À l’occasion de la première bande annonce de la série TV She-Hulk sur la plateforme Disney+, une nouvelle polémique vient de voir le jour. Elle dénonce l’apparence du personnage ainsi que l’hypersexualisation des super-héroïnes sur les écrans et, par association, dans les comics. Si l’on peut bien évidemment dénoncer une sexualisation souvent outrancière des personnages féminins dans certaines publications, réduire les femmes dans les comics à uniquement un objet sexuel montre que les clichés et la méconnaissance du médium ont encore de beaux jours devant eux.
Surtout lorsqu’on prend pour exemple un des personnages les plus emblématiques en ce qui concerne la lutte contre les clichés féminins.
She-Hulk et le Cherry Picking : une démonstration orientée ?
Entre deux pubs pour un parfum mettant en scène des mannequins lisses, beaux et assez déshabillés qui dansent autour de lingots d’or, je suis tombé sur une chronique assez énigmatique dans l’émission d’access prime time Quotidien. Son sujet : Miss Hulk et la dénonciation de son apparence trop féminine dans la nouvelle série Disney+. Le but de la chronique était, bien évidemment, de montrer que depuis toujours les comics donnent une mauvaise image du corps de la femme. Vaste sujet, important, qui doit évidemment inciter à la plus grande nuance et au plus grand recul. Après une introduction nous affirmant que « Miss Hulk de fait, elle est beaucoup moins rigolote que sa contrepartie masculine parce qu’elle est genrée », j’ai pu assister à une accumulation de clichés, avec pour "preuve" de l’hypersexualisation des comics des dessins de Frank Miller ou des extraits du … film Catwoman avec Halle Berry. Cerise sur le gâteau, des petits rires condescendants en fin de sujet, réduisant les comics aux super-héros et à de la sous-littérature ! « Vous savez combien il y a de super-héros chez Marvel et DC ? 18 000… hahhaha ! ».
J’aurais bien eu envie de demander à la chroniqueuse si elle connaissait combien il existe de comics qui ne parlent pas de super-héros ?
Quelques heures plus tard, je tombe par hasard sur un article du journal Libération traitant exactement du même aspect, avec un titre assez méprisant « She-Hulk hypersexualisée : un super zéro pour Marvel ». Je suis assez interloqué de voir que le personnage est réduit à « Body ultra échancré, poitrine surdéveloppée et poses lascives » et je me dis qu’effectivement, le rédacteur de l’article n’a pas dû regarder plus loin que les couvertures de She-Hulk par Greg Horn dans les années 2010. Il aurait mieux fait de consulter les intérieurs.
Qu’on ne s’y trompe pas, on peut comprendre que certains magazines ou journaux ne soient pas neutres, qu’ils proposent une sensibilité, une opinion qui ressemble à leur ligne éditoriale. Et ce n’est pas ce que l’on condamne ici. L’hypersexualisation dans les comics est un sujet qui mérite d’être abordé pleinement. En revanche, on peut se demander si, en prenant des exemples qui ne sont pas pertinents et en ne choisissant que ce qui les arrange, ces "défenseurs de la bonne cause" n’invalident non seulement pas leur crédibilité sur d’autres aspect, tout en faisant le jeu de la partie adverse qui ne se privera pas pour pointer les incohérences de la preuve. C’est la fameuse pratique du Cherry Picking, cette manière de ne choisir que les points ou faits qui nous intéressent tout en oubliant les éléments contradictoires. On ne demande bien évidemment pas à un chroniqueur d’avoir une connaissance pointue de tout ce qu’il fait passer dans son article ou sa pastille télévisuelle. Après, les spécialistes – et il y en a quelques-uns en France – sont aussi là pour ça. En revanche, on peut aussi se dire que s’arrêter à deux ou trois photos rapidement choisies sur internet ne permettent pas de donner une image au minimum cohérente du sujet que l’on veut aborder. Si je veux traiter de la nudité féminine au cinéma, je ne pense pas que montrer des captures d’écran uniquement issues de films pornographiques soit un élément assez pertinent.
Et c’est assez ironique dans la mesure où finalement, je fais un peu la même chose dans cet article, mais en sens inverse. Essayons de voir à quel point l’image de She-Hulk renvoyée par cet article et cette chronique télé semblent, au minimum, très incomplète. Je ne vais pas m’attarder sur l’hypersexualisation dans les comics, c’est un sujet qui mériterait un livre entier. Je vais donc m’intéresser au personnage de She-Hulk et voir à quel point faire de ce personnage l’emblème de l’hypersexualisation dans les comics est exagéré. Ce qu’on pourrait résumer en "She-Hulk est peut-être l’une des images les plus positives en ce qui concerne les super-héroïnes de comics".
