Avant-dernière sortie en date dans la série des One Bad Day, Ra's Al Ghul de Tom Taylor et Ivan Reis optent pour un récit faisant la part belle au thriller politico-paranoïaque. Une approche peu originale pour le personnage de Ra's Al Ghul, mais néanmoins intéressante.

Le One Bad Day

N'y allons pas par quatre chemins, la meilleure idée de Tom Taylor pour ce One Bad Day : Ra's Al Ghul consiste à expédier le "mauvais jour" (one bad day) en question dès les premières pages du récit. Nous y retrouvons un Ra's, alors enfant, à une époque indéterminée. Son village est victime d'un pillage par une horde d'envahisseurs, sa famille massacrée, le jeune Ra's est alors sauvé par un loup.

Le principe du "one bad day" est une fois de plus un prétexte, bien que Tom Taylor l'utilise de manière cohérente. L'approche purement mercantile de cette collection est encore une fois mise en lumière par la vacuité du concept.
Quoiqu'il en soit, cette séquence d'ouverture à le mérite de bien poser les enjeux du récit et les motivations du personnage de Ra's, en faisant  un avatar des mouvements écologistes de notre temps.

Le plan de Ra's Al Ghul est simple : éliminer des dirigeants d'entreprises responsables du saccage de la planète pour les remplacer par ses séides. Et c'est là que l'approche de Tom Taylor révèle toutes ses limites.

Le "One Bad Day" de Ra's Al Ghul et sa prise de conscience "écolo" (®DC Comics & Urban Comics)

Un propos idéaliste dénué de subversion

Tom Taylor cherche avec ce One Bad Day à s'inscrire dans la lignée des thrillers paranoïaques nés de la contre culture américaine des années 1970, que cela soit au cinéma, dans la littérature et évidemment dans le comic book. Ainsi, le cinéma et le roman trouvèrent des auteurs précurseurs en la matière, travaillant des sujets politique tout en remettant en cause les codes du genre. A la manière d'un Oliver Stone par exemple qui -après la période réactionnaire des années 1980- revigora le genre avec JFK en 1991. Dans les comics, ce changement de paradigme intervint de manière spectaculaire à la fin des années 1980 avec des auteurs tels qu'Alan MooreMike RichardsonJohn Arcudi (sur The Mask), John Wagner, Garth Ennis ou encore Frank Miller. Bien que ces auteurs aient tous adopté des approches plurielles vis-à-vis du genre super-héroïque, et des sympathies politique à l'opposée les unes des autres, une constante reste malgré tout en vigueur dans chacune de leurs œuvres : un travail de recherche poussé sur les sujets abordés et une volonté de se libérer des codes classiques propres au genre super-héroïques, tout en proposant des approches narratives, réellement radicales. Et c'est là que le bât blesse chez Tom Taylor.

Avec son One Bad Day : Ra's Al Ghul, l'auteur de  Nightwing Infinite, se contente malheureusement de nous livrer un discours infantile et emprunt d'un idéalisme véritablement ringard sur la question de l'écologie. Le propos se limite au final à montrer Ra's Al Ghul se lamenter sur une espèce de loup en voie d'extinction (une scène emprunte de pathos, mais sublimée par le trait d'Ivan Reis) et à jeter des braconniers en pâture à des lions.

Ainsi, le plan de Ra's Al Ghul consistant à remplacer une classe d'exploiteur par une autre, à la seule différence que ces derniers prétendent se soucier de l'environnement, est au mieux complétement ridicule et aboutit dans le pire des cas à un récit totalement misanthrope. Et la raison à cela est simple : les conséquences du bouleversement climatique par l'Homme ne sont jamais montrées. Pas une seule case de ce volume ne prend le temps de montrer l'impact sur les populations. Tom Taylor préférant lorgner sur un pathos animalier, sans que le point de vue de Ra's Al Ghul ne soit contrebalancé par un discours pertinent. Le Batman de Taylor préférant lui infliger (et infliger aux lecteurs) une sempiternelle leçon de morale sur l'utilisation de la violence.

L'idée aurait malgré tout pu séduire : inverser la trame d'un thriller paranoïaque en montrant le point de vue du comploteur au lieu de celui de l'enquêteur (par exemple, des films comme le second volet du Parrain ou À cause d'un assassinat avaient parfaitement réussis cet équilibre), malheureusement Tom Taylor se complaît simplement à recycler ce poncif désormais bien ancré dans l'univers des comics : faire du héros (Batman), l'antagoniste, en transformant le méchant en un anti-héros aux méthodes "discutables", mais finalement efficaces et justifiées. Le récit est d'autant plus affaibli que le lecteur est obligé de suivre laborieusement l'enquête de Batman alors que toutes les réponses lui ont déjà été apportées dès le début du récit.

Et tout cela est bien dommage, car le genre du thriller paranoïaque à toute sa place dans le comic-book moderne. La série Department of Truth de James Tynion l'ayant parfaitement démontré (l'auteur étant pourtant très loin de proposer un récit subversif, mais néanmoins travaillé et disposant d'un véritable point de vue).

Au final, Tom Taylor se contente de dérouler laborieusement un récit à la portée politique digne d'une production Amazon Studios : une œuvre pseudo-politique sans point de vue, désincarnée et virant dangereusement vers un propos misanthrope et réactionnaire dénué d'ambiguïté.
Mais évidemment, tout n'est pas à jeter dans ce One Bad Day : Ra's Al Ghul.

Ivan Reis : la vraie star du titre

Là où le scénario de Tom Taylor échoue dans les grandes largeurs à présenter un propos digne de son sujet, le dessin d'Ivan Reis est en revanche exemplaire. Proposant des planches dynamiques, ainsi que des pleines pages contemplatives magnifiques, Reis arrive à donner un véritable coup de fouet à ce One Bad Day : Ra's Al Ghul.

L'un des passages les plus marquant étant l'affrontement final entre Ra's et Batman. Se déroulant au sommet d'une montagne enneigée (plutôt que l'habituel désert), le trait de Reis arrive à retransmettre toute la mélancolie du personnage de Ra's Al Ghul, en le transformant définitivement en figure tragique face à un Batman extrêmement antipathique et emprunt d'une naïveté insupportable. Des caractéristiques par ailleurs très bien mises en exergue par Ivan Reis, qui parvient à apporter une véritable émotion grâce à des planches fourmillant de détails et des personnages aux visages et aux postures très expressives.

En définitive, là ou le scénario de Tom Taylor échoue à présenter un thriller paranoïaque (et politique) digne de ce nom, les planches d'Ivan Reis transcende en partie ce récit insipide en une œuvre mélancolique à la fois sublime et touchante.

Pour résumer : One Bad Day : Ra's Al Ghul est un nouveau titre dispensable au sein de cette collection globalement raté. Bien que les planches d'Ivan Reis apportent une plus-value indéniable à ce comic-book.

Du côté de l'édition française, le travail d'Urban Comics est toujours aussi solide, avec une fabrication de qualité et une traduction solide.

Batman - One Bad Day : Ra's al GhulDC deluxe
De Tom Taylor et Ivan Reis
22/09/2023 – Cartonné – 72 pages – 15,00€
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Depuis des siècles, Ra's al Ghul se bat en vain contre la corruption qui gangrène la Terre et les hommes. Il tente de convaincre Batman de se rallier à sa cause. Confronté au refus de ce dernier, Ra's al Ghul décide de l'éliminer.

Les planches d'Ivan Reis sont bien le seul intérêt du titre (®DC Comics & Urban Comics)

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