Lorsqu’on évoque les meilleurs scénaristes de comic books, les noms d’Alan Moore, Grant Morrison, Neil Gaiman reviennent fréquemment. Certains auteurs plus contemporains sont quant à eux devenus de véritables stars mainstream, comme Geoff Johns, Jason Aaron ou Jonathan Hickman. Tellement importants qu’ils se sont vus confier non pas plusieurs titres majeurs chez Marvel ou DC mais carrément la ligne éditoriale d’un univers ou de l’éditeur. Tous ont livré un travail qui les a fait sortir du lot.

Et pourtant, de nombreux auteurs, parfois moins connus et moins mis en avant que ces derniers ont eux aussi atteint les sommets, sans toutefois connaître une consécration aussi universelle que les précédents. Attention, je ne parle pas ici de scénaristes oubliés ou méconnus, la plupart d’entre eux ont fait une grande carrière. Certains ont préféré aussi, et à juste titre, rester dans le confort de publications éloignées de contraintes éditoriales. Voire totalement abandonner le monde des bandes dessinées.

On ne parlera donc pas ici de scénaristes oubliés, sous-cotés, ce n’est pas le but de cet article. La liste qui suit est bien loin de tout cela. Je voulais pour cet article simplement faire une petite liste de ces scénaristes qui m’ont plusieurs fois laissé pantois par la qualité de leurs récits. Ces artistes qui m’ont donné des frissons et des émotions parfois beaucoup plus intenses que celle réalisées par les auteurs cités plus haut. Ma liste de chouchous, en fait. Pas d’ordre, pas de classement.

Joshua Dysart : le plus engagé

Ses faits d’armes : UNKNOWN SOLDIER (LE SOLDAT INCONNU), HARBINGER, UN3, GOODBYE PARADISE

Joshua Dysart s’est tout d’abord fait connaître avec VIOLENT MESSIAHS chez Image, nommé pour un HARVEY AWARD. Après un petit run sur SWAMP THING avec Enrique Breccia et Richard Corben, il se fait remarquer avec LE SOLDAT INCONNU (dessiné par Alberto Ponticelli) qui nous raconte en détail les atrocités commises en Ouganda. C’est avec ce titre que Joshua Dysart nous dévoile sa fibre sociale et politique, ainsi que sa volonté de proposer des comics qui montrent la misère humaine afin de mieux la combattre. Quitte à ne pas produire des comics destinés à un large public.

Dans LE SOLDAT INCONNU, il nous propose une histoire tout simplement extraordinaire : celle d’un fusil kalashnikov raconté par… le fusil lui-même. Le fusil détaille son parcours à partir d’une usine Russe jusqu’à un champ de bataille boueux en Afrique. Très documenté, très pointilleux (Dysart n’ayant pas hésité à se rendre sur place) la série SOLDAT INCONNU est un véritable bijou humanitaire. Tout en proposant une intrigue solide et cohérente, ainsi que des personnages parfaitement développés. Cette fibre sociale omniprésente chez Joshua Dysart prend un aspect beaucoup plus officiel avec UN3, une série d’histoires sur les réfugiés humanitaires supervisée par le programme alimentaire mondial avec l’artiste Pat Masioni.

Mais là où Dysart impressionne, c’est avec ses différentes séries dans l’univers VALIANT, notamment HARBINGERS et son méchant TOYO HARADA. Sans aucun doute, cette série est l’une des meilleures de ces dernières années en nous proposant une version extrêmement lucide et précise de ce qu’auraient pu être des X-Men modernes. Tout en finissant par une réflexion sur le pouvoir et la guerre. Vous voulez lire les ULTIMATES X-MEN ? Laissez tomber le travail de Millar et foncez lire HARBINGERS ! Un véritable chef d’œuvre mêlant super-héros et politique. Récemment, Joshua Dysart a publié avec Alberto Ponticelli GOODNIGHT PARADISE qui cette fois-ci nous plonge dans l’univers des sans-abris en Californie. Il a aussi réalisé des histoires de soutien à l’Ukraine publiées par IDW.

Unknown Soldier #21 : Dysart/Veitch © DC Comics

David Hine : The Witch doctor

Ses faits d’armes : DISTRICT X, BULLETPROOF COFFIN, SILENT WAR, SON OF M, THE MARKED, SPIDER-MAN NOIR

David Hine est l’exemple parfait d’un auteur qui mène une longue carrière puisqu’il a commencé dans les années 80 sur 2000AD. Né en Angleterre, il se fait remarquer avec la mini-série STRANGE EMBRACE publiée chez des éditeurs indépendants puis chez Image. Il débarque ensuite chez Marvel Comics où son ton macabre et noir va faire des merveilles sur des titres mutants à l’époque de House of M ! Tout d’abord avec la série mutanto-policière DISTRICT X qui nous raconte l’histoire d’un quartier ghettoïsé par les mutants et dont le responsable officiel est le X-Men Bishop. Une différence de ton radicale par rapport aux séries de l’époque et un véritable travail d’orfèvre dans l’écriture mais aussi dans les dessins méticuleux de David Yardin, Lan Medina et Mike Perkins. District X est une série vraiment différente, nous donnant une vision plus terre à terre des mutants. Et que les gens ont souvent tendance à oublier.

Mais il ne faut pas oublier non plus le dytique SON OF M et SILENT WAR qui nous relate les mésaventures de Vif Argent (Pietro Maximoff) et des Inhumains après HOUSE OF M. Là aussi le ton est mature, très sombre et surtout totalement différent de ce qui était proposé à l’époque. Malheureusement, Marvel ne le laisse pas finir sa trilogie et l’auteur part chez DC Comics pour réaliser de très bons épisodes de Batman avec Jeremy Haun, notamment sur l’Asile d’Arkham. Il réalisera ensuite un petit bijou d’hommage cynique à l’industrie des comics avec BULLETPROOF COFFIN avant de travailler régulièrement avec Brian Haberlin sur des séries comme SONATA ou THE MARKED. Avec son ambiance toujours très noire (n’oublions pas qu’il a aussi co-crée le personnage de SPIDER-MAN NOIR avec Fabrice Sapolsky) et une écriture particulièrement fine, David Hine n’a que très rarement livré de mauvais récits. Ses œuvres sont toujours d’une très grande qualité !

District X #2 : Hine/Yardin/Sicat © Marvel Comics

Dan Curtis Johnson : l’étoile filante

Son seul fait d’armes : CHASE

Je suis certain que 90 % des fans de comics n’ont aucune idée de qui est Dan Curtis Johnson. Parce que ce scénariste n’a réalisé que quelques comics DC au début des années 2000 et qu’il a ensuite abandonné totalement le métier. Et pourtant, ses débuts sont assez prometteurs puisque pour sa toute première série, il crée le personnage de Cameron Chase (dans la série éponyme CHASE) avec JH Williams III et Mick Gray ! Et quelle réussite ! Avec simplement une dizaine d’épisodes, Dan Curtis Johnson nous présente une création originale, une femme forte, libre et plutôt blasée.

Cameron Chase préfigure ainsi plusieurs années avant leur création (ou leur amélioration) Jessica Jones ou Renée Montoya. De plus, le scénariste n’hésite pas à changer la trame de son récit, à créer de véritables coupures avec des épisodes flashbacks ou des récurrences assez intéressantes, sans oublier un aspect un peu technologique qui résulte de sa formation de programmateur informatique. Dan Curtis Johnson propose des histoires qui tiennent à la fois de la caractérisation de Bendis tout en introduisant cette nostalgie mélancolique que l’on pourrait associer à un James Robinson.

Depuis qu’il a arrêté les comics, on a perdu la trace de Dan Curtis Johnson. On sait qu’il a ardemment participé à l’élaboration du canular autour du Monoxyde de Dihydrogène (un article paru dans un journal dénonçant les dangers de ce composé chimique alors qu’il s’agit simplement d’une autre dénomination de l’eau !) mais c’est à peu près tout. Dommage pour les comics, car ce créateur avait véritablement quelque chose à apporter.

Chase #1 Johnson/Williams III/Grey © DC Comics

John Arcudi : le plus décalé

Ses faits d’armes : BPRD, MAJOR BUMMER, THUNDERBOLTS, DOOM PATROL, GEN13

John Arcudi est plutôt connu en France pour ses histoires autour de l’univers de THE MASK, qu’il a créé ou de HELLBOY. Mais une grande partie de son travail est malheureusement introuvable dans notre pays. Et c’est dommage. Car John Arcudi est l’un des rares scénaristes capables de combiner des scènes décalées, voire drôles avec d’autres beaucoup plus émouvantes au sein d’une intrigue solide.