Les origines du personnage.
Nous voici à la fin des années 70. La série l’Incroyable Hulk fait fureur à la télévision et Stan Lee est soucieux. Ce n’est pas comme s’il réfléchissait à un point précis de scénario, il n’écrit en effet plus grand chose depuis son départ pour Los Angeles afin de superviser les productions Hollywoodiennes autour des personnages Marvel. Mais un détail l’ennuie. Quelques années plus tôt, la série télévisée L’Homme qui valait 3 milliards avait présenté dans l’un de ses épisodes le pendant féminin de son héros Steve Austin. Et Stan Lee a peur que les producteurs de l’incroyable Hulk fassent la même chose dans la série, à savoir créer une contrepartie féminine de Hulk qui, du coup, n’appartiendrait pas à Marvel ! Inventer rapidement un tel personnage serait donc un moyen préventif de ne pas être victime du studio de télévision. C'est pour ses raisons que She-Hulk voit le jour ! Elle sera d’ailleurs le tout dernier personnage Marvel crée par Stan Lee avant son retour dix ans plus tard au sein de la ligne 2099. Aidé par son compère John Buscema, Lee propose à l’éditeur en chef de Marvel, Jim Shooter, le script du tout premier épisode de la série Savage She-Hulk. Dans celui-ci, il introduit rapidement le personnage de Jennifer Walters, une avocate cousine de Bruce Banner, qui se transforme en monstre vert via une transfusion de sang dudit cousin. Preuve du peu d’intérêt qu’accorde Lee au personnage, il ne signe que le premier épisode de la série. Tous les autres seront réalisés par le scénariste David Anthony Kraft et les dessinateurs Mike Vorsburg et Frank Springer.
« Ce fut une création forcée », raconte David Kraft dans le livre Marvel Comics , The Untold Story de Sean Howe. « Nous avions besoin de créer un personnage appelé She-Hulk et il fallait le faire au plus vite. D’ailleurs, si vous regardez le scénario de Stan Lee, il n’y a quasiment rien dedans : Bruce fait une transfusion de sang a sa cousine, elle grogne et se bat et c’est à peu près tout ». La création de She-Hulk n’a donc pas vraiment grand-chose à voir avec une volonté de présenter un personnage hypersexualisé, mais plutôt un moyen d’éviter de se faire piquer une idée par un autre. Cela n’a même rien à voir, contrairement à Miss Marvel qui arrive au même moment, à une quelconque volonté féministe. Quant à l’hypersexualisation du personnage dans la série originale, je cite ici les paroles du dessinateur Mike Vosburg, toujours dans le même livre : « Le truc le plus bizarre sur cette série c’est que Frank (Springer, l’encreur) peut dessiner de très jolies filles, que je sais dessiner de très jolies filles et que pourtant She-Hulk n’a jamais été plus attirante que ça ». L’histoire de Kraft tourne donc autour de Jennifer, une brillante avocate qui a quelques problèmes avec la rigidité morale de son père, et dont le cœur va balancer entre son ami d’enfance Zapper et le très mièvre Richard Rory. Dans cette première série, qui dure 25 épisodes, She-Hulk n’est pas vraiment sexualisée, c’est le moins que l’on puisse dire. Si la tenue est échancrée, elle n’est pas vraiment très provocante. On rappelle d’ailleurs que son cousin est torse-nu lorsqu’il se transforme. En ce qui concerne l’aspect un peu plus féminin du personnage par rapport à son alter-ego masculin, je pense que les éditeurs ne pouvaient pas se permettre de lancer une série où l’héroïne serait monstrueuse. Simplement pour cause de ventes. Elle est en tout cas très loin d’adopter des poses suggestives. Ce qui est intéressant c’est d’ailleurs de constater que Mike Vosburg s’est depuis spécialisé dans ce genre de comics !
Privée de série régulière, elle intègre le casting des Avengers à partir du numéro 221. Elle intègre l’équipe en smoking ! Ces épisodes montrent même un Hawkeye odieux, se moquant du physique de sa partenaire ! En toute honnêteté on voit bien quelques images de She-Hulk en maillot ou en bikini, mais la plupart du temps son costume est beaucoup plus « long » que celui de la série originale. Elle est même totalement habillée. À partir de cette période, Jennifer Walters ne quittera plus jamais son corps vert émeraude, étant totalement à l’aise avec celui-ci. Il faut dire que calquer les caractéristiques du personnage de Hulk sur celui de sa cousine est une terrible erreur.
