Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, nous avons toutes et tous un rapport spécifique avec l’œuvre de King. Parmi tous ses grands récits, Ça est un livre charnière, celui qui incarne le mieux l'un des thèmes fondamentaux qui font notre existence : celui du passage à l'âge adulte. Une histoire foisonnante, riche et complexe, fourmillant de détails et dont une première adaptation TV réalisée en 1990 est parvenue à traumatiser une génération entière qui en frissonne encore aujourd'hui alors que sa première incursion au cinéma est sur toutes les lèvres. La cause de ce traumatisme ? Un clown, simple façade d'une créature ancestrale exploitant nos phobies les plus profondes.

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Ça est sorti en 1986. L'histoire — s'il est besoin de la rappeler – nous conte comment la ville de Derry, dans le Maine, est tout les 27 ans sujette à des vagues de violences et disparitions (majoritairement d'enfants). Sur les lieux des crimes, on aperçoit souvent un clown. Ce dernier hanterait Derry depuis des temps immémoriaux. Un groupe de sept enfants laissés pour compte va se liguer contre la créature suite au meurtre du petit frère de l'un d'entre eux. Mais la chose est ancienne et maline, se nourrissant des peurs les plus intimes de chacun tout en les incarnant pour les déstabiliser.

La peur est suggestive, propre à chacun d'entre nous et il est donc difficile d'indiquer à quelqu'un de quoi il faut avoir peur mais dans son roman, la plume de Stephen King reste le déclencheur premier de cette frayeur, le coup d'adrénaline initial. Il marque le long de 1200 pages la progression insidieuse d'une terreur profonde, angoissante et — on s'en doute – difficile à adapter en l'état.

Alors que la version d'Andy Muschietti sort ces jours-ci et bat tous les records, énumérons ensemble les différences entre le roman et le film. Ces choix sont-ils seulement pertinents et a-t-on perdu quelque chose sur la route de Derry ?

Attention, cette chronique contient de probables spoilers du roman et du film et il est hautement recommandé d'avoir au moins vu l'adaptation TV des années 90 avant d'aborder sainement les 7 différences majeures et leurs répercutions sur la pertinence du récit et la dramaturgie initiale.

 

1 – La transposition dans les années 80

Le roman est sorti en 1986 et son histoire entremêle deux époques : les années 50 où les enfants combattent la créature et les années 80 où, devenus adultes, ils font face à son retour. Le téléfilm de 90 comme le métrage d'Andy Muschietti (dont la suite est en préparation) ont en commun un principe narratif très simple : séparer les deux périodes – une partie est entièrement consacrée aux enfants et l'autre à leur version adulte.

Plus qu'un récit d'horreur, Ça est une ode à l'enfance et King ayant grandi dans les années 50, il est logique que la partie consacrée au club des losers se passe durant cette période — ce qui est également le cas dans le téléfilm de 90.

Dans le film de 2017, Muschietti a transposé toute l'intrigue dans les années 80. Né en 73, le réalisateur a pris le parti de situer le récit de King dans ces années-là où lui même a grandi. Un choix d'adaptation à la fois audacieux et dans l'air du temps. En effet, on note depuis les années 2010 un vrai retour en force de l'esthétique nostalgique des « eighties » que cela soit dans la musique, les films où les séries. Par exemple, Stranger Things fait elle-même ouvertement référence à cette enfance fantasmée où l'aventure se passait à dos de vélo, en groupe et non isolés chacun chez soi comme peut l'y encourager l'ère du tout numérique. Bon nombre d'artistes en charge des productions Hollywoodiennes actuelles sont issus de cette culture et rien d'étonnant dès lors à ce que Muschietti parle, comme King, de ce qui lui est familier. Un choix qui ne nuit en rien à la pertinence initiale du roman et permet même quelques agencements audacieux. Dans le roman, le club des losers découvre le clown tandis qu'il surgit d'un album photo. Dans le film, Grippe-Sou se présente à eux via des diapositives ; de même, au lieu d'avoir recours à un lance-pierre pour l'affronter, ils privilégieront un pistolet d’abattage du bétail. Des idées créatives qui ne dénaturent jamais l'adaptation.

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

 

2 – Les peurs des enfants ne sont pas les mêmes

Le clown est en réalité un monstre polymorphe, capable de prendre l'apparence de ce qui nous fait le plus peur. Être en sa présence, c'est un peu sniffer H24 les gaz hallucinogènes de l’Épouvantail dans Batman, si vous préférez. Dans le roman, les sept enfants sont tous terrifiés par une chose différente et au moins trois d'entre eux voient des monstres classiques du cinéma d'épouvante s'incarner sous leurs yeux — Ben Hanscom voit la momie, et l'un des membres du gang d'Henry Bowers le monstre de Frankenstein. Des peurs toutes logiques dans le cadre des années 50, apogée de la télévision dans les foyers américains où étaient rediffusées pour la première fois les films d'épouvante de la Universal — des créatures aujourd'hui ancrées dans l'imaginaire collectif et plus aptes à faire sourire qu'autre chose.

