Après différentes interprétations peu valorisantes pour le personnage, Captain America connait le succès sous la coupe de Marvel Studios après un premier film solo et l'énorme surprise Avengers. Il se fait connaître du grand public et voit sa côte de popularité grimper. Si Iron Man et Thor restent les héros les plus prisés, Cap représente la droiture et le leadership que les spectateurs attendent. Son rôle bienveillant, altruiste et désintéressé casse quelque peu les failles qui habitent ses partenaires à l'écran. Il offre une vision plus simple et méfiante envers les dirigeants et notamment le S.H.I.E.L.D., point culminant du sequel Captain America : le Soldat de l'Hiver.
Le virage The Winter Soldier
Au moment où Marvel développe son univers partagé au cinéma, le film Avengers est tout de suite pensé comme le point culminant de ce qu'on appellera désormais la Phase 1. Et si le succès est au rendez-vous, Disney – nouveau propriétaire du studio – compte bien continuer sur sa lancée et exploiter différentes suites, notamment Avengers : l'Ère d'Ultron. Dans l'intervalle, les héros auront de nouvelles aventures solo à suivre afin de creuser un peu plus leurs histoires, leurs problèmes et leur entourage. Déjà avant la sortie de Captain America: First Avenger, une suite est en projet avec les scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely toujours à l'écriture. L'idée est bien évidemment de transposer à l'écran les comics plus récents sur la Sentinelle de la Liberté, écrits par l'excellent Ed Brubaker.
La difficulté réside avant tout dans l'adaptation du héros au XXIe siècle, une époque totalement différente de sa jeunesse. Ses repères ne sont plus les mêmes, ses proches ne sont plus là (sauf une Peggy Carter âgée et faible) et la Guerre qu'il a toujours connue a été remplacée par un monde qu'il ne comprend plus. La complexité géopolitique du monde et ses secrets font naître de nombreux complots et la crise de la NSA initiée par les révélations d'Edward Snowden ne font que renforcer le sentiment que les gouvernements nous espionnent et nous traquent. Marvel s'inspire de cette méfiance générale pour Captain America : Le Soldat de l'Hiver où le S.H.I.E.L.D. représente un Big Brother qui se veut bien-pensant mais à l'opposé de ce pour quoi Steve Rogers s'est battu en 1940.
Et c'est là que réside toute la réussite de ce film : après un film de guerre "hors du temps", Marvel Studios explore le thriller politique avec des enjeux modernes comme les libertés individuelles et l'espionnage. Pour apporter ce nouveau ton, Kevin Feige recrute deux metteurs en scène peu connus des cinéphiles. Joe et Anthony Russo ont surtout tapé dans l'œil du producteur par la réalisation de plusieurs épisodes de séries et notamment Community. Les combats à mains nus sont des prouesses de chorégraphies et de réalisation. Leur style "caméra au poing" colle parfaitement avec les trames d'action du film et ce qu'on attend d'une histoire sur Captain America.
Enfin, comment ne pas évoquer ce twist d'envergure où ce que l'on prenait pour acquis dans le MCU s'écroule : le S.H.I.E.L.D. est corrompu par H.Y.D.R.A. jusqu'à sa tête et s'effondre lorsque le secret est révélé. Là où une zone grise se formait entre le Bien et le Mal, il s'avère finalement (comme souvent dans l'idéologie de Cap) que le combat est assez manichéen et les méchants sont forcément derrière ce complot.
Le long métrage est l'occasion d'introduire plusieurs protagonistes principaux des aventures de Cap : Sam Wilson (Anthony Mackie) alias le Faucon avec qui il format un duo iconique sur papier, Sharon Carter (Emily VanCamp) alias l'Agent 13 ou encore le Soldat de l'Hiver (Sebastian Stan) qui n'est autre que l'ami d'enfance Bucky Barnes, récupéré par les soviétiques lors de sa disparition dans le premier film. Samuel L. Jackson (Nick Fury) et Scarlett Johansson (Natasha Romanoff) reprennent leurs rôles respectifs permettant d'appuyer l'univers partagé que Marvel a su créer. Enfin le studio pourra compter sur la star Robert Redford (Alexander Pierce) pour compléter un casting cinq étoiles.
Une place importante dans le futur du MCU
En plus d'être une réussite critique et commerciale (714 millions $ de recettes), Captain America: le Soldat de l'Hiver pose des enjeux majeurs pour la suite de l'univers Marvel. Les Avengers se retrouvent seuls et la surveillance du S.H.I.E.L.D. ne permet plus d'anticiper les menaces potentielles. Cap prend de l'ampleur et devient incontournable de l'équipe de super-héros. Sur l'affiche officielle d'Avengers : L'Ère d'Ultron, il est même placé devant Iron Man, preuve que le héros à la Bannière Étoilée a gagné la confiance et la légitimité du studio et du public. Dans cette suite, Steve Rogers devient véritablement un leader pour l'équipe même si Joss Whedon a encore des difficultés avec le personnage et son idéologie très "blanc ou noir". Il continue tout de même à faire de lui une icône et un exemple pour les Vengeurs.