Pourquoi un physique aussi différent ?
L’une des principales polémiques concernant la nouvelle série TV She-Hulk et le personnage dans les comics est que son physique est beaucoup moins difforme que celui de son cousin, et donc beaucoup plus attirant. Certes. Mais ce serait aussi oublier les origines des pouvoirs des personnages et les effets des rayons gamma. Beaucoup pensent que Bruce Banner se transforme en monstre lorsqu’il est en colère ou énervé. Et ce n’est pas vraiment ça, en tout cas pas dans les comics. Chacune des personnes affectées par les rayons gamma subit en réalité des modifications physiques différentes : on peut penser à l’abomination, au leader (qui ne devient pas plus fort mais voit son cerveau grandir) ou encore à Doc Samson qui a simplement obtenu une force phénoménale. Aucun d’entre eux ne s’est transformé en clone de Hulk. Même si l‘on peut contester le principe même des origines de tel ou tel personnage de comics, celles-ci changeant allégrement au fil des années et des scénaristes qui gèrent les personnages, il est plutôt établi que Hulk est la représentation d’une personnalité multiple correspondant à la frustration et aux angoisses d’un jeune Bruce Banner violenté par son père.
De fait, l’exposition de Hulk aux rayons gamma ne l’ont pas transformé en monstre, elles ont simplement donné une forme physique à une partie de son subconscient ! Hulk représentant la rage, l’impuissance et les angoisses de Bruce Banner, pas étonnant qu’il soit difforme, en colère et très musclé ! Le voir apparaître dans des conditions de stress ultime ou de grande colère fait aussi sens. Hulk est en gros tout ce que le chétif et peureux Bruce Banner a refoulé. De fait, lorsque les rayons gamma vont affecter une jeune avocate timide, peu sûre d’elle et dont la sexualité est réprimée par les injonctions d’un père moralisateur, il n’est pas étonnant de voir apparaître non pas un monstre difforme, mais une créature bien dans son corps et qui laisse beaucoup plus de place à ses émotions. En clair, quelqu’un d’épanoui. Et qui préfère largement sa forme de She-Hulk à celle de Jennifer. Dans ce cas précis, les radiations gamma ont eu un rôle tout à fait bénéfique, tout comme d’ailleurs pour Doc Samson, le psychiatre de Bruce Banner. De fait, prétendre que le corps de She-Hulk devrait absolument ressembler à celui d’un monstre difforme reflète plus une connaissance superficielle des personnages de base et de leurs origines qu’un constat sur l’hypersexualisation.
Et pour information, durant la période Geoff Johns/Scott Kolins à la fin des années 2000, nous avons eu droit à une She-Hulk dont le physique est très proche de celui de son cousin et totalement dénaturée. Il y a même eu un numéro spécial de Hulk en 2001 où ce dernier, devenu totalement bestial, cherchait à s’accoupler avec sa cousine, la seule qui lui ressemblait. Heureusement que la réciproque n’était pas vraie ! De fait, She-Hulk est un personnage positif, une femme totalement accomplie ainsi qu’une brillante avocate. Parce que n’oublions pas qu’en dehors de la prétendue hypersexualisation du personnage, celle-ci n’a pas que des jambes, elle a aussi une tête bien remplie. Réduire She-Hulk simplement à des fesses ou des seins sur pattes est donc loin de représenter la réalité !
La Wonder Woman de Marvel
D’après les différentes fiches de personnages, She-Hulk est une avocate de classe mondiale ! C’est la meilleure avocate de la défense de tout l’univers Marvel. Dans sa carrière, elle a défendu nombre de super-héros dans des procès retentissants. Pour information, c’est elle qui a plaidé la cause de notre Terre devant le Tribunal Vivant, une des entités cosmiques les plus puissantes de l’univers ! Sacré palmarès qui ne correspond pas vraiment à celui d’une bimbo. De plus, elle a figuré dans les plus grandes équipes de l’univers Marvel. Elle a remplacé la Chose dans la série Fantastic Four durant plusieurs années, se révélant infiniment compétente en tant qu’équipière. Certains supposent même qu’elle peut être plus puissante que son cousin !
Mais ce qui semble le plus important dans le cadre de cet article, c’est bien évidemment le sens moral assez élevé du personnage. En tant qu’avocate, elle a défendu bon nombre de minorités, dont les superhéros face à la fameuse loi d’enregistrement de ces derniers. Elle se bat même pour que les super-criminels ne soient pas maltraités durant leur détention, allant même jusqu’à défendre ses pires ennemis.
