Les quatre célèbres Tortues Ninja ont de nouveau le vent en poupe et le film d'animation Ninja Turtles: Teenage Years ne devrait pas calmer la tortuemania grandissante du moment.
Près de quarante ans après la parution des premiers comic books créés par Kevin Eastman et Peter Laird, les super-héros à carapace font donc leur retour sur grand écran dans une nouvelle aventure qui nous raconte les débuts du quatuor, insistant sur un aspect souvent négligé des personnages : leur adolescence. Effectivement, on l'oublie souvent, mais les Teenage Mutant Ninja Turtles, comme elles ont été nommées dès leurs débuts, sont donc bel et bien des tortues ninja mutantes adolescentes. Et c'est ici enfin le cœur de l'histoire qui raconte avec brio cette étape cruciale du développement de ces personnages phares de la Pop Culture.
Shells Like Teen Spirit
Dans la plupart des adaptations des Tortues Ninja, que ce soit en séries animées ou même dans les films en live action, l'adolescence des quatre frères était soit oubliée, soit survolée (notamment dans les films de 2014 et 2016 produits par Michael Bay). Or ici la trame de l'histoire découle de l'envie irrépressible de Leonardo, Raphael, Donatello et Michelangelo de vivre une adolescence normale en compagnie des humains qu'ils envient depuis toujours. L'association de leur adolescence et des années de frustration va amener des actions et décisions qui les conduiront effectivement à sortir de leurs égouts pour se confronter aux habitants de la surface, qui ne sont sans doute pas près pour découvrir l'existence des mutants.
Qu'il s'agisse des frères ou de leur nouvelle amie, April O'neil, le besoin impérieux de s'intégrer, ou au minimum d'être accepté pour ce que l'on est, est parfaitement bien retranscrit et ce malgré le fait que chaque personnage ait sa personnalité propre. Une belle prouesse d'écriture, mais qui ne surprend pas forcément lorsque l'on sait que le film est co-produit par Seth Rogen, souvent décrit comme un éternel adolescent.
Si cette approche des Tortues Ninja est pour ainsi dire inédite ou presque, il en va de même pour l'animation et le graphisme qui ne laisseront pas indifférents. Si beaucoup trouvent de nombreuses similitudes (assumées) avec le style que l'on a pu voir récemment dans Spider-Man: Across the Spider-verse, Ninja Turtles: Teenage Years (ou TMNT: Mutant Mayhem en VO) trouve matière à se démarquer avec ses propres codes et particularités. Ainsi on retrouvera notamment ce qui pourrait s'apparenter à un style crayonné, donnant un côté légèrement brouillon qui, en plus d'avoir son charme, colle parfaitement avec l'état d'esprit des jeunes mutants et permet de placer le spectateur dans des conditions idéales pour se mettre dans la tête des personnages. Pour appuyer cela, de petits détails permettent également de voir la différence entre les héros : Raphael, le bagarreur a le visage légèrement plus anguleux que celui, plus arrondi et doux, de Leonardo qui, au contraire, est davantage dans la retenue et le respect des règles, le rendant plus "lisse" que son frère. D'ailleurs, Toujours dans cette logique, il est fort probable que les visages rarement harmonieux des humains aient été pensés pour insister sur l'idée que les vrais monstres ici sont les habitants de la surface, bien trop rapidement enclins à se comporter de manière horribles avec les pauvres mutants qui n'aspirent qu'à vivre en paix à leurs côtés. Des détails plus ou moins subtils qui contribuent à faciliter l'adhésion des spectateurs à une histoire pourtant fondamentalement classique et maintes fois traitée, grâce à une immersion efficace et, là encore, assez inédite.
Fait particulièrement intéressant de ce reboot de l'univers des Tortues Ninja, ce nouveau film se joue de certaines habitudes. Ainsi, les inévitables Bebop et Rocksteady peuvent surprendre séparés du tout aussi inévitable Shredder, grand absent de ce (premier ?) film. De plus, contrairement à tout ce qui a pu être fait jusqu'ici, exit la culture japonaise généralement transmise par Splinter à ses protégés, les arts martiaux et leur justification différant de ce qu'on a pu voir (et lire) jusqu'ici. Si le film est parsemé de références (par exemple le nom du lycée basé sur celui d'un des créateurs des TMNT), il casse donc les codes, ce qui ne gênera en rien le nouveau public et permettra aux fans de la première heure – peut-être quelque peu déroutés – de découvrir enfin une nouvelle approche.
