapte son propre roman, The Princess of the Atom, dans Captain America Comics #25-26), Manly Wade Wellman et Otto Binder.
Le succès de Cap est tel qu'il fait l'objet d'un serial en 1944. Quinze épisodes sont produits par les spécialistes du genre, Republic Pictures. Cependant, l'adaptation est plutôt libre. Le personnage principal n'est plus Steve Rogers, mais le substitut du procureur Grant Gardner, joué par Dick Purcell (qui décédera quelques semaines après la fin du tournage). Ce Captain America ne porte pas de bouclier, mais un pistolet, tandis que la formule du super-soldat et Bucky ne sont jamais évoqués. Timely sera d'ailleurs particulièrement mécontent de ces changements qui éloigne le serial de son modèle BD. Il semble qu'en fait Republic ait adapté un script déjà existant d'un projet qui n'avait pas abouti pour en faire une histoire de Cap. Quoi qu'il en soit, ce serial est la première adaptation filmée d'un personnage Marvel, ce qui en fait l'ancêtre du Marvel Cinematic Universe.
En 1947, dans Captain America #59, Steve Rogers quitte l'armée et devient professeur à la Lee School. En 1948, dans le numéro 66, Bucky est blessé par balle. Pour le remplacer, Cap entraine Betty Ross pour devenir Golden Girl, une des rares super-héroine de l'époque.
Bucky revient dans Captain America Comics #71, en même temps qu'un jeune dessinateur prometteur, Gene Colan. Les deux, cependant, n'auront pas vraiment le temps de s'installer. Nous sommes en 1949. La guerre est finie depuis quatre ans et les super-héros n'ont plus vraiment la cote. Les numéros 72 et 73 tentent un virage vers des récits un peu plus horrifique, qui se concrétise par un changement de nom. La revue devient Captain America's Weird Tales au 74, mais sans succès. Le magazine s'arrête au 75, en février 1950, alors le Captain n'y apparait même plus. Néanmoins, il n'en a pourtant pas fini avec les ennemis de l'Amérique.
- Cap, Human Torch et Sub-Mariner ne feront que partager le sommaire de ce magazine. Il faudra attendre le numéro 19 (automne 1946) pour qu'ils fassent réellement équipe au sein du All-Winners Squad, expérience qui ne sera réitéré que dans le vingt-et-unième et dernier numéro de la revue.
- Les Young Allies sont en fait basé sur les Sentinels of Liberty, le fan club officiel de Cap, qui existait réellement puisque chaque numéro de Captain America Comics avait son bulletin d'adhésion. Ce sera, en tout cas, une des premières itérations du concept de "gang de gamins" que Simon et Kirby iront creuser plus avant chez DC.
À suivre : Captain America, "casseur de cocos".