Le scénario de la version 2017 se permet donc des changements assez radicaux en ce qui concerne certains protagonistes. Si les terreurs de Bill le Bègue (son frère Georgie) ou Beverly Marsh (le fameux lavabo) sont à peine changées, les visions de Ben, Stan et Mike subissent des changements radicaux. Stan Uris est ainsi terrifié par le tableau d'une femme distordue, alors qu'il fait face dans le roman à un groupe d'enfants morts dans les égouts (que croisera finalement dans le film le personnage de Patrick Hockstetter) Quant à Mike et Ben, on se sert d'événements relatifs à l'histoire sanglante de Derry qu'ils ont vécu ou lu pour justifier leurs frayeurs– manière concise et inventive d'évoquer des séquences cultes du roman d'origine.

L'une des séquences les plus marquantes du livre (comme du film) est celle où l'asthmatique Eddy Kasprack est pris en chasse par un terrifiant lépreux aux abords de la maison hantée de Neilbolt Street. Si la scène est plutôt bien adaptée, elle demeure très adoucie et aucune explication ne nous est fournie quant à la nature de cette peur , ce qui la rend terriblement artificielle (voire numéro 6.) La plus mauvaise adaptation restant la phobie de Richie Tozier.

Dans le roman, les losers vont au cinéma voir le film I Was A Teenage Werewolf, série B d'épouvante ayant pour mérite de présenter Michael Landon (le guindé Charles Ingals de La Petite Maison dans La Prairie) dans le rôle d'un loup garou qui s'incarnera devant le gosse terrifié.

Dans la version de 2017, le petit marrant de la bande souffre de... coulrophobie — la peur des clowns ! Choix grotesque s'il en est, car Richie est, dans le film, le dernier à entrevoir Grippe-Sou. Si les clowns le terrifie tant, il aurait donc dû être la cible privilégiée de la créature – voire même mort depuis longtemps. Un choix putassier probablement choisi pour caresser les spectateurs coulrophobes dans le sens du poil et surfer sur une empathie générale à l'égard de cette phobie qui a fait une grande partie de la réputation du récit dans les mémoires collectives — aussi amusant que puisse être un clown terrifié par un autre, ce paradoxe reste fichtrement opportuniste. A noter que Muschietti envisageait pendant un temps de faire s'incarner Grippe-Sou en Freddy Kruger — autre monstre incarnant les peurs — et que l'on aperçoit en court de film le cinéma de Derry afficher The Dream Child, cinquième épisode de la saga Freddy.

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

3 – Bill croit que Georgie est toujours en vie.

Chef désigné des losers, Bill Denbrough dit le Bègue est dans le roman l'un des éléments déclencheurs de l'intrigue. En effet, dans une séquence devenue culte, son jeune frère Georgie rencontre Grippe-Sou dans une bouche d'égout. Ce dernier le tue en lui arrachant sauvagement le bras.

Dans le livre, le corps de Georgie est retrouvé et enterré, ne laissant aucun doute quant à sa mort. Le film de Muschietti demeure plus évasif, puis ce que le cadavre n'est jamais retrouvé. Si tous les proches du jeune Bill ont depuis longtemps accepté le décès du garçonnet, le grand-frère refuse catégoriquement d'y croire et motive le club des losers à affronter Ça au prétexte de le retrouver. En découle un Bill moins revanchard et une dynamique différente pour le final du film.

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

4 – Mike Hanlon

Des sept personnages principaux, le jeune Mike est celui qui subit le plus de changements par rapport à son homologue de papier. Pivot du roman, il est celui des sept qui ramènera le club des losers à Derry une fois adulte. Chroniqueur et fin connaisseur de la ville, le Mike du roman affronte ( en plus d'un racisme agressif à son encontre) une dure épreuve : celle de la maladie de son père, rongé par le cancer. Sur son lit de mort, ce dernier va lui raconter comment il a survécu à l'incendie du Black Spot, un club clandestin où l'on passait de la musique noire pendant la ségrégation. Pour l'anecdote, l'un des amis qui survivra avec lui n'est autre que Dick Halloran, le mentor du jeune Danny dans Shining. Il avouera également à son fils avoir vu un clown en s'extrayant des flammes.

Le Mike du film est élevé par son grand-père, car ses parents sont décédés dans un incendie — pas celui du Black Spot, évidemment, bien qu'il soit mentionné au cours de l'histoire. Pour terrifier le jeune garçon, Grippe-Sou lui fera revivre l'incendie via des bras calcinés le suppliant de lui venir en aide à travers une porte cadenassée, cauchemar qui hante normalement son père dans le roman. Figure de sagesse, le Mike du film est ici plus passif que les autres. Son savoir devient plutôt l'apanage de Ben et c'est via les dires de son grand-père qu'il suggère que la ville de Derry est peut-être maudite.

Le personnage est probablement celui qui pèche le plus en termes d'adaptation et il semble plus effacé que ses camarades d'infortune. Espérons que le second film lui donnera plus de place, lui donnant ce rôle de mentor et de phare dans la nuit qui lui revient.

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

5 – Il faut sauver Beverly... ou pas.

