Le signal s'élève dans le ciel et déchire la nuit : The Batman est enfin arrivé dans les salles obscures. Cette nouvelle version des aventures du Chevalier Noir par le réalisateur Matt Reeves (la trilogie de La Planète des Singes) va-t-elle conquérir ou bien diviser ? Une chose est certaine : elle ne laissera personne indifférent. Ses sept mois de retard par rapport à la sortie initiale valaient-ils le coup d'attendre ?

C'est sans doute le film de super-héros le plus attendu de toute l'année et c'est un euphémisme. Avec pas moins de trois incarnations prévues pour l'année 2022 entre les retours de Michael Keaton et Ben Affleck dans le film The Flash et l'arrivée tardive mais enfin bien concrète de Robert Pattinson sous la cagoule, Batman n'a jamais été aussi populaire et c'est avec une impatience fiévreuse que les fans du monde entier vont fondre sur les salles de cinéma pour découvrir cette nouvelle itération de la chauve-souris, avec autant de vélocité que Bruce Wayne en a pour fondre sur le crime. Et pourtant, l'exercice promettait d'être casse-gueule.

Avec sa volonté d'aborder à nouveau ce mythe sous un angle réaliste à l'extrême, le réalisateur Matt Reeves et le scénariste Peter Craig prenaient le risque de se frotter à l'épineux précédent qu'est le Dark Knight de Christopher Nolan, encore très ancré dans les mémoires des fans de l'encapé de Gotham et même des cinéphiles au sens large, ces derniers n'ayant d'ailleurs pas été bien prompt à accepter l'annonce de l'anglais Robert Pattinson dans le rôle-titre qui, disons-le, d'entrée, fait des merveilles dans le double rôle de Batman / Bruce Wayne, portant sur ses épaules la vision particulière, sombre et fascinante des célèbres comics DC qu'offrent Matt Reeves et ses équipes à leur plus fier et populaire représentant – dont ils ont compris l'essence même et les plus intimes tourments.

Noir, c'est noir

Dans une Gotham City rongée par le crime et noyée sous des pluies torrentielles, Batman (Robert Pattinson) fait planer son ombre menaçante depuis deux années, avec le fragile soutien du lieutenant Jim Gordon (Jeffrey Wright), un des seuls flics incorruptibles d'une police débordée et ne voyant pas cette association illégale d'un très bon œil . Malgré la défiance des forces de l'ordre qui tolèrent la présence ambigu de ce justicier et une délinquance encore active en dépit de ses actes, les criminels se le tiennent pour dit : il y a un nouveau shérif en ville, dangereux et imprévisible, pouvant surgir des ténèbres pour les corriger avec violence. Le Batman conserve tout de même encore un statut de légende, de croque-mitaine même (son nom n'est pour ainsi dire presque jamais prononcé de tout le film) et certains inconscients se surprennent encore à le découvrir aux coins des rues, tout prêt à leur servir une sévère tannée. C'est après qu'un horrible meurtre ait été commis sur un haut dignitaire de la ville que Gotham va basculer dans un chaos inédit. Le responsable ? Un dénommé Riddler (Paul Dano), tueur masqué cryptique bien décidé à dévoiler la corruption qui gangrène Gotham City depuis trop longtemps. Grâce à des énigmes laissées sur les lieux des crimes à son attention, Batman va se lancer dans un jeu de pistes mortel et déstabilisant, remettant en cause le bien fondé de son action et même son héritage familial tout entier...

Le Battinson : nouveau Bat- fétiche des fans ?

Car c'est bien Bruce Wayne davantage que Batman le cœur de ce récit. Il en est même le narrateur (ce que faisait plus timidement Ben Affleck dans Batman v Superman en 2016). Le regard hanté et obsédé par le fardeau d'héroïsme qu'il s'est lui-même imposé, le Bruce Wayne de Robert Pattinson traîne de guerre lasse sa silhouette dans une Gotham à la dérive, des souterrains crasseux jusqu'aux sommets des buildings mal éclairés, avec pour seul but d'honorer son serment. Fait rare, The Batman scelle avec le spectateur un contrat de confiance inédit en ne nous rappelant pas les origines du traumatisme de Bruce Wayne. Un certain gain de temps autant qu'un véritable pacte, édictant que nous en savons bien assez désormais sur le lore de l'homme-chauve-souris pour nous passer de cet arc narratif vu et revu et dont le brave Alfred (brillamment joué par un Andy Serkis malheureusement trop rare dans le film) nous rappellera à l'occasion combien il a changé les choses pour notre héros. Présent dans presque tous les plans du film, Pattinson crève l'écran avec autant de brillance que le bat-signal, aussi bien en Batman brutal et taiseux qu'en Bruce Wayne émacié, reclus et négligé, partiellement inspiré par le chanteur Kurt Cobain du groupe Nirvana (dont le titre Something In The Way résonne à deux reprises dans le film, encore un choix très rare dans un Batman). Cet avatar de rock star inaccessible, Pattinson et Reeves l'ont voulu comme le véritable masque du personnage, un motif extrêmement présent dans les bandes dessinées et jusqu'ici abordé presque en filigrane dans les autres films consacrés au héros. Le masque et l'identité secrète sont à nouveau une composante importante du récit, tout comme l'aspect détective du personnage, souvent expédié, voire négligé jusqu'ici. La photographie de Creig Fraser (Zero Dark Thirty, Rogue One, Dune) nous plonge dès les premières minutes dans un pur film noir de tradition, où le personnage de Batman reprend, enfin, le rôle de fin limier auquel on n'a jamais assez rendu justice, une approche permise ici par le choix du Riddler (que l'on connait mieux en France sous le nom du Sphynx, ou d'Homme Mystère) comme principal antagoniste, subissant ici un lifting aussi drastique que glaçant.

