Comme chaque semaine, Superpouvoir.com fait le point sur l’industrie des comic books face au COVID-19.
Un pays durement touché
Si les États-Unis sont un pays particulièrement touché par le COVID-19, c'est que les mesures de confinement ordonnées par les états fédéraux se sont faites tardivement, en ordre dispersé, et de façon plus ou moins draconiennes. Le pays a eu du mal à prendre la mesure de l'épidémie et le paie dorénavant. En cause parfois, le manque d'informations. Ainsi le petit studio Herø Projects a-t-il produit une BD animée, supervisée par un médecin, pour expliquer les bons gestes concernant la maladie. La courte histoire met en scène Sam, qui comme le dit la présentation, "représente l'américain naïf (et arrogant) moyen, qui pense que, parce qu'il est jeune et en bonne santé, il est immunisé contre ce virus".
Avec ce retard à l'allumage, le pays est devenu le pays le plus touché par la maladie depuis ce samedi 11 avril, avec 18 860 décès enregistrés et plus de 500 000 malades. La veille, les USA battaient pour la première fois le triste record des 2 000 morts en une seule journée. Comme toujours dans ce pays, tout est une question de classes et ce sont les populations les plus pauvres (et donc le plus souvent noires) qui sont les plus touchées. Ces populations, ayant souvent des emplois manuels qui ne peuvent pas se faire en télétravail, ne peuvent pas rester confinées et sont plus exposées. Une population pauvre qui va d'ailleurs en augmentant. Le nombre de chômeurs a grimpé à 16 millions de personnes jeudi 9 avril. En plus de la crise sanitaire, le pays est en train de plonger dans une crise économique grave. Une crise qui touche bien évidemment l'industrie des comic books.
Image Comics a ainsi commencé la semaine en annonçant se séparer de quatre employés (sur 24), dont une designer, Carey Hall, et une relectrice, Melissa Gifford. "Laisser quelqu'un partir est déjà difficile, mais laisser partir des personnes compétentes dans des circonstances comme celles-ci est encore plus difficile", a déclaré Eric Stephenson, directeur de publication, à Newsarama. "Cependant, les coupes deviennent nécessaires dans des moments comme celui-ci. Les magasins de bandes dessinées et les librairies étant obligés de suspendre leurs activités pour une durée indéterminée, il est important de les planifier à l'avance lorsque c'est toujours une option."
De son coté, le distributeur Diamond, qui avait annoncé ne plus pouvoir payer ses fournisseurs, a annoncé un plan pour les rétribuer a minima malgré tout. Pendant six semaines, Diamond paiera 25% des sommes dûes, les 75 % restants seront ensuite échelonnées sur une période de treize semaines. Avec la fermeture des points de vente, le distributeur est bien sûr durement impacté et fait l'objet de mesures drastiques comme la réduction de moitié des salaires des cadres ou des reports de paiements de loyers et de charges. En attendant que la situation s'améliore, toutes les solutions sont bonnes pour que les affaires continues. Ainsi, si UPS ne peut plus livrer les adresses d'entreprises non-essentielles, le transporteur peut toujours livrer les particuliers. Diamond a donc signalé aux propriétaires de magasins qui sont encore dans la capacité de vendre qu'ils pouvaient ajouter leurs adresses personnelles pour recevoir de la marchandise. Une façon comme une autre de vider le stock qui dort dans les entrepôts.
Une autre semaine sans comic books
En effet, à l'image de la semaine dernière, toujours pas de nouveaux fascicules chez Diamond et donc dans les magasins spécialisés. Bleeding Cool croit savoir – sous toutes réserves – que Diamond pourrait reprendre les livraisons le 17 mai prochain, mais pour l'instant, seuls quelques recueils ont pu atteindre les librairies généralistes, comme Dawn Of X Vol. 5, X-Men by Jonathan Hickman Vol. 1 chez Marvel, Black Hammer/Justice League: Hammer of Justice pour Dark Horse. DC Comics a pu tout de même faire sortir le graphic novel inédit Gotham High (une relecture à la Archie de l'univers de Gotham) qui passe par Penguin Random House, un distributeur plus généraliste. D'ailleurs, cette filière généraliste a été peu touchée au mois de mars. Alors que les premières lois de confinement faisaient leur apparitions, les ventes de graphic novels pour adultes sont restées stables par rapport à 2019, tandis que celles pour le jeune public ont même augmentés par rapport à l'année dernière.