Décalage et humour noir sont les maîtres mots des productions de ce scénariste dont la palme est détenue, à mon avis, par les séries MAJOR BUMMER et DOOM PATROL, avec aux dessins Doug Mahnke (l’un des dessinateurs avec qui il a le plus travaillé). Arcudi a souvent dit que plus jeune, il trouvait les super-héros ridicules et pourtant, il les a traités souvent de manière brillante. Qui se rappelle de son run avorté sur les THUNDERBOLTS, qu’il avait totalement remodifiés pour les transformer en catcheurs ? Et pourtant c’est une grande réussite. Même son run sur GEN 13, plus anecdotique, est très rafraichissant.

Mais son chef d’œuvre c’est bien évidemment l’arc PLAGUE OF FROGS du BPRD avec Guy Davis, qui est certainement l’un des meilleurs récits de ces dernières années. Pour écrire le BPRD, il a abandonné son côté parodique pour se concentrer sur une intrigue extrêmement dense et que je ne peux que vous conseiller. Toujours déstabilisant, toujours inventif, c’est pour moi l’une des figures majeures de l’univers des comics.

Major Bummer #1 : Arcudi/Mahnke/NGuyen © DC Comics

Bryan Talbot : finesse et érudition

Ses faits d’armes : LUTHER ARKWRIGHT, GRANDVILLE

Souvent, on associe le nom de Bryan Talbot à un dessinateur fin et précis. Mais ce serait oublier que ce dernier est aussi un scénariste hors pair ! Ses œuvres sont truffées de références, comme THE ADVENTURES OF LUTHER ARKWRIGHT, inspiré plus que fortement par les récits de Michael Moorcock.

À l’instar de ce que l’on pourrait penser, Talbot nous montre à travers ses œuvres un positionnement très littéraire, avec énormément de texte. ALICE IN SUNDERLAND, par exemple, nous propose de découvrir non pas une nouvelle version du personnage de Lewis Caroll, mais de nous raconter les liens entre l’auteur et la ville ! On se croirait dans du Alan Moore et de fait, même si c’est moins virtuose au niveau de l’écriture, nous n’en sommes pas loin dans le fond. Il récidivera avec ses bandes dessinées autour de l’univers de GRANDVILLE, inspiré par un caricaturiste français mais aussi par les textes d’Arthur Conan Doyle.

Une de mes œuvres préférées de cet auteur reste toutefois TALES OF ONE BAD RAT, inédite en France qui nous décrit la vie d’une jeune SDF en menant un  parallèle avec les œuvres de Beatrix Potter (PIERRE LAPIN). Emotion et érudition sont les maîtres mots de cet artiste complet.

The Adventures of Luther Arkwright #1 : © Bryan Talbot

 

Fred Van Lente : le plus drôle

Ses faits d’armes : ACTION PHILOSOPHER, INCREDIBLE HERCULES, ARCHER AND ARMSTRONG

Fred Van Lente, je l’ai découvert avec son run (co-écrit avec Greg Pak) INCREDIBLE HERCULES, où il nous dévoilait enfin de superbes aventures du fils de Zeus plus de vingt ans après les mini-séries de Bob Layton. Les intrigues sont légères mais bien ficelées. Et on y trouve toujours un humour délicat. Loin des bouffonneries d’un Dan Slott ou d’un Geoff Johns, qui ont réellement du mal avec ce type d’écriture.

Van Lente remettra le couvert quelques temps plus tard avec le relaunch de ARCHER AND ARMSTRONG en 2010 pour la future compagnie défunte VALIANT. Là aussi, le dosage entre intrigue, action et humour est très équilibré.

Mais on ne pourra pas non plus oublier son chef d’œuvre (avec Ryan Dunlavey) : ACTION PHILOSOPHERS où il nous dépeint les plus grands philosophes de l’histoire comme des super-héros. Un livre drôle et intéressant, qui nous fait en plus apprendre de nombreuses choses. Les deux complices remettront le couvert avec le COMIC BOOK HISTORY OF COMICS, qui nous dépeint de manière drôle mais précise l’histoire des comics.