Lorsque Tony Stark dérape et créé l'Intelligence Artificielle Ultron, le monde et l'humanité se retrouvent à nouveau menacés. Des tensions naissent petit à petit entre Cap et Iron Man, sorte de prologue à Captain America: Civil War prévu un an plus tard. Rogers n'hésite pas à intervenir et tout comme dans The Winter Soldier, il s'oppose à ce qu'il ne considère pas comme "juste". Après la victoire finale du film, le héros finit par prendre la tête des Avengers dans le nouveau complexe de Stark, à l'image des comics.
Pour ouvrir la Phase 3 de son univers, Marvel sort les nouvelles aventures de la Sentinelle de la Liberté, preuve supplémentaire que le héros a obtenu toute la confiance du studio. Captain America : Civil War est à nouveau dirigé par les frères Russo et voit se réunir les personnages déjà introduits jusqu'à maintenant hormis les Gardiens de la Galaxie, Thor et Hulk. Le treizième film du MCU peut ressemble à un Avengers 2.5 mais se concentre tout de même sur Steve Rogers et son ami d'enfance Bucky Barnes. Si Cap a sa propre trilogie, elle peut également être celle du Soldat de l'Hiver.
Une idéologie mise à mal
Les différentes aventures papier de Captain America ont permis de mettre en exergue les difficultés que le héros rencontre face à un monde de plus en plus complexe. Les frontières entre le Bien et le Mal se font de plus en plus floues et il est bien plus compliqué de distinguer ce qui semble "juste". C'est notamment le cas dans le run d'Ed Brubaker et surtout dans l'excellente série Civil War (de Mark Millar et Steve McNiven). Marvel Studios s'inspire de ces comics pour créer une fracture au sein des Avengers qui doivent faire face aux conséquences de leur précédente aventure.
Évidemment, le film n'est pas une copie conforme du comic book et suit une trame déjà initiée depuis plusieurs films. Les relations entre les personnages ne sont pas les mêmes et les choix de chacun dévient selon cette approche. À la suite des Accords de Sokovie – visant à encadrer les activités super-héroïques des Vengeurs – certains décident de rejoindre un camp ou l'autre en fonction des affinités déjà créées précédemment, comme Sam Wilson rallie Cap car il est son acolyte au sein des Avengers ou Black Panther rejoint Stark pour se retrouver face à Bucky Barnes, présumé coupable de l'assassinat de son père.
L'intrigue se complexifie avec les manigances d'Helmut Zemo qui souhaite détruire les Plus Puissants Héros de la Terre, responsables selon lui de la mort de sa famille. S'il ne peut pas les battre physiquement, il met en place un plan pour les diviser ("Unis nous tenons, Divisés nous tombons" explicite la promo du film). Stark comprend ce stratagème et tente d'aider Cap et Bucky mais découvre que ce dernier est le responsable (manipulé) de la mort de ses parents. Captain n'a d'autre choix que de protéger son ami d'enfance face à son ancien allié. Zemo a gagné : les deux leaders se livrent une bataille enragée, Steve Rogers quitte les Avengers et abandonne le bouclier – physiquement et symboliquement. Il prouve à nouveau qu'il se bat pour ce qui lui semble être juste et dans ce cas précis, l'amitié a pris le pas sur le devoir.
Cette dernière partie de la trilogie Captain America est celle qui questionne le plus l'idéologie et les motivations de Cap. Si protéger les civils et se battre pour conserver les droits de chacun restent une priorité pour lui, ses motivations personnelles se retrouvent parfois impliquées. Bucky est l'un de ses points faibles. Il le sait mais ne peut pas s'empêcher de le protéger tout comme ce dernier le couvait dans les années 30. Les fondements politiques américains sont également remis en question : une loi est-elle justifiée si elle va à l'encontre des libertés individuelles ? Steve Rogers devient un criminel d'une loi qui est probablement contre-productive et à l'encontre de ses valeurs initiales. Marvel est à nouveau le reflet de notre société et de son évolution et Cap est probablement celui qui représente le mieux l'ambiguïté que cela génère.
Cet affrontement attirera le public en nombre (1,153 millard $ de recettes) et confirmera encore l'attrait des spectateurs pour le personnage et les Avengers en général. Mais les divisions nées de ce conflit auront de forts impacts sur la suite du MCU : Captain, le Faucon, Black Widow et Wanda deviennent des fugitifs, les Avengers sont désunis et vont devoir faire face à une menace galactique d'une ampleur inédite. Si Captain America a abandonné le bouclier, nul doute qu'il saura revenir au moment opportun.