C'est l'élément du troisième acte susceptible de soulever le plus de colère chez les fans du roman. Dans le film, Beverly est enlevée par Grippe-Sou et emmenée dans son repaire pour attirer les autres. Refusant de céder à la peur, la jeune fille se retrouve en état de stase devant un clown qui ne voit plus en elle un repas de choix. Devenant figure de demoiselle en détresse, Beverly sera sauvée par le club et réanimée par un baiser de Ben, devenant une banale figure de princesse alors que le roman (et même le téléfilm) la mettait au même rang que les garçons, faisant même d'elle le meilleur tireur au lance-pierre, la seule susceptible de frapper le monstre de plein fouet.

Un choix de scénario hautement regrettable et mal venu pour le seul personnage féminin du roman, un personnage fort qui aura ici au moins le culot de frapper son père abusif à coup de bidet avant d'être enlevée.

A l'heure où l'on se bat pour avoir des personnages féminins forts et indépendants, n'était-ce pas là un choix totalement évitable ?

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

6 – Pas d'orgie avant vos prières du soir.

C'est LA scène qui fait encore débat trente ans après. En effet, après avoir défait le clown dans leur enfance, le club des losers — liés par une sorte de pouvoir qui les dépassent — se retrouve prisonnier de son repaire, incapable de retrouver la sortie. Beverly propose alors aux garçons de faire l'amour avec elle l'un après l'autre afin de sceller ce lien d'affection si fort qui les unit et qui leur permettra peut-être de retrouver la foi nécessaire pour s'évader.

Inutile de vous préciser que la scène s’étendant sur plusieurs pages n'a pas été conservée pour le film. Un statut R Rated ne permet pas tout et certains lecteurs sont encore aujourd'hui très perturbés par sa lecture — même la mentionner hors champ serait hautement délicat et cela se comprend bien. Toutefois, on pourrait arguer qu'il y aurait sûrement eu mieux à tenter pour la remplacer qu'un banal baiser de conte de fées un peu paternaliste.

De même, de nombreuses allusions à des scènes de sexe un peu perturbantes sont passées sous silence dans le film. Au rang desquelles, la supposée homosexualité d'Henry Bowers et Patrick Hockstetter qui, dans le roman, s'astiquent joyeusement le poireau entre copains et la terreur qu'éprouve le jeune Eddy pour le lépreux. En effet, toujours dans le roman, Eddy se fait prendre en chasse par un clochard atteint de lèpre qui lui propose avec insistance une fellation gratuite (!). Une horreur sans nom que Grippe-Sou exploitera pour terroriser le gamin, prenant par là même le surnom de Bob Gray – un des alias les plus célèbres du clown.

De nombreux événements du roman sont donc lissés et rendus plus acceptables pour une plus large audience. Lire Ça est donc un défi à plusieurs niveaux pour beaucoup et il reste à l'entière appréciation de chacun de trouver cette « censure » bienvenue ou pas.

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

7 – La véritable apparence de Ça

Encore un sujet à débat et dont les spectateurs du téléfilm de 90 se souviennent.

On le sait, le clown n'est qu'une apparence utilisée par « Ça » pour attirer les enfants à lui. Ça se nourrit de peur, et quoi de plus impressionnable et naïf qu'un enfant ? Sous le clown se trouve une créature décrite par King comme une araignée géante, apparaissant de façon plutôt grotesque à la fin du téléfilm. Une douche froide au regard de la peur que le monstre a su véhiculer jusque là.

Or, cette araignée tant décriée n'est pas non plus sa forme véritable. Comme le roman l'indique, l'esprit humain ne peut concevoir la vraie forme de cette créature et une araignée géante est ce qui serait susceptible de s'en approcher le plus. « Tu ne verras que ce que ton esprit peut voir » dira même le monstre à ses jeunes adversaires.

Dans le livre, le club des losers affronte l'araignée à deux reprises — enfants, puis adultes. Or, comme dans le téléfilm, le long-métrage n'opposera les enfants qu'au clown qui s'échappera blessé de leur combat. Aux dires de Muschietti, il est probable que l'idée de l'araignée soit abandonnée pour le second acte de ce dantesque affrontement — Tim Curry, qui incarne le clown dans le téléfilm, ayant récemment avoué ne pas vraiment apprécier cette araignée, lui non plus.

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

Bonus : Henry Bowers

La fin de ce premier film laisse en suspens le destin tragique d'Henry Bowers, la brute qui terrorise chacun des membres du club des losers. Devenu l'âme damnée de Grippe-Sou, ce dernier tente de tuer les enfants dans les égouts mais fini par chuter dans un puits. Dans le roman, comme dans le téléfilm, Bowers ressort vivant, sa chevelure blanchie et endosse tous les meurtres de Grippe-Sou avant d'être envoyé à l'asile. De même, les membres de son gang descendent aussi avec lui dans les égouts où ils sont tués l'un après l'autre par le monstre.

Rien n'assure (encore) son retour dans le second film, mais son absence serait priver l'intrigue d'un sacrée rebondissement.

Ça - Chapitre Un (Andy Muschietti )

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