Malgré les tentatives de déstabilisation de l'extrême-droite américaine ou les menaces de procès, Captain America est un succès qui lui vaudra même un serial à son nom. Pourtant, au bout de dix numéros, Joe Simon et Jack Kirby partent, laissant la série à d'autres auteurs, dont notamment un Stan Lee débutant. Le titre durera l'ensemble de la décennie 40, mais finira par s'arrêter au numéro 75 de février 1950, avec la désaffection générale pour les super-héros.
Captain America, "casseur de cocos "
Un peu moins de quatre ans plus tard, les super-héros de ce qui est maintenant Atlas Comics sont pourtant relancés. Martin Goodman, le patron de la maison d’édition, constate en effet le succès de la série télévisée Adventures of Superman et, toujours prompt à exploiter un filon, estime qu’il est temps de relancer ces personnages colorés. Dans Young Men #24, daté de décembre 1953, la Torche Humaine, Namor et Captain America font donc leur grand retour. Carl Burgos, qui a créé Human Torch, revient sur le personnage en signant la couverture tandis que Bill Everett retrouve son Sub-Mariner dans une nouvelle histoire. En revanche, pas de retour de Joe Simon et Jack Kirby pour Captain America. Ceux-ci sont maintenant chez Crestwood Publications, un petit éditeur, où ils développent leur propre ligne de comics, Prize Group.
Stan Lee, responsable éditorial d'Atlas, confie les dessins du retour du héros étoilé à John Romita, jeune dessinateur qui travaille pour l'éditeur depuis 1951, année où Lee a vu un jeune homme en uniforme militaire investir la rédaction. Romita cherchait du boulot et Lee lui a fourni un de ses synopsis qui garnissait ses tiroirs. Romita livra une histoire de SF en quatre pages et fut, dès lors, un fournisseur régulier d'histoires de western ou de guerre pour la firme. Il est donc dans le métier depuis peu et n’est pas encore l’artiste qui se distinguera dans les romance comics de National Periodical/DC Comics dans la deuxième moitié des 50’s ou dans Amazing Spider-Man dans les années 60. Le trait est parfois encore malhabile, mais suffisamment dynamique pour rappeler le style graphique de Kirby.
Dans ce premier numéro, on retrouve un Steve Rogers toujours professeur et toujours affublé de Bucky, qui est resté le même gamin que durant la Seconde Guerre Mondiale, comme si le temps n'était pas passé. Malgré tout, les camarades du jeune homme doutent de l’existence du Captain, qui n'est pas réapparu depuis un long moment. Lorsque Crâne Rouge, son ennemi juré, refait surface, Cap va pouvoir prouver au pays qu’il est toujours son premier protecteur. Crâne Rouge n’est cependant plus le représentant de la menace nazie, mais, dans un grand écart intellectuel assez osé, un associé des soviétiques. En effet, les temps ont changés et l’ennemi des États-Unis est maintenant le bloc communiste.
Alors que le pays est impliqué dans la guerre de Corée, premier grand conflit de la Guerre Froide qui oppose le bloc soviétiques au bloc capitaliste, le sénateur Joseph MacCarthy s'est lancé dans une chasse aux communistes dans tous le pays. À la tête d'une sous-commission d'enquête permanente, il traque tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à un sympathisant communiste au sein du service public américain, créant une certaine hystérie collective au sein de l'opinion.
Cap sera présent dans Young Men du numéro 24 au numéro 28 (décembre 1953-juillet 1954) et dans Men's Adventures #27-28 (mai-juillet 1954). En parallèle, Captain America est ressuscité au numéro 76, jusqu'au 78 (mai-septembre 1954). Et au fil de ces aventures suivantes, Cap va se trouver invariablement confronté à des ennemis soviétiques ou chinois. Et le moins que l’on puisse dire est que le trait est très, très caricatural. La représentation des idéologies est manichéenne : les ennemis des États-Unis sont fourbes, fanatiques et stupides, les vrais américains sont au contraire démocrates, patriotes et dans leur bon droit. La représentation des asiatiques notamment est particulièrement gratinée dans le genre « péril jaune« , même si une histoire nous dit qu’il y en a des biens quand même, si ce sont de bons américains. Cap y gagne le surnom de "Commie Smasher" (casseur de cocos) qui orne les couvertures de sa propre série.
Les artistes de l’époque étaient peu ou mal crédités, il est difficile de savoir qui a écrit ces récits qui relevaient plus de la propagande qu’autre chose. Le spécialiste Martin O’Hearn s’est avancé à proposer le nom de Don Rico, scénariste-rédacteur d’Atlas à l’époque, principalement connu pour avoir créé Lorna the Jungle Girl.
Du côté de Simon et Kirby, on digère mal le fait qu’on ressuscite leur héros dans leur dos. Ils créent donc Fighting America, chez Crestwood. Le premier numéro sort en avril 1954. Tout comme le Captain America d'Atlas, il est particulièrement premier degré et lance ainsi Fighting American et son jeune acolyte Speedboy contre les affreux ennemis communistes.
Cependant, Kirby et Simon vont vite comprendre l'impasse du maccarthysme, tout comme une grande partie de la majorité de l'opinion publique. C'est en effet à ce moment que MacCarthy s'attaque à l'armée américaine et se heurte à l'avocat Joseph Welch qui démontre l'injustice des attaques de l'homme politique lors d'auditions diffusées en direct à la télévision. En réaction, Simon et Kirby adoptent, dans les numéros suivants, un ton beaucoup plus ironique et moqueur, avec des ennemis loufoques et haut en couleurs comme Hotsky Trostsky, Poison Ivan ou Super Kakhalovitch.
Chez Atlas, on ne fait pas cette auto-critique et on reste très littéral. En fait, les auteurs n’ont fait que transposer les intrigues des années 40 aux années 50 en changeant simplement le nom des ennemis, les communistes remplaçant les nazis, mais les histoires restent les mêmes. Assez révélateur, Rogers abandonne très vite son poste de professeur pour redevenir le troufion de base qu’il était dans les premiers numéros de Captain America. Les jeunes lecteurs des années 40 ont grandi et ne goûtent plus ces bandes simplistes et enfantines, tandis que les jeunes lecteurs des 50s doivent les trouver surannées. Qui plus est, les temps ont changés et la guerre de Corée, moins populaire, n'est sans doute pas suffisante pour supporter des héros trop ouvertement chauvins.
Au final, même le Fighting American de Simon et Kirby ne durera finalement que sept numéros, par exemple. Assez ironiquement, en 1959, les deux auteurs reviendront à nouveau sur un héros patriotique avec The Double Life of Private Strong, une réécriture, pour Archie Comics, du Shield, le héros qui a forcé Cap à changer de bouclier. Un retour qui ne durera que deux numéros. Pour autant, Kirby, lui, n'en a pas fini avec Cap et le retrouvera de nouveau quelques années plus tard.
À suivre : Sorti des glaces