Évidemment, comme précisé la semaine dernière, la production a particulièrement ralenti chez de nombreux éditeurs : Valiant, Marvel, Dark Horse, IDW... Humanoids Publishing a également revu son planning, repoussant ses sorties à septembre. Chez DC, selon Bleeding Cool, on aurait mis en suspens quelques projets, notamment au sein du DC Black Label et ceux autour de la Generation 5. Il se dit d'ailleurs que DC profiterait de cette pause pour faire l'inventaire des projets amorcés par Dan Didio, l'ancien directeur de publication, sorti au début de l'année. En revanche, l'éditeur compte sur le temps ainsi gagné pour remettre sur les rails des titres qui étaient en retard (comme Legion of Super-Heroes) et accumuler des pages d'avance. De même, la production de la gamme pour enfants et jeunes adultes marche à plein régime puisque ce sont les seuls titres qui peuvent sortir.
Malgré l'absence de comics, les – petits – éditeurs continuent en tout cas d'être solidaires avec les libraires puisque une petite frange d'entre eux (TKO!, Scout Comics, Black Mask, It's Alive) ont décidé de partager leur bénéfices avec les détaillants.
Des auteurs sur le pont
Les auteurs sont également sur le pont. Sur les réseaux sociaux, certains sont très actifs pour faire oublier le confinement et le manque de comic books. Matthew Rosenberg a ainsi proposé de changer l'habituel #NCBD (New Comic Book Day, où les internautes partagent leurs achats de nouveautés) par #NTYCBD (New TO YOU Comic Book Day). Les internautes peuvent ainsi parler des anciennes perles qu'ils découvrent pour la première fois à l'occasion de cette distanciation sociale. Donny Cates, lui, suggère de faire travailler les artistes en pause sur des commissions, des commandes de dessins. Lui-même collectionneur de dessins de Miracleman/Marvelman, il promet de payer tous les dessins professionnels qu'on pourrait lui proposer sur le personnage.
Toujours pour aider les détaillants, beaucoup de dessinateurs ont rejoints Jim Lee et Rob Liefeld et sortent leurs crayons. Arthur Adams, Bryan Hitch, Ivan Reis ou encore Humberto Ramos mettent leurs dessins aux enchères pour récolter des fonds. La longue série de 60 enchères en 60 jours de Jim Lee, elle, commence à atteindre des montants importants. Le sketch sur Batman Red Rain est parti pour 17 300 $ et c'est déjà plus de 70 000 dollars qui ont été collectés par le directeur de publication de DC Comics. Ross Richie, le responsable de Boom! Studios, a même suggéré que les dessins soient réunis dans un livre dont les bénéfices pourraient également aller aux comic book stores.
Interrogé sur la situation, Todd Mc Farlane, créateur de Spawn mais aussi co-fondateur et président d'Image Comics, est prêt également à reprendre les crayons pour un éventuel projet spécial, comme un cross-over entre Spider-Man et Spawn, afin de relancer l'industrie des comics. À contre-courant de l'avis général, l'essentiel est en effet pour lui de continuer à fournir des produits culturels. "Cela n'aidera pas nécessairement les détaillants, mais nous ne pouvons pas permettre aux clients de perdre l'habitude d'être des geeks, d'obtenir leur dose régulière pour garder leur intérêt pour les bandes dessinées au lieu de passer à autre chose.(...) Voici ce que je sais des toxicomanes: plus ils sont sobres, plus il est facile de rester sobre. Nous ne voulons pas que nos clients rompent avec cette habitude. Les consommateurs rempliront leur temps d'une manière ou d'une autre. Pourquoi laisser un concurrent le remplir avec des vidéos ou des jeux en streaming ? Nous devons continuer à fournir."