Comme le dit si bien le scénariste Peter David : « She-Hulk pourrait être la Wonder Woman de l’univers Marvel, une femme puissante avec de grands standards moraux ainsi que la volonté de toujours faire ce qui semble juste ».
Combinaison parfaite de puissance et d’intelligence, le personnage est très loin de ressembler à l’image de la femme hypersexualisée véhiculée dans les différents reportages cités au-dessus. C’est même tout le contraire. A-t-on vu fleurir dans les médias une polémique sur l’hypersexualisation de Wonder Woman à la sortie de son film ? Trouver des contrexemples est d’une facilité absolue si l’on ne s’arrête qu’à des simples images issues de comics. Pourtant il n’y a pas beaucoup de différence entre les deux.
Pour rajouter une pièce à l’édifice, lorsqu’un scénariste un peu libidineux a tenté d’hypersexualiser She-Hulk (il s’agit de Chuck Austen dans le titre Uncanny X-Men), un autre – Dan Slott – est rapidement intervenu pour corriger le tir en précisant que le personnage décrit par Austen était en fait un double d’une autre dimension. On ne touche pas à a moralité de Jennifer Walters chez Marvel ! She-Hulk peut avoir des amants dans la mesure où son apparence et les rayons gamma lui donnent une grosse confiance en elle, mais en aucun cas elle n’est décrite comme une nymphomane ou une assoiffée de sexe. Le scénariste Dan Slott s’en est même amusé durant quelques histoires.
De fait, She-Hulk représente une femme accomplie, épanouie, beaucoup plus puissante et intelligente que de nombreux autres personnages masculins ou féminins et qui utilise ses compétences d’avocate pour combattre les discriminations. On est très loin du super zéro de Libération.
« She-Hulk, vu qu’elle n’est pas un monstre hideux, elle est beaucoup moins rigolote que sa contrepartie masculine. »
Oui. Le sous-entendu est quand-même assez terrifiant.
Eh bien… Pas du tout. Si Hulk a parfois pu être associé à quelques scènes comiques (je pense notamment au run de Peter David sur le personnage ou à sa description par J.M. De Matteis dans la série Defenders), le ton général du personnage est avant tout tragique. Ce qui est tout le contraire de She-Hulk, tout du moins de ses deux séries les plus longues. Retour en arrière.
Après avoir dessiné pendant des années l’équipe des Fantastic Four dans laquelle il a justement intégré She-Hulk, le dessinateur John Byrne est assigné en 1989 au lancement d’une nouvelle série sur le personnage. Son éditeur Mark Gruenwald lui donne une direction assez simple : tenter des choses différentes. Le dessinateur/scénariste canadien ayant passé de nombreuses années à nous décrire un personnage en harmonie avec son statut de superhéros et son corps de géante, on se doute bien que le ton de cette nouvelle série est plutôt guilleret. Et John Byrne va effectivement tenter plusieurs choses, la plus célèbre d’entre elle étant la rupture de ce fameux quatrième mur. En effet, comme il a pu le faire avant dans certaines de ses histoires, John Byrne fait de Jennifer Walters un personnage qui a conscience d’être une création de comics. Elle n’hésite pas à s’adresser au lecteur, au scénariste, voire même à déchirer des pages pour aller plus vite à la fin de l’histoire ! She-Hulk est donc l’une des inspirations principales de Deadpool ! Pour être totalement honnête, Byrne n’est pas le premier à utiliser ce procédé puisque quelques années plus tôt, le dessinateur Keith Giffen avait créé pour DC Comics le personnage de Ambush Bug, qui possède les mêmes caractéristiques. Lui-même étant inspiré par les strips des années 40 ou 50. Les aventures de She-Hulk sous l’ère Byrne sont légères, pas très structurées certes, mais débordantes d’énergie et avec une réelle volonté de pousser le bouchon au maximum. Ce dont on reparle d’ailleurs plus bas. Les personnages sont souvent inconnus ou totalement délirants et les aventures de She-Hulk à cette époque peuvent être rapprochées de celles d’Howard The Duck, le côté politique et cynique en moins. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant de voir que lorsque Byrne quitte la série, il est remplacé par Steve Gerber, le créateur de Howard.