Nine Inch Shell
Pour ce qui de l'immersion au cinéma, il faut généralement compter sur la bande-son. Ici, nous sommes baladés entre la musique composée pour le film par Trent Reznor et Atticus Ross et une playlist de hip-hop des années 90 qui donnent efficacement le ton (on ne manquera pas de remarquer une référence au second film de 1991 avec un très bref extrait de Ninja Rap de Vanilla Ice). Si les personnages semblent bien ancrés dans notre époque – comme le confirment par exemple le vocabulaire employé et l'utilisation de smartphones – le choix musical pourrait surprendre bien qu'il s'associe parfaitement au style graphique du film qui n'est pas sans rappeler le street art de cette même période. Mais cela peut éventuellement se justifier par le fait que leur père, Splinter, refuse presque en bloc ce qui vient de la surface et a pu se cantonner à ce qu'il a assimilé des humains une quinzaine d'années plus tôt. Un autre détail subtil qui permet de nous glisser dans la carapace des frangins. À moins qu'il ne s'agisse là tout simplement que d'un parti pris artistique – Rogen étant lui-même fan de rap – particulièrement efficace.
Et pour ce qui est de la musique originale, le style du duo est clairement reconnaissable – les fans de Nine Inch Nails, le groupe Reznor, pourraient se sentir par moment comme à la maison – mais se fond parfaitement bien à l'action, pour ne pas dire aux scènes d'action.
La voix du ninja
Côté direction artistique française, il n'y a pour le coup pas forcément grand chose à dire, chaque voix étant globalement bien choisie et en accord avec les personnages. On pourrait éventuellement être légèrement surpris par celle de Raphael qu'on imaginerait plus grave que celle de ses frères vu le caractère et le gabarit de la tortue, mais rien de dommageable. La bonne surprise se situe au niveau de Gérard Darmon (Jackie Chan en V.O.) qui, même si sa voix singulière reste reconnaissable, livre une performance efficace pour doubler rat Splinter, le père et maître des tortues. De même le rappeur Sofiane Zermani alias Fianso campe un Superfly plutôt efficace, d'autant plus qu'il s'agit ici de sa première expérience de doublage.
En revanche, si on devait chercher une critique négative à faire, le bémol se situerait au niveau d'Audrey Lamy. La comédienne qui s'est déjà prêtée avec brio à l'exercice du doublage, joue ici une excellente... Muriel Robin. Celles et ceux qui connaissent l'humoriste et son phrasé bien à elle pourraient être légèrement déroutés dans la mesure où le personnage donne davantage l'impression de s'exprimer avec sa voix qu'avec celle de Lamy. Un détail qui ne nuit en rien au film ou à la prestation de l'actrice.
Le point fort du casting vocal français reste ici le fait d'avoir respecté la volonté des producteurs de faire appel à des comédiens adolescents ou jeunes adultes pour jouer les personnages principaux. Quant aux autres membres du casting français, il faut reconnaître qu'il est au final assez peu reconnaissable malgré le choix d'avoir pris de nombreuses têtes connues pour les personnages secondaires du film.
En conclusion, si le jeune public peut passer à côté de nombreuses choses, tout en appréciant malgré tout le spectacle qu'offre Ninja Turtles: Teenage Years, le film est un bon moment qui plaira aux ados comme aux adultes, qu'ils soient ou non fans ou nostalgiques des Tortues Ninja d'origine. Cette nouvelle version des débuts des quatre frères est parfaitement rythmée, pour ne pas dire chorégraphiée, et ne laisse pas de temps morts, sans pour autant nous en mettre plein la tête, durant les 1h39 que l'on ne voit pas passer. De quoi sortir de la salle en espérant que la suite, suggérée dans la scène-post générique du film, ne tarde pas trop à arriver sur nos écrans.
Ninja Turtles: Teenage Years, dans les salles de cinéma françaises à partir du 9 août 2023.