Avec Captain America: Brave New World, Marvel tente de redonner un second souffle à son univers cinématographique. Mais le pari est-il réussi ?
Avec la sortie d'Avengers: Endgame en 2019, le Marvel Cinematic Universe a connu un pic de popularité sans précédent, concluant onze années de succès quasi-ininterrompu et permettant de dire au revoir aux acteurs incarnant Iron Man et Captain America, Robert Downey Jr et Chris Evans. Depuis, l'univers adapté des comic books Marvel a marqué le pas, connaissant quelques succès (Spider-Man: No Way Home, Deadpool & Wolverine) au milieu de nombreuses déconvenues (Les Éternels, Thor: Love and Thunder, Black Panther: Wakanda Forever, Ant-Man and the Wasp: Quantumania, The Marvels) alors que la production télévisuelle nouvelle n'a clairement pas convaincue. Dans ces conditions, chaque nouveau long métrage du MCU pose maintenant la question : dois-je me déplacer au cinéma pour voir ce nouvel épisode du long feuilleton ourdi par le producteur Kevin Feige ? Début de réponse ici.
De quoi parle Captain America: Brave New World ?
Dans la série télévisuelle Falcon & le Soldat de l'Hiver, Falcon alias Sam Wilson (Anthony Mackie), longtemps partenaire de Steve Rogers, reprenait le costume de Captain America. Une passation qui intervenait après une certaine période d'hésitation et la découverte qu'un Captain America noir avait déjà existé. Isaiah Bradley (Carl Lumbly) avait subi contre son gré des expérimentations avec le sérum du super-soldat. Après avoir mis ses pouvoirs au service de son pays durant la guerre de Corée, il avait été enfermé au secret durant plusieurs décennies, l'administration américaine estimant qu'un Captain America ne pouvait pas être noir. Malgré ce contexte de méfiance vis-à-vis du pouvoir, Sam avait décidé de reprendre le bouclier symbolique de son ami, justement en signe d'espoir et de renouveau.
Cependant, à l'ouverture de Captain America: Brave New World, on ne peut pas dire que la méfiance se soit apaisée. Les élections ont portées à la présidence Thaddeus "Thunderbolt" Ross (Harrison Ford), général sempiternel poursuivant de Hulk et d'autres Avengers après Captain America: Civil War. Malgré son passé hostile aux super-héros, le général semble vouloir faire amende honorable dans l'espoir de se réconcilier avec sa fille Betty (Liv Tyler). Le nouveau Cap est donc bien décidé à collaborer avec lui, malgré la réprobation d'Isaiah Bradley. Et ca tombe bien car la présidence Ross a un sacré défi sur les bras : faire signer à de nombreux pays un accord visant à contrôler et à réguler les ressources tirées de l'Île Celeste et en premier lieu, le formidable métal nommé adamantium. Un métal si résistant qu'il peut tenir la dragée haute face au vibranium, chasse gardée du Wakanda.
Après une mission de récupération réussie face à Sidewinder (Giancarlo Esposito) et sa Société du Serpent, Sam Wilson, son acolyte Joaquin Torres (Danny Ramirez), alias le nouveau Falcon, et Isaiah Bradley sont invités à la Maison Blanche pour une réception où le président Ross espère voir signer son accord. En aparté, il demande même à Sam de vouloir considérer sa proposition de reformer les Avengers, mais la soirée tourne court lorsque Isaiah tente d'assassiner le président. Ruth Bat-Seraph (Shira Haas), ancienne tueuse de la Chambre Rouge et nouvelle conseillère sécurité du président, est persuadé de la culpabilité d'Isaiah et le fait enfermer au grand dam de Wilson qui va tenter de disculper son ami, mettant au jour le terrible secret de Thaddeus Ross.
Anthony Mackie dans un costume trop grand ?
C'était l'un des grands enjeux du film : Sam Wilson pouvait-il succéder à Steve Rogers dans le costume symbolique de Captain America ? En d'autres termes, Anthony Mackie pouvait-il porter un blockbuster d'action sur ses épaules en lieu et place de Chris Evans ? Force est de constater que la réponse est plutôt oui. Physiquement, Mackie en impose et ses scènes de combat sont plutôt réussies, dans un style différent, plus virevoltant, que celui de Rogers. Sans sérum de super-soldat, son Sam Wilson est plus dépendant de la technologie, ici, en l'occurrence, un costume en vibranium offert par le Wakanda et qui lui permet de garder ses ailes, atout non négligeable en cas de combat, ce qui nous vaut d'ailleurs une bataille aérienne au-dessus de l'Île Celeste plutôt nerveuse.
