Samuel Hespel, un de nos rédacteurs occasionnels, est un grand passionné de culture geek, mais aussi de séries. Il a d'ailleurs consacré deux années de recherche de Master à l'étude de la traduction de l'humour dans sa série préférée, Friends. Il a publié cette année son livre La Traduction de l'Humour pour la Télévision, l'adaptation de l'humour dans la sitcom Friends, dans lequel il analyse et décortique chaque modification dans l'humour lors de la traduction.

Superpouvoir : La traduction est bien souvent un travail d'équilibriste, jonglant entre la fidélité et l'adaptation. Avec le recul, que penses-tu de la traduction de Friends en France ?

Effectivement, maintenir un équilibre entre fidélité aux dialogues d'origine et désir de faire comprendre le public français peut se révéler assez délicat. À mon avis, la version française de Friends fait partie des meilleurs traductions de séries, mais comme toutes les traductions, elle a quelques failles. La bonne nouvelle pour le traducteur, c'est qu'un grand nombre de ces défauts a été causé par des éléments extérieurs, comme le temps accordé par la chaîne. Quand on a un temps limité, on est forcé de faire des choix, on ne peut pas passer des heures sur un seul problème et risquer de ne pas terminer dans les temps. Je ne peux qu'aimer la version française pour la simple raison que sans elle, je n'aurai pas découvert la série aussi tôt, et peut être même jamais. Mais maintenant que je connais aussi la version originale, je pense qu'il peut être intéressant de passer de l'une à l'autre. Parfois c'est un peu comme regarder une nouvelle saison, on découvre un point de vue légèrement différent. C'est une sensation agréable.

Superpouvoir : How I Met Your Mother, Community ou encore The Big Bang Theory jouent avec les références, et demandent donc un travail supplémentaire aux traducteurs. Était-ce déjà le cas dans Friends ? Trouves-tu que toutes les références et allusions de la série avaient été bien comprises et traduites, ou certaines sont-elles disparue dans l'adaptation française ?

Samuel Hespel : Étonnamment, il n'y a pas tant de références culturelles que ça dans Friends, et certainement pas autant que dans The Big Bang Theory. Il y'en a quand même de temps en temps. Les personnages font parfois référence à une série ou un chanson de l'époque, qui souvent n'étaient pas connues en France. Je me souviens d'une référence de culture geek (une référence a l'Enterprise) qui a disparu en français. Le fait est que l'univers de Star Trek n'était pas assez connu en France, de l'avis de la chaîne ou bien de l'auteur de doublage. Dans ce genre de cas, il est préférable de remplacer ou de supprimer une référence, plutôt que d'en laisser une qui ne fera pas rire le public français. C'est compliqué de rire à une blague qu'on ne comprend pas. Le problème de Friends est qu'il s'agit d'une série assez âgée. Internet a permis l'accès à des connaissances supplémentaires, mais ce n'était pas encore le cas à cette époque. Aujourd'hui, le public français sait ce qu'il se passe aux États-Unis, et peut donc rire de références américaines. Mais ce n'était pas le cas aussi souvent à la fin des années 90. Ce qui a été adapté à l'époque serait sûrement simplement traduit aujourd'hui. Comme l'Enterprise.

Superpouvoir : Friends est un marqueur d'une époque. Penses-tu qu'actuellement, nous pourrions considérer que d'autres séries d'humour actuelles occupent une place équivalente à la télévision (ou sur les plateformes de streaming) ?

Samuel Hespel : Friends a eu une importance toute particulière pour toute une génération, parce qu'elle racontait une version idéalisée de ce que la vie des jeunes pouvait être. Le problème c'est que pour qu'une série obtienne un tel statut, il faut qu'elle puisse durer dans le temps, ce qui est malheureusement de moins en moins le cas. Les séries que tu as nommé ont eu cette chance, mais je ne pense pas qu'elles aient atteint ce statut. Je suis un grand fan de The Big Bang Theory, mais je ne me sens pas particulièrement concerné par ce que vivent les personnages. Alors que j'arrive à me projeter dans certains aspects de Friends. Peut être parce que la vie des personnages de Friends semble plus accessible, plus normale. Il y a sûrement des gens qui ressentent l'inverse, cela dit. Très honnêtement je n'ai pas l'impression que l'humour soit très à la mode en ce moment, ou alors c'est moi qui ne le vois pas. Je pense en tout cas que ce sera très compliqué pour une série de parvenir au niveau de Friends pour représenter notre époque de manière aussi rassembleuse. Du côté des séries françaises, Fais Pas Ci Fais Pas Ça s'en est approché, et permettait vraiment de voir deux opposés de la société française à une époque précise, mais je ne pense pas qu'elle aura le même impacte. À mes yeux c'est presque la seule qui vaut le coup d'œil. À l'étranger, on est beaucoup sur du policier, de la SF (que j'adore) et du drame. Rien qui ne permette de s'identifier réellement ni de témoigner d'une époque.

