Comic Box est le seul magazine professionnel français consacré à la BD américaine. Créé en 1998 par Fabrice Sapolsky, accompagné de Lise Benkemoun et Xavier Fournier, la revue aura eu de nombreuses vies. Stoppé en 2001 dans sa formule mensuelle, Comic Box reprendra vie dans un format annuel cartonné publié par Comics USA entre 2002 et 2004. La publication retrouvera le chemin des kiosques grâce au parrainage de la revue cinématographique Mad Movies en 2005 avant de passer sous pavillon Panini en 2007. Dix ans plus tard, en 2017, Xavier Fournier annonçait finalement l'arrêt du magazine avec son numéro 104.

Mais, tel le phénix, CB renaît toujours de ces cendres. Grâce à l'éditeur Huginn & Muninn et un financement participatif réussi, le magazine s'est relancé l'année dernière avec un numéro consacré aux Multivers. Le mois dernier, le deuxième numéro paraissait. Sous le titre "Mondes pourris", il s'intéresse cette fois aux mondes post-apocalyptiques. À cette occasion, nous avons interrogé le rédacteur en chef de Comic Box, Xavier Fournier, sur les coulisses de ce grand retour bienvenu de la revue.

Xavier Fournier

Superpouvoir: Comic Box s’est arrêté en 2017 pour mieux reprendre l’année dernière. Comment as-tu vécu ces six années sans la revue ?

Xavier Fournier : Dans un premier temps, plutôt très, très mal parce que c'est comme si ton emploi disparaissait sous tes pieds alors qu'en plus, ton statut bien particulier de travailleur indépendant ne te permet pas d'indemnités chômage. Ça plus quelques aléas de la vie... Bref, 2017 a été une année "horribilis" et il m'a fallu du temps pour reprendre pied. Mais, dès 2017, j'ai eu la chance que l'éditeur Monolith me contacte pour qu'avec Alex Nikolavitch nous soyons consultants sur leur gamme de jeux Batman. J'ai aussi lancé différents projets qui avaient une origine personnelle. Comme mon livre Kirbysphère (Caurette, 2020) sur Jack Kirby ou des documentaires, dont deux sont déjà sortis ("Le Règne des super-héroïnes" et "Super-vilains, l'enquête"). Même si nous avons eu la chance, avec Fred Ralière, de convaincre un producteur puis Warner Discovery, ce sont à la base des idées persos où je me suis dit "Il y aurait quelque chose à faire sur ces thèmes en faisant ci et ça". J'ai aussi lancé mon propre podcast, Aventures Fiction (dispo sur toutes les plateformes). S'ajoutent à l'opposé, des choses que je n'aurais pas pu imaginer. Comme quand on est venu me trouver pour me dire que mon bouquin sur les super-héros français avait inspiré une nouvelle attraction au Futuroscope. Du coup, pour en revenir à ta question, je suppose que, sur les six années écoulées, mon boulot est devenu plus polymorphe, plus "multitâche". Ça reste de l'équilibrisme, parce que forcément, si les éditeurs ou clients arrêtent de faire appel à toi ou annulent des projets, c'est toute de suite "Crisis on Infinite Earths" !

Comment est venu le projet de reprise avec l’éditeur Huginn & Muninn ? Est-ce tu avais des conditions au retour de Comic Box ?

Huginn & Muninn est un éditeur avec qui je travaille régulièrement depuis une dizaine d'années. Hors Comic Box, j'ai déjà publié chez eux trois livres (Super-héros une histoire française, Super-héros français l'anthologie et Super-héros: l'envers du costume) en plus de diverses collaborations à leur revue Fantask. Donc je connais bien les équipes, qui inversement connaissaient bien Comic Box. On avait parlé de longue date de ramener Comic Box via la librairie. Mais on en a parlé très sérieusement à partir de 2020, je crois. Le temps de définir le projet, le format, ça nous amène à 2021, le moment où nous avons annoncé le retour et où il ne nous restait plus qu'à écrire le contenu. Les conditions étaient qu'on voulait repartir avec l'équipe historique, autant que possible. Et qu'on conservait notre indépendance sur les points de vue exprimés. Du côté d'Huginn & Muninn, Rodolphe Lachat nous a demandé de toujours prévoir cinq articles tirés du "patrimoine" de Comic Box ce dernier quart de siècle, partant du principe que le lectorat actuel n'y a pas accès. J'ai dis OK mais à la condition d'en faire une version "augmentée", qui fasse que ce ne soit pas du simple reprint. A part pour l'interview de John Romita Sr dans le numéro récent (parce qu'il me semblait pertinent de la ressortir mais qu'on n'allait pas inventer des phrases en plus), les cinq articles "redites" ont en général 30 ou 50% de contenu en plus, de manière à ce que nos lecteurs les plus fidèles y trouvent aussi un nouvel éclairage.