Quid alors du symbole d'avoir un Captain America noir dans un pays toujours marqué par les tensions raciales (l'affaire George Floyd et Black Lives Matter ne datant finalement que de cinq petites années) ? On aurait en effet pu penser qu'entre Sam Wilson et l'histoire d'Isaiah Bradley, le film prendrait le sujet à bras le corps. Sa sortie en plein mois de février, mois du Black History Month, pouvait laisser penser que les producteurs auraient à cœur de l'aborder, d'autant que l'on compte parmi eux Nate Moore (l'homme a qui l'on doit les deux Black Panther) et Anthony Mackie, et que le réalisateur Julius Onah est lui-même américano-nigérian. Las, à aucun moment, le film ne s'empare véritablement du sujet, pas même lorsque Bradley est de nouveau emprisonné à tort. Tout au plus, le film se permet de tordre un peu les clichés en laissant ses personnages se comporter comme des stars du rap sur un mode comique dans la scène de la limousine. L'ajout du personnage de Joaquin Torres, d'origine mexicaine, aurait également pu donner lieu à une réflexion sur l'immigration, sujet ô combien brûlant dans l'Amérique de Trump, mais là aussi, le métrage se tient très loin de toute possible polémique.
C'est d'ailleurs le principal reproche que l'on va faire à ce 35e film Marvel : son extrême tiédeur. Tout, dans Captain America: Brave New World, est fait pour ne pas froisser, ni heurter. En évacuant tout propos politique (alors que tout aurait dû y ramener), le film se contente de dérouler son intrigue. Si on pourrait louer d'un côté son économie qui fait que le film dure un peu moins de deux heures et ne se concentre que sur son histoire, on ne peut s'empêcher de penser qu'avec un peu plus de courage, le film aurait pu évoluer dans d'autres sphères, plus proches de celles de Black Panther (Ryan Coogler, 2018) ou de son prédécesseur Captain America: The Winter Soldier. D'ailleurs, dans son premier tiers, le film tente de façon louable de jouer lui aussi dans la cour du techno-thriller, mais sans vraiment réussir son pari, à l'image de la scène où Sidewinder tente de tuer Sam Wilson dans une rue bondée de voitures. Malgré toute la bonne volonté des acteurs Anthony Mackie et Giancarlo Esposito, le segment reste d'une royale platitude.
Brave Old World

Sam Wilson (Anthony Mackie) en nouveau Captain America devra faire face à la rage et la force de Red Hulk (Harrison Ford) !
En fait, le film se contente essentiellement de se baser sur des intrigues laissées en suspens dans de précédents opus. L'Île Celeste renvoie bien évidemment à la fin du film Les Éternels tandis que le général Ross et son secret est lié à L'Incroyable Hulk (Louis Letterrier, 2008), permettant enfin de connaître le sort du scientifique Samuel Sterns (Tim Blake Nelson). On ne gâchera pas le film en indiquant qu'il s'agit bien du vilain central, vilain qui là aussi marque par sa tiédeur. Celui qu'on nous présente comme un planificateur hors-pair se voit en fait neutraliser de façon bien simple, mettant à mal ses fameuses capacités de calcul. Ce qui aurait pu être un vilain de grande classe et très menaçant est réduit assez vite à l'état de guignol fluorescent et faussement intelligent.
En fait, en citant et en se mesurant à d'anciens films Marvel, ce Captain America se tire un peu une balle dans le pied. On peut penser ce que l'on veut des frères Russo, mais au moins, ils ont réussi à imposer un style bien particulier à leurs deux films Captain America en en faisant ouvertement des thrillers politiques. De même pour Les Éternels où Chloé Zhao a imprimé sa patte graphique au film. De fait, le passage autour de l'Île Celeste n'est clairement pas à l'avantage de Brave New World en terme plastique alors que là aussi, l'occasion aurait été belle d'hausser les ambitions. De toute façon, le film n'est jamais "beau" : les décors et les designs sont tout au plus utilitaires, les effets spéciaux sont au mieux acceptables (mais ça, c'est un défaut endémique des derniers productions Marvel) et le style de Julius Onah peut se résumer à quelques ralentis sympas. En fait, d'un point de vue graphique, on pourrait presque croire à un épisode de Falcon et le Soldat de l'Hiver monté en graine pour en faire un long métrage. Les seuls points qui peuvent vraiment faire "cinéma" ici, ce sont la présence d'Harrisson Ford (toujours impeccable) et le travail musical de la compositrice Laura Karpman, (avec un travail sur les percussions qui prend tout son sens lors de l'exploration de la base Echo One).
Une définition du mainstream
Si on peut se permettre cette analogie, ce nouveau film Captain America fait un peu penser à ces épisodes de comic books où des scénaristes s'amusent plus à jouer avec la continuité qu'à raconter de véritables histoires. Techniquement, c'est bien fait, c'est plutôt fun et agréable à lire, surtout quand on est un habitué, mais au final, ça ne nous emmène pas bien loin. Vite lu, vite oublié. Longtemps, on a considéré les séries super-héros de Marvel ou DC comme le mainstream, le "courant principal" de la BD américaine, par opposition aux éditeurs indépendants qui proposaient des choses un peu plus innovantes et risquées. Avec le film de Julius Onah, on est typiquement dans ce cas de figure où on essaie de plaire à tout le monde en ne sortant pas du rang et en ne proposant surtout rien de nouveau de peur de s'attirer des critiques. En se concentrant uniquement sur des points de continuité, les producteurs pensaient ne déplaire à personne. Ce sera probablement le cas. De là à plaire à tout le monde, ça, c'est une autre histoire.
Captain America: Brave New World de Julius Onah est en salle depuis le 12 février 2025.