Superpouvoir : Penses-tu que le travail de traduction a évolué en même temps que les séries ? As-tu observé une évolution ?

Samuel Hespel : D'un point de vue technique, c'est certain. À l'époque de Friends, on travaillait encore à partir de cassettes et avec du papier et un crayon. Aujourd'hui, tout ce fait sur ordinateur. Il y a beaucoup plus à faire, parce qu'il y a beaucoup plus de séries et de films, mais il y a aussi plus d'auteurs d'adaptation. Le niveau de langage pose moins problème qu'avant. La grossièreté est plus facilement admise, ce qui est assez étrange quand on voit à quel point le public s'offusque facilement du moindre détail aujourd'hui. Une chose que je déplore, c'est le changement de la façon dont on accède à ce métier. Pour mon livre, j'ai interviewé deux auteurs d'adaptation, celui de Friends, et un autre, plus jeune. Alors que le premier a pu apprendre son métier en le pratiquant, le second a dû passer par l'étude théorique (universitaire) avant de pouvoir travailler. Je trouve dommage ce besoin de tout compliquer en ajoutant des étapes dans un processus qui fonctionnait déjà, et de réclamer des diplômes qui semblent remplacer le bon sens et l'expérience aux yeux des recruteurs, sans pour autant les égaler. Et c'est ce qui se passe dans beaucoup d'autres domaines.

Superpouvoir : Avec les plateformes de streaming, nous connaissons un nouvel âge d'or des séries télévisées. Des séries à gros budget aux sitcoms, elles se comptent par centaines, et il devient bien difficile de toutes les suivre. Une telle production a-t-elle eu une incidence sur la qualité de la traduction des séries ?

Samuel Hespel : Un professionnel de l'adaptation serait plus à même de répondre à cette question, mais je pense que le nombre d'adaptateurs à du équilibrer à peu près celui du travail à réaliser. Mais la dégradation du niveau de traduction est effectivement un risque. Plus on embauche, plus on court le risque d'embaucher des adaptateurs moins rigoureux. Je pense qu'on en voit déjà les effets, notamment dans le fait que le public jeune se tourne de plus en plus vers les versions originales. On trouve de plus en plus des dialogues mal synchronisés parce que les mots choisis ne paraissent pas naturels sur les lèvres de l'acteur à l'écran, et c'est frustrant, parce qu'on sait qu'on est capable de faire beaucoup mieux que ça avec un peu plus d'implication et de collaboration. J'aime toujours les versions françaises, mais ça devient de plus en plus dur d'en vouloir à ceux qui préfèrent la version originale.

Superpouvoir : Comme tu le sais, nous avons une tradition par ici. Nous bouclons nos interviews avec cette même question : quel superpouvoirs souhaiterais-tu posséder ?

Samuel Hespel : Ça ne va pas être facile de répondre à cette question. Très honnêtement, je me la suis beaucoup posée, et à chaque fois j'avais une réponse différente. Pendant des années, j'adorais Mystique, et sa capacité à copier les traits de n'importe qui, puis les portails de Yugo (dans Wakfu), ou encore la maîtrise de l'eau, comme Katara. Je pense qu'aujourd'hui, je pencherais pour le vol. C'est une réponse facile, mais il y a une forme d'élégance ou de liberté qui me plaît dans ce pouvoir. Et puis ça représente un gain de temps non négligeable.

Merci Samuel ! Pour rappel, ton livre La Traduction de l'Humour pour la Télévision est disponible aux éditions Le Lys Bleu via ce lien.

 

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