Comic Box est revenu sous un format "mook" (contraction de magazine et de book). Qu’est-ce que cela change par rapport à la précédente mouture ? Quels sont les défauts et les avantages que tu voies à ce nouveau format ?

Il a fallu nous habituer à une nouvelle maquette. Ça n'a l'air de rien mais, au fil des années, nous savions pratiquement par cœur que tant de signes faisaient tant de pages maquettées dans le magazine. Là, nos habitudes n'ont plus court, les automatismes ne sont pas les mêmes alors, parfois, on a des surprises. On s'imagine que tel texte va être trop long et tel autre trop court et parfois, une fois maquetté, c'est le contraire. Le rythme de parution est une autre différence mais ça, on a déjà l'expérience d'avoir produit des Comic Box Annual il y a une vingtaine d'années. Donc il faut penser la chose pour que le contenu ne soit pas démodé la semaine suivante. Je crois qu'on sait faire et que, par exemple, le numéro sur les Multivers, paru en 2022, reste encore d'actualité. Le principal défaut reste le prix, assurément, mais on ne peut pas mettre sur le marché tant de pages pour, mettons, six ou sept euros. Cela demande du temps de produire tout ça. J'imagine que ça se sent à la lecture...

On retrouve beaucoup d’anciennes plumes de la rédaction. Lise Benkemoun, Antoine Maurel et Bernard Dato sont fidèles au poste, tout comme toi, bien évidemment. Qu’en est-il de Fabrice Sapolsky, cocréateur de Comic Box, que l’on sait occupé par sa propre structure d’édition aux Etats-Unis (FairSquare Comics) ? Est-il impliqué dans ce retour ?

Hé bien... Fabrice purge actuellement une peine au pénitencier de... non, je plaisante ! Fabrice est *le* fondateur de Comic Box. C'est clairement son bébé. Mais il est parti aux USA depuis de nombreuses années pour travailler dans les comics. Il est pleinement occupé par FairSquare et par différents projets. Même en termes d'envie, il a depuis longtemps pris de la distance par rapport à Comic Box, bien qu'il ait édité là-bas son propre magazine sur les comics, Mutiny. Je continue de le tenir au courant, en l'incluant dans nos discussions groupées. Il donne parfois un avis extérieur sur telle maquette ou telle couverture. Mais c'est plus trop son truc. Bien évidemment, la porte lui reste grande ouverte.

 

Le deuxième numéro de cette résurrection est donc sorti ces jours-ci. Il est consacré aux récits post-apocalyptiques dans les comic books, un genre devenu très à la mode ces derniers temps. Comment analyses-tu ce regain d’intérêt pour toutes ces potentielles fins de nos sociétés ?

Il y a 25 ans il était normal qu'il y ait un relent millénariste et des questionnements apocalyptiques. Mais, surprise, nous avons survécu au bug de l'an 2000 et l'on pouvait se croire "sortis d'affaire". Paf, septembre 2001 nous a remis le nez dedans. Et quand tu regardes les attentats, les guerres, une pandémie et des vagues de confinement, on peut dire que l'actualité de ces dernières années s'est bien occupée de nous rappeler qu'on n'est finalement jamais loin de basculer. Honnêtement, vers 2020-2022 il ne manquait guère plus qu'on nous annonce l'arrivée de Godzilla ! Rajoute à ça les questionnements environnementaux et donc ce serait le contraire qui serait incroyable : si, avec tout ce qui se passe, on ne se posait pas la question d'une fin possible ! Après, je ne veux pas dire que les autrices et auteurs de comics sont pessimistes pour autant. Pour bon nombre d'entre eux, il s'agit d’exorciser leurs peurs. Dans Comic Box Tome 2, par exemple, on parle de Rick Remender et de sa BD Low, qui a été une véritable thérapie d'optimisme.

Est-ce que le sujet du prochain Comic Box est acté ? Tout comme sa périodicité annuelle ?

Lise Benkemoun et moi-même avons déjà discuté de nos envies pour le numéro suivant. Mais, pour le coup, je n'ai pas envie d'en parler si tôt. Annoncer le thème du #2 à la fin du #1 avait l'avantage de montrer que nous ne revenions pas pour faire un seul numéro. Et puis, au départ, nous pensions faire deux numéros par an. Donc teaser le #2 dès la fin du #1 avait du sens, vu que le deux était supposé arriver seulement six mois plus tard. La crise a fait qu'Huginn nous a dit qu'il valait mieux décaler la sortie du deux. Dans l'idéal, je serais tout à fait content de produire deux numéros du mook Comic Box par an. Mais, comme nous venons d'en parler, nous ne vivons pas dans un monde idéal. Donc, déjà, on va voir ce que donnent les chiffres de ventes du #2.