Avec les histoires de Roger Stern dans Avengers qui nous proposent au même moment une She-Hulk à l’aise dans ses baskets, autant dire que l’héroïne acquiert définitivement une aura de personnage plutôt comique, avec des histoires délirantes et plutôt légères. C’est vers les années 2000 qu’elle va devenir nettement plus sérieuse, tout en conservant son côté fun, sous la houlette de Dan Slott, qui à mon sens livre les meilleures histoires du personnage. La trentaine d’épisodes réalisés par ce scénariste réalisent une parfaite synthèse entre les aventures légères et délirantes de l’époque John Byrne et une certaine gravité dans les thèmes abordés. C’est lui qui grave dans le marbre l’assise morale du personnage et sa volonté d’aider les autres. Alors on pourra rétorquer que dans la plupart de ses histoires, le sex-appeal de She-Hulk est souvent présent, mais il s’agit en réalité du fil rouge de la série, à savoir le conflit entre une Jennifer Walters coincée et une She-Hulk plus que confiante. Dan Slott, qui peut lui aussi parfois être maladroit, joue en fait sur la réputation de l’héroïne pour lui faire franchir un cap. Et c’est assez amusant quand on pense qu’une grande partie du trailer de la série She-Hulk semble s’inspirer grandement de cette époque. La plus positive de toutes, sauf sur un point particulier que l’on aborde dans notre dernier chapitre.
Pourquoi cette réputation ?
Du coup, on pourrait se demander ce qui justifie autant de bad buzz sur le personnage. Pourquoi quelqu’un qui ne connaîtrait le personnage que superficiellement aurait-il absolument l’impression d’un personnage hypersexualisé ? Pourquoi, en dépit d’un traitement identique à certaines autres icones super-héroïques, She-Hulk représente-t-elle pour certains l’archétype du super-héros hypersexualisé ? Une partie de la réponse repose, à mon sens, sur deux ou trois faits majeurs.
Des comics de super-héros, il en sort des centaines par mois. Une série régulière livre un épisode tous les trente jours au maximum. Et dans toute la masse de ces épisodes, parfois à suivre, parfois pas, il y a un épisode en particulier qui sort de l’ordinaire. C’est le cas de Fantastic Four #275. Pour information, les numéros multiples de 25 sont généralement des numéros un peu spéciaux ou importants, lançant une nouvelle aventure ou amorçant de grands changements. Dans cet épisode des Fantastic Four, il n’en est rien ! Nous avons en fait une aventure solo de She-Hulk. Et c’est assez particulier. John Byrne nous propose de suivre notre héroïne dans une quête assez particulière : alors qu’elle prenait un bain de soleil en petite tenue sur le toit de son building, un paparazzi arrive en hélicoptère et prend des photos d’elle à demi nue ! Les pales de l’engin ont en effet fait s’envoler la serviette qui la couvrait ! Le reste des vingt pages est un affrontement verbal entre Jennifer Walters et le directeur de publication du magazine qui va publier ses photos volées. Et ce sera un échec pour She-Hulk, puisque les photos seront publiées ! Par chance, l’imprimerie aura fait une erreur de colorisation et personne ne reconnaîtra la géante de jade. S’il n’est pas exceptionnel (Byrne aura réalisé de nombreux autres épisodes bien meilleurs), cet épisode spécial introduit de fait un lien inconscient entre la nudité et le personnage. Il faut dire qu’à l’époque, la série est l’une des plus vendues et les plus appréciées de la compagnie. Nul doute que l’image inconsciente d’une She-Hulk à moitié nue (même s’il n’y a aucune nudité dans l’épisode) est restée longtemps gravée dans la mémoire des jeunes lecteurs. Pour information, l’épisode est basé sur une pin-up (à savoir un poster plutôt sexy) de She-Hulk par le dessinateur Kevin Nowlan dans les pages de Marvel Fanfare.