Numérique or not numérique ?
Pour Mc Farlane, les éditeurs doivent donc continuer à sortir des histoires, même en numérique, au risque de déstabiliser le Marché Direct. Une opinion peu partagée par les autres éditeurs comme Dark Horse ou même Image. Eric Stephenson, directeur de publication d'Image, a ainsi rappelé la politique officielle de l'éditeur qui va à l'encontre de l'opinion personnelle de son président : "Nous devons soutenir le canal qui est le plus éminemment menacé par la fermeture des entrepôts et d'entreprises non essentielles : les magasins locaux de bandes dessinées et les librairies indépendantes. Ces magasins sont plus que les simples détaillants de notre communauté, ce sont les grands champions du médium. Ils stimulent l'enthousiasme et (...) agissent en tant que prescripteurs de choix pour les lecteurs à la recherche de leur prochaine bande dessinée ou roman graphique." Pas de nouveautés numériques pour Image donc.
Pourtant, comme on s'en doute, il y aurait bien une demande. Ainsi, Batman The Adventures Continue #1, un des titres en avant-première numérique ("Digital First") de DC Comics, est premier des ventes de Comixology US, UK et Canada. Bon, il s'agit d'un titre Batman, qui revient sur la période très populaire de Batman The Animated Series et il s'agit d'un numéro 1. Teen Titans Go ! To Camp #7, autre titre Digital First et sorti la semaine suivante, n'a pas fait aussi bien.
Changer le Marché Direct ?
DC aurait également lancé un sondage auprès des détaillants, histoire de savoir quelle est l'étendue réelle du réseau actuel de distribution. Pour les observateurs, cela pourrait être aussi un moyen de poser les bases d'un système différent, après la crise, qui ne passerait pas par Diamond.
Nombreux sont ceux d'ailleurs a déjà pensé à "l'après". Le très actif Brian Hibbs, propriétaire de Comix Experience à San Francisco, a d'ailleurs mis en place une espèce de cahier de doléances pour ses confrères commerçants. L'idée est bien évidemment de profiter de la bonne volonté actuelle des éditeurs à leur encontre pour faire bouger les lignes. Outre des souhaits techniques concernant le Previews (le catalogue de Diamond), les délais de commande ou les frais de transports, les libraires souhaitent visiblement que l'industrie change ses habitudes éditoriales actuelles.
Ils apprécieraient ainsi moins de couvertures variantes ou que les one-shots soient mieux identifiés, histoire de ne pas faire croire qu'il s'agit du numéro un d'une nouvelle série régulière. Concernant les séries bimensuelles, ils aimeraient que les trois premiers numéros soient mensuels pour pouvoir ajuster les volumes de commande avant de passer à leur rythme normal. Ils demandent moins d'intrigues courant sur douze numéros et plus d'épisodes "reader friendly" avec un début, un milieu et une fin, estimant que ce serait moins rédhibitoires pour les nouveaux lecteurs. D'ailleurs, la politique d'écriture en arcs, recueillis ensuite en trade paperbacks, est une des cibles prioritaires des libraires. Ils espèrent ainsi que tous les arcs ne soient pas systématiquement réédités et que le délai de passage en recueils soit allongé. De même, un délai entre sortie physique et sortie numérique serait apprécié.
Les libraires sont également une source de propositions en émettant l'idée d'une collection de comics inédits à un dollar ou d'anthologies à la japonaise avec des épisodes de séries en vue dans de gros bouquins en noir et blanc à 9.99 $.
Beaucoup d'idées donc, mais seront-elles soutenues par les éditeurs ? Seront-ils prêts à changer leurs habitudes, à évoluer, surtout après une telle tempête sanitaire et économique ?
A suivre: Entre colère des libraires et solidarité des auteurs, DC Comics revient dans les bacs