Enigmes et autres ennemis

Méchant classique de l'univers de Batman n'ayant jusqu'ici eu droit au cinéma qu'à une partition plutôt grotesque de Jim Carrey dans Batman Forever (encore que très fidèle à un certain classicisme daté), le Riddler endosse ici les oripeaux d'un tueur en série aussi insaisissable que machiavélique, dont les exactions ne seront pas sans rappeler les pires atrocités d'autres tueurs de cinéma comme l'assassin de Seven (David Fincher) ou le Jigsaw de la saga d'horreur Saw (Jigsaw signifiant puzzle, vous soulignerez de vous même l'ironie). Presque toujours dissimulé derrière un modificateur de voix et une défroque à des lieux de son costume classique, ce Riddler-là est inspiré du Tueur du Zodiaque (dont l'histoire fut également contée par Fincher) et endosse la peau d'un héros maléfique de grande classe, digne d'un Moriarty des grands jours. Le talent de Dano monte en puissance à chacun de ses crimes et apparitions, faisant par moment frôler au film le statut horrifique. Quiconque avait plébiscité les réinterprétations "réalistes" du Joker ou de Bane dans la trilogie Dark Knight seront sans nul doute séduits par cette itération du personnage, crédible, tout en étant très respectueuse de sa nature profonde. Le Riddler aime être vu, entendu, que son génie soit reconnu, quitte pour cela à s'exposer dans des vidéos à l'attention de tout Gotham, ce que fait le personnage dans de nombreux récits depuis l'âge d'or de DC. Preuve encore que les équipes connaissent par cœur l'univers de Batman et l'ont largement étudié afin d'en tirer le meilleur et de le présenter sous un nouveau jour, mais sans jamais le trahir. De fait, les décors renouent parfois avec la majesté gothique des planches de la bande dessinée, comme ce Wayne Manor décrépit, mal entretenu, où Bruce erre de pièce en pièce, reflet de son propriétaire dépressif et mal dans sa peau.

Le Riddler réaliste et glaçant comme vous ne l'avez jamais vu... 

Les lecteurs retrouveront aussi des réminiscences aux récits les plus classiques de l'homme chauve-souris : de Year One, à Long Halloween, en passant par l'An Zéro, Silence, Earth One, l'arc de Scott Snyder ou même la série de jeu vidéo Arkham, en particulier lors de séquences de combats aussi rares que nerveuses où Batman rétame du goon à la pelle tout en encaissant presque à bout portant des déflagrations d'armes à feu. En ce sens, le film réclamera peut-être à quelques instants du récit une certaine suspension d'incrédulité, l'armure de Bruce semblant incroyablement résistante sans que de longs monologues d'exposition de l'inventeur Lucius Fox (absent du film) ne soient présentés. Encore une fois, le pacte lié avec le spectateur implique qu'il sait de quoi il retourne et les gadgets de Bruce sont ici très rares, souvent fabriqués main, comme en témoigne la nouvelle Batmobile, Mustang customisée dont l'heure de gloire constituera en une poursuite haletante et nerveuse avec le Pingouin (joué par un Colin Farrell méconnaissable et dont la prestation est aussi jouissive qu'impressionnante). Un véhicule quasi vivant (Matt Reeves dit s'être inspiré du film Christine de John Carpenter) ici partiellement filmé par caméra emporté, comme énormément d'autres séquences du film qui semble vouloir coller au plus près ce chevalier noir obsessif et maniaque du contrôle, et ce jusque dans ses moindres actions.

The Bat and The Cat

Pourtant, aussi intouchable et grandiose soit Batman, il reste un homme et ce n'est pas sans aide qu'il parviendra à triompher des épreuves titanesques qui l'attendent contre les criminels, le moindre n'étant pas le parrain Carmine Falcone (John Turturro), très peu présent dans la promotion du film et les bandes-annonces mais qui va pourtant jouer un rôle absolument crucial dans le déroulé des événements. Ainsi, pour ce qui est du crucial, en plus d'Alfred et de Jim Gordon (peut-être un peu effacé dans le récit), citons Selina Kyle, l'autre héroïne de l'histoire, jouée par une Zoé Kravitz absolument royale dans sa félinité, sa force et ses déhanchés provocateurs. Bien qu'elle soit encore une forme très embryonnaire de la future Catwoman que l'on connaît (comme le Riddler ou même le Pingouin), le personnage est probablement la version la plus fidèle aux comics jusque là, jouant double-jeu avec le Chevalier Noir en fonction de ce qui l'arrange sur le coup. Chapardeuse de haut-vol et combattante émérite, cette Selina Kyle-là ne dégage certes pas la fascination d'une Michelle Pfeiffer dans Batman Returns mais reste raccord avec l'univers proposé, à la fois femme fatale typique, faisant elle aussi appel au déguisement, et modèle d'héroïne puissante et fortement engagée, progressant avec Batman sur un pied d'égalité.

Rivale et alliée : Selina Kyle est l'une des forces motrices du récit, agissant plus frontalement encore que Batman lui-même

En termes d'engagement, le récit de The Batman n'est pas sans envoyer un certain message et se fait le reflet d'une société proche de la nôtre, où la méfiance envers les ultra-riches et les élites est de plus en plus prégnante et où la question de la responsabilité individuelle joue un rôle crucial dans la construction ou la déconstruction d'une société malade. Ainsi, on n'oublie pas de questionner (le Riddler le premier) la pertinence du rôle même de Batman et de son combat. Fait-il une différence dans une société corrompue ? Son propre mal-être obsessionnel le détourne-t-il de la vraie quête de bien commun ? Et son costume et sa croisade ont-ils, oui ou non, influencé d'autres personnes sur la bonne et la mauvaise voie ? Encore une fois, ce sont là des thèmes chéris par les fans des comics, toujours mis en avant, questionnés et débattus après quatre-vingt années d'éditorialité, soulignant à nouveau l'intemporalité du personnage dans l'inconscient collectif et même son importance mythique dans la pop-culture, l'érigeant avec toujours plus de pertinence comme un héros classique - le grand finale du film endossant même des attributs de chaos quasi bibliques.

Gotham pleure

Au-delà des gadgets, des enquêtes, des patates de forain, et au milieu de tout ce désespoir, l'émotion parvient tout de même à naître à plusieurs reprises dans The Batman, certaines scènes tragiques étant tout à fait à même de faire pleurer dans les chaumières (les fans aspireront même à un moment donné le plus gros hoquet de choc du monde). Le responsable en étant probablement le compositeur Michael Giacchino dont la somptueuse bande originale à la fois tragique, puissante et sombre (d'une durée de presque deux heures) habille le récit de fabuleuses touches de noirceur et d'espoir, les deux composantes majeures qui font de Batman ce personnage si ambigu et instable qu'on ne peut s'empêcher d'admirer en dépit de tous ses défauts humains. Des défauts, le film en possède par ailleurs. Certains iront peut-être l'accuser d'être trop long (02h55 au compteur), une durée pourtant totalement essentielle à la mise en place d'un récit où cinq à six sous-intrigues cohabitent en même temps, tissant une enquête tarabiscotée nécessitant probablement qu'on n'y revienne une seconde fois afin de tout démêler. Pour les plus exigeants, Matt Reeves n'est pas Christopher Nolan et aux grands scopes, son cinéma préfère l'intimité et le cadrage de grandes images symboliques, privilégiant un Batman plus noir, plus désespéré, peut-être moins accompli, mais extraordinairement volontaire dont on a encore peut-être même pas effleuré le sommet de l'iceberg, rêvant déjà à une suite forcément fantasmée. A dire vrai, il est presque futile, voire stérile, de comparer The Dark Knight à The Batman tant les deux approches se tutoient en termes d'authenticité tout en dépeignant chacune sa propre perspective et ses grandioses enjeux.

Dans un monde où la guerre à sa place, le conflit intime de The Batman ici présenté constitue presque une clé. Celle d'un grand film sur les frontières morales, les injustices, la confiance et la remise en question du système. Que du divertissement ? peut-être pas forcément. Car on sait au fond que pour les fans, Batman est plus qu'un simple personnage de fiction. Peut-être qu'au milieu de tant de ténèbres, le chevalier noir, dans toute son anonymité, peut mener tout un chacun vers la lumière.

The Batman est actuellement en salles depuis le 2 mars 2022

Un des plans les plus sublimes et lourd de sens de tout le film

 

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