John Byrne, s’il n’a que très rarement abordé des sujets explicitement libidineux, n’est toutefois pas le dernier à proposer parfois des histoires qui flirtent avec la limite. Lorsque l’éditeur Mark Gruenwald lui propose donc de « tenter de nouvelles choses » au sein de sa nouvelle série Sensational She-Hulk, il n’est pas étonnant de le voir proposer parfois des intrigues un peu plus sexualisées. Notamment sur ses couvertures. Et un peu maladroitement. On rappelle que dans les années 80, la publication des comics est régie par un code de bonne conduite (le fameux Comics Code dont nous vous avions proposé une longue série d’articles) interdisant toute nudité et toute sexualisation dans les comics. À cette époque le Code a toutefois, à cause de l’évolution de la société, du plomb dans l’aile. Et ce malin de John Byrne va tenter de repousser les limites de ce code, en proposant dans Sensational She-Hulk #34 une parodie de la photo de Demi Moore enceinte et nue en couverture de Vanity Fair. Si l’intérieur n’a rien à voir avec le clin d’œil de la couverture, c’est toutefois cette image qui va rester au premier plan. Byrne va jouer avec les attentes du lecteur. Le paroxysme étant atteint au numéro 40 où le dessinateur va faire miroiter au lecteur la possibilité de voir She-Hulk faire de la corde à sauter dans son plus simple appareil. Il s’agit bien évidemment d’une tactique de vente, Byrne étant bien au courant de l’adage « plus la cover est sexy, plus le comics se vend ». On ne peut bien évidemment pas prendre l’intrigue au premier degré. Il s’agit d’un comics parodique et rien que la couverture nous le démontre. En effet, sur celle-ci, She-Hulk s’adresse à John Byrne qui lui tend une corde en se drapant dans l’écusson du Comics Code !
D’ailleurs le comics nous propose pendant six pages une She-Hulk réellement en train de faire de la corde à sauter nue ! Sauf que toutes les parties les plus intimes sont couvertes par le mouvement de la corde ! L’avocate passera toutes ces pages à se plaindre du fait que désormais Marvel est prêt à toutes les indignités pour vendre ses comics. La scène de saut à la corde s’arrête lorsque Renée Witterstaeter, l’éditrice de la série, vient interrompre la blague. Encore une fois, si John Byrne n’est jamais le dernier à proposer des personnages sexués et s’il ne s’en est pas privé durant son run sur Sensational She-Hulk, le propos est toujours double et la moquerie est souvent présente. Un lecteur non averti pourrait toutefois être pris au piège.
Le dernier point qui peut associer le personnage à une hypersexualisation, ce sont les couvertures abominables de Mike Mayhew et Greg Horn durant le run de Dan Slott dans les années 2000. Greg Horn est un dessinateur spécialisé dans les couvertures absolument honteuses dont certaines frisent largement l’indécence. Et en toute honnêteté, Marvel avait usé et abusé de ce dessinateur et de ce procédé pour vendre des comics par palettes entières. Ses couvertures pour la série Emma Frost sont à la limite du porno alors que l’intérieur est quasiment aussi prude que du Jane Austen !
Et c’est pourtant à lui qu’on confie les couvertures de la série She-Hulk de Slott, dont l’intrigue est à des années-lumière. Je pense que les lecteurs qui avaient acheté la série She-Hulk uniquement pour les couvertures de Greg Horn ont dû rapidement déchanter en voyant les dessins intérieurs de Rick Burchett ou de Juan Bobillo. Ces deux artistes, qui signent plus de la moitié des épisodes de ce run sont en effet des dessinateurs au style cartoon, avec une She-Hulk pas du tout sexualisée et dessinée de manière très chimérique. Rick Burchett est un dessinateur qui réalisait des adaptations en comics du dessin animé Batman des années 90 avec le même style graphique. Et on ne peut pas dire que ce type de style soit explicitement sexualisé ! On comprend bien que, pour un éditeur, une couverture putassière de Greg Horn sera toujours plus vendeuse qu’une autre réalisée par Burchett ou Bobillo. Et je pense que comme il s’agit de la dernière série la plus vendue de She-Hulk, beaucoup de personnes se sont arrêtées à la couverture. Et ne sont pas allés plus loin. C’est compréhensible mais assez inexact. C’est une véritable dichotomie puisque derrière une couverture que vous n’oseriez pas montrer à vos enfants se cache un récit malin et fort avec des dessinateurs pas du tout réalistes et dont le trait pourrait plaire à des enfants.
De fait, on ne peut pas nier que She-Hulk ait été, comme toutes les autres héroïnes, parfois sexualisées. Et il est vrai aussi que certaines images soient peut-être restées gravées dans l’esprit des lecteurs. Mais faire de She-Hulk le symbole de la sexualisation des super-héroïnes dans les comics est assez incongru et relève d’une méconnaissance du personnage. Elle s’est ainsi beaucoup moquée (parfois de manière maladroite) de la sexualisation que les lecteurs ou même les éditeurs de Marvel voulaient lui coller sur le dos.
Par de très nombreux aspects, Jennifer Walters représente une féminité assurée, une femme forte et intelligente qui a souvent servi de boussole morale à ses partenaires super-héros. Et c’est quand même largement positif.