Action Philosophers © Fred Van Lente & Ryan Dunlavey

Si Spurrier : le plus original

Ses faits d’armes : X-MEN LEGACY, X-FORCE, JOHN CONSTANTINE

Nul doute que si la ligne Vertigo existait encore, Si Spurrier serait l’une de ses têtes pensantes. L’auteur britannique s’est comme tous ses compères fait remarquer sur 2000 AD. Il réalise ensuite pour Marvel Comics plusieurs mini-séries et connaît ensuite un succès critique avec X-FORCE et surtout X-MEN LEGACY qui nous dévoile l’histoire de Davi Haller, alias LEGION.

L’écriture de Si Spurrier peut rebuter au premier abord, avec ses longs pavés de textes, ses monologues intérieurs en décalage et ses intrigues tellement originales qu’elles peuvent paraître, pour qui les lirait un peu vite, désorganisées. Cette approche mature, difficile et pas toujours adaptée au style mainstream ne lui a malheureusement pas permis de connaître le succès chez Marvel. Et pourtant, le soin qu’il apporte à ses personnages donne, quand on se donne la peine d’aller un peu plus loin, beaucoup d’émotions. Il suffit de lire la fin de la série X-MEN LEGACY pour ça.  Tant pis pour les lecteurs de Marvel,

Si Spurrier, qui continue ses projets indépendants a atterri chez DC et finalement l’ancien Black Label en reprenant les aventures de JOHN CONSTANTINE mais aussi du fameux DREAMING, titres pour lesquels son style fait merveille. En bref, Si Spurrier est certainement l’auteur le plus original du lot. Sa meilleure création : FORGET ME NOT, un X-Man dont le pouvoir fait que dès qu’il sort du champ de vision de quelqu’un, cette personne oublie l’existence du héros. Excellent !

X-Force #7 : Spurrier/Kim © Marvel Comics

Bill Mantlo : le plus tragique

Ses faits d’armes : INCREDIBLE HULK, ALPHA FLIGHT, ROM SPACEKNIGHT

Je voulais terminer cette liste par un auteur qui n’a malheureusement plus rien écrit depuis longtemps mais qui a fait le bonheur de Marvel durant les années 70 et 80, Bill Mantlo. Ce scénariste touche à tout a pris en main de nombreux héros Marvel durant l'âge de bronze, réalisant par exemple un excellent run sur HULK en compagnie de Sal Buscema ou sur Spider-Man avec Al Milgrom.

Créateur de Rocket Racoon mais aussi de La Cape et l’Epée, son impact a été très important dans la maison des idées. Certes, il n’a pas toujours été au top et certaines de ses histoires ont été souvent bâclées. Mais ce scénariste a connu quelques moments de grâce qui peuvent largement le mettre dans cette liste. Tout d’abord, c’est lui qui est à l’origine du trauma de Bruce Banner et du fait qu’il ait été un enfant battu. Avec l’épisode n°312, il livre l’une des meilleures histoires sur le géant de jade toutes époques confondues.

Prenant les rênes de la série ALPHA FLIGHT après John Byrne, il réussit à livrer un run plus long et plus réussi sur la série que ce dernier, allant parfois jusqu’à l’horreur avec des personnages comme Pestilence. Parfois trop verbeux, Mantlo signe lors de son dernier passage sur Alpha Flight un épisode d’anthologie, où il se met lui-même en scène dans l’une des histoires les plus méta contextuelles de chez Marvel, et ce quelques mois avant que Grant Morrison ne prenne en main le personnage de Buddy Baker dans Animal Man.

Une de ses dernières pépites : ROM, une adaptation de jouet qu’il va amener vers des sommets assez horrifiques et plutôt adultes. Ce que les lecteurs français n’ont malheureusement pas pu découvrir à cause de la censure. Scénariste à tout faire, Mantlo n’a pas pu mener sa carrière jusqu’au bout puisqu’il a été renversé par une voiture il y a plus de vingt ans et a perdu une grande partie de ses facultés cognitives. S’il n’a pas réalisé que des merveilles, Mantlo mérite toutefois sa place ici.

Rom Spaceknight #54 : Mantlo/S.Buscema/Sienkiewicz © Marvel Comics

Envie d'en discuter ?
Rendez-vous sur Discord
Suivez-nous pour ne rien rater :
Alligator Queen

Ça pourrait vous intéresser

 sur Superpouvoir.com
Partager : Partager sur Facebook Partager sur Twitter