Puisque nous sommes en fin d’année et que tu en es grand observateur, quel bilan tirerais-tu de l’année 2023 pour les comic-books que ce soit aux USA ou en France ? Et comment vois-tu l’année 2024 ?

Beaucoup trop de gens sortent des chiffres sans les comprendre et sans se poser la question principale, celle de la rentabilité. Quand un éditeur arrive à vendre un album de matériel déjà édité, la traduction, le lettrage, la plus grande partie de la maquette sont déjà rentabilisés. Donc s'improviser expert des ventes en regardant seulement un classement peut s'avérer une fausse bonne idée. L'important ce n'est pas de savoir si tel album vend plus qu'un autre. C'est de savoir si les deux albums sont rentables. Et ça, c'est dans un contexte où on arrive à avoir des classements nets et précis, ce qui est de moins en moins le cas aux USA, depuis que les éditeurs se sont dispersés chez différents distributeurs. Ça veut dire que si tu vends 30.000 exemplaires de Captain Machin en fascicule et qu'ensuite, tu vends très bien le recueil (le "TPB"), ben tu arrives sur le deuxième marché en ayant déjà payé tes coûts de création. Ne reste guère que l'imprimeur. Le reste, c'est tout bénef'. Mais quelqu'un qui vend une BD originale directement sur le marché des TPB n'a pas cette avance. Donc à quantité égale, il est moins rentable. Et inversement, tu as des comics qui marchent très bien en fascicules mais qui vendent peu ou pas de recueils. Donc déjà, rien que ça, ça brouille les cartes et encore, c'est quand tu arrives à avoir des classements fiables. Il y a aussi le vieux débat "indé" contre "mainstream" qui fait toujours rage. Mais, de toute manière, ça ne fait l'affaire de personne. Ce serait comme se réjouir de la chute des blockbusters en pensant que ça fait de la place pour le cinéma d'art et essai. Alors que la chute des entrées des blockbusters pousse des cinémas à la fermeture. Donc c'est un beau fouillis. Et s'il y a quelqu'un là-dedans qui prétend avoir de la visibilité sur l'année suivante ou savoir quoi faire pour que les comics se vendent mieux, il ne faut pas qu'il perde du temps à lire cet article. S'il est certain de son coup, il faut qu'il fasse un prêt à la conso et qu'il lance sa boite ! Mais, perso, je ne crois pas à ce genre de certitude...

Enfin, mis à part Comic Box, peux-tu nous parler de tes prochains projets ?

Sur 2024, je crois que mon premier truc à sortir sera le guide de Gotham coécrit avec Alex Nikolavitch pour le compte du jeu Batman: The Gotham City Chronicles. C'est un truc initié fin 2019 qui nous a demandé des années de travail. On a tout relu (même des comics promotionnels) pour organiser la ville de Batman dans un tout cohérent. Forcément, comme ça fait longtemps que nous le portons, nous sommes pressés que les gens l'aient en main, histoire qu'ils voient de quoi on parle. Ça a été un projet hautement addictif à faire et maintenant, il est temps que ça sorte ! Je suis aussi le co-commissaire (avec Jean-Philippe Martin) d'une exposition Marvel qui va se tenir à Angoulême pendant plusieurs mois et c'est un autre projet qui m'éclate bien. Je suis en train de coréaliser (toujours avec Frédéric Ralière) un troisième documentaire, à nouveau pour Warner Discovery. Il y a également Comic Box Tome 3 dans la ligne de mire (d'ici-là, achetez ou faites vous offrir le #2 !) et les délais sur une relance du magazine Strange dépendent de la rapidité de certaines discussions avec les éditeurs américains. Il faut rajouter à cela un ou deux projets sur lesquels je n'ai pas la maîtrise du planning (autrement dit, je ne sais pas si ça sort en 2024). Mais au bas mot, il devrait y avoir quelques conférences et/ou interventions de ce genre. Et plus... si affinités !

Merci pour tes réponses, Xavier !

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Comic Box est le premier magazine professionnel français consacré aux COMICS et à ses univers dérivés. Créé en 1998, il a été présent dans les kiosques, en mensuel, jusqu'à l'été 2001. Le magazine a passé son centième numéro au printemps 2016 pour s'arrêter début 2017. C'est sous un format mook qu'il revient pour le plus grand plaisir des fans de Marvel, DC Comics, Image... et du comics en général. Riche d'interviews rares et inédites, d'articles de fonds, de reviews cinéma, de séries TV et de comics, célébrons la renaissance de LA REFERENCE du magazine comics.
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Second numéro de la nouvelle version de Comic Box, avec des articles et des interviews sur le thème de la fin du monde dans les comics.

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