Il y a quelques jours à peine, Bill Willigham créateur de la série Fables (mais aussi de Elementals) qui a fait les beaux jours du label DC Comics pour adultes Vertgio il y a plus de vingt ans, a lancé une véritable bombe. Propriétaire des droits de la série, comme beaucoup de créateurs publiés à cette époque par Vertigo, il a tout simplement décidé de mettre tous ses droits de propriété de la série dans le domaine public. Pourquoi une telle décision ? Le créateur s’en est expliqué sur les réseaux.

Il affirme que désormais, les comics DC sont entre les mains de profiteurs qui cherchent à déposséder les créateurs des quelques droits qui leur sont accordés. Il continue en affirmant que les différents qui l’ont opposé à DC Comics il y a quelques années s’étaient toujours plus ou moins arrangés dans la mesure où chacune des deux parties concernées faisait preuve de bonne volonté, mais que ce n’est plus le cas. Toujours lié par un contrat à DC Comics pour sa série, WIllingham a donc trouvé une pirouette afin de pouvoir ennuyer la compagnie : mettre ses droits dans le domaine public. Ce qui signifie que tout le monde peut utiliser ses personnages et créer de nouvelles histoires sans son accord, ni celui de DC Comics. Willingham exhorte même le public à créer de nouvelles histoires de Fables, avec ou sans son accord afin de faire vivre la série et de diminuer la valeur des histoires déjà publiées dans le giron DC en les noyant sous un flot de nouvelles interprétations.

Et, comme d’habitude, les réseaux se sont enflammés. Alors qu’il faut avant tout raison garder. Car dehors de l’aspect communication, cette décision a de grandes chances d’être un non-évènement. Tout simplement.

Remettons un peu de raison dans tout ça, surtout au vu de quelques réactions que j’ai pu observer sur les réseaux ces dernières heures.
Déjà, le droit américain sur les propriétés intellectuelles ne fait pas foi partout. On a pu s’en rendre compte lors de la publication de Lost Girls d’Alan Moore et Melinda Gebbie avec différentes applications suivant les pays. Donc non, je ne crois pas qu’il soit possible pour un artiste français d’auto-publier tout seul des épisodes de Fables de sa création, encore moins de publier de manière indépendante les épisodes de DC Comics, toujours sous licence DC Comics et donc, en France sous le chapeau d’Urban Comics. Les publications Urban Nomad continueront tant qu’Urban le décidera. Et là je réinvente l’eau froide en disant ça.

De plus, les différentes batailles pour les droits de Superman, que nous avons déjà détaillées dans différents articles sur Superpouvoir prouvent bien une seule chose : rien n’est simple en matière de création et de propriété intellectuelle. On ne reviendra pas sur les distinctions entre opyright et Trademark, tout est expliqué dans l’article précédent. Mais en gros, que donne Willingham au public?  Possiblement pas grand-chose. Déjà parce que la quasi-totalité de ses personnages sont issus de contes et de légendes et qu’ils sont déjà dans le domaine public. La particularité de Fables, et sa force en tant que récit, c’était justement de donner une personnalité à ses personnages. Le premier exemple qui vient en tête est bien évidemment celui de Bigby Wolf, devenu une sorte de détective dans le monde des Fables. Et on peut penser (je parle au conditionnel et je n’ai aucune certitude sur cela) que même si les droits de Willingham tombent dans le domaine public, la personne qui voudra reprendre la série à son compte ne pourra pas s’appuyer ni sur les designs, ni sur les histoires déjà publiées chez DC. Donc en dehors des noms et des caractéristiques principales des personnages (en gros un détective qui s’appelle Bigby Wolf et qui est un détective loup-garou), rien d’autre ne sera permis. Et Willingham lui-même le sait, puisqu’il avoue que le coup de force qu’il tente sera certainement remis en cause par les avocats de DC Comics. DC Comics a d’ailleurs immédiatement réagi en publiant un communiqué précisant que Fables est sous licence DC et que tous ceux qui envisagent d’utiliser les personnages s’exposent à d’éventuelles poursuites. Comment lutter contre les avocats de la Warner ? On ne peut pas. Donc autant dire que vous ne verrez pas une nouvelle version de Fables dans les mois ou les années à venir. C’est un véritable fantasme. Cette action n'aura, je pense, aucun effet.

Pourquoi avoir voulu faire ça alors ? Le coup d’éclat de Willingham n’est à mon sens qu’un moyen de remettre un coup de projecteur sur les droits des créateurs et les royalties qu’ils obtiennent lors des rediffusions et des reventes des droits dans d’autres médias (jeux vidéos, films). De fait, on n’est pas loin des revendications principales des acteurs et de scénaristes en grève à Hollywood. Et qu’on ne s’y méprenne pas, payer plus les créateurs dans les comics, les rétribuer pour leurs créations, c’est un combat très juste. Bien évidemment. Et tout faire pour que les créateurs soient indemnisés, c’est une évidence. Mais il y a aussi le droit. Et des contrats. Certaines actions ont fait bouger les lignes (je pense aux messages de Neil Adams lors de la polémique sur les droits de Siegel et Shuster lors de la sortie du Superman de Richard Donner) mais la plupart sont restées lettre morte. Et les lecteurs, tout comme les spectateurs sont retournés voir les films ou ont continué à acheter leur dose mensuelle de comics. Ce qui n’est pas non plus contre-nature, loin de là. J’ai pu lire sur les réseaux des gens qui conseillaient de boycotter DC suite à l’action de Willigham. C’est n’importe quoi et à la limite du ridicule. A ce moment-là, si l’on décide de boycotter toutes les entreprises qui veulent faire du profit sur les dos des concepteurs/ouvriers/créateurs, il faut rester dans une caverne en autonomie sans venir appeler au boycott sur Facebook ou X.

D’un autre côté, vous avez une certaine branche de « personnes connectées » qui sont en train de balancer des tonnes d’ordures sur Willingham, sous prétexte que le monsieur aurait tenu des propos plutôt extrêmes il y a quelques années. Ce qui est vrai. Willingham a des positions assez radicales sur le conflit palestinien et sur les droits à l’avortement qui font que j’aurai du mal à l’inviter à la maison pour manger. Mais qu’est ce que cela vient faire dans le débat ? Absolument rien ! C’est même là aussi totalement ridicule. Si l’on suit leur cheminement de pensée, ce serait bien fait pour Willingham, il n’avait qu’à pas être un vieux réactionnaire. Spolions donc les créateurs qui n’ont pas le discours qui nous plaît de leurs droits de création, parfait ! Le monde d’aujourd’hui me fait peur. Vraiment !

Que peut-on donc espérer de ce coup d’éclat ? Au mieux, que l’on reparle encore une fois des droits des créateurs et de la manière de les rétribuer. Et que, peut-être, les éditeurs puissent accorder quelques droits de plus aux artistes.

Qu’en restera-t-il selon toute vraisemblance ? Rien. Dans deux jours une nouvelle polémique arrivera sur les réseaux et réenflammera les esprits. Et Fables, la version DC Comics, continuera de se vendre. À juste titre car la première moitié de la série est véritablement excellente. Mais cela aura eu au moins le mérite de faire parler.
Ce que je fais également en écrivant ce billet d’humeur qui participe de fait à l’agitation ambiante. Le monde d’aujourd’hui me fait encore plus peur du coup !

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