The Great Darkness Saga est sans doute la saga la plus connue de la Légion des Super-héros. Urban profite de sa collection DC Confidential pour publier ces épisodes passés à la postérité.

L'arrivée de Levitz et Giffen

Remettons-nous un peu dans le contexte. Nous sommes en 1982. Dans le domaine des comics de super-héros, les X-Men règnent en maîtres incontestés. Deux ans plus tôt,  Chris Claremont et John Byrne avaient assis tout le monde avec leur Saga du Phénix Noir et, malgré le depart de Byrne, la série de Claremont et du dessinateur Dave Cockrum continuaient de dominer le marché. Chez DC Comics, seule la série New Teen Titans peut prétendre rivaliser.

Pourtant, si il y a bien un titre de la Distinguée Concurrence à qui Uncanny X-Men doit beaucoup, c'est bien Legion of Super-Heroes. Dave Cockrum en a été le dessinateur et a rapatrié beaucoup de ses créations (Nightcrawler, Storm) de LSH à X-Men. La création de la Garde Impériale des Shi'ars est d'ailleurs un pur décalque/hommage de sa part.

Pourtant, en 1982, la Legion va pouvoir enfin jouer dans la cour des grands. Paul Levitz remplace Gerry Conway comme scénariste de la série. Conway fait partie de ses scénaristes Marvel qui ont bien contribué à dépoussiérer l'univers DC au tournant des années 70-80 et son passage sur LSH a contribué à dynamiser la série. Cependant, Levitz connaît extrêmement bien le titre puisqu'il y a déjà travaillé entre 1977 et 1978 où il s'était déjà distingué avec une saga en cinq épisodes (une rareté pour l'époque), Earthwar. Et il est bien vite épaulé par le dessinateur Keith Giffen. Si celui-ci a commencé sa carrière comme un continuateur de Jack Kirby, à cette époque, il est plutôt sous influence de George Pérez et Jim Starlin (avant de lorgner sur le dessinateur José Muñoz, mais nous allons avoir l'occasion d'y revenir). Un trait précis, clair et narratif qui séduit beaucoup à cette époque. Les deux compères décident de débuter fort leur passage sur la série par une  histoire longue et ambitieuse.

Couverture de Legion pf Super-Heroes #287 par Keith Giffen et Roméo Tanghal (DC Comics).

Le "paradigme Levitz"

Tout commence avec le numéro 287. Mon-El et Shadow Lass explorent les ruines d'un monde perdu. A leur insu, le corps d'un mystérieux personnage revient à  la vie, prêt à initier un plan machiavélique. Il s'agit là d'une histoire de complément, l'histoire principale étant consacrée à un tout autre sujet, une mission sur Khund qui va mal tourner (1). C'est d'ailleurs l'intrigue principale du #289 : de retour de Khund, cinq Legionnaires sont crashés sur une planète glaciale pendant que le reste de l'équipe s'active à les rechercher. En coulisse, la mystérieuse ombre s'affaire. Enfin, LSH Annual #1 nous propose l'arrivée d'un nouveau membre qui aura son importance dans la bataille à venir: Invisible Kid.

Ces épisodes d'introduction, si ils ne sont pas directement reliés à la saga principale, sont représentatifs de l'écriture de l'époque où on n'hésitait pas à insérer très régulièrement des sous-intrigues (subplots) afin de préparer le terrain pour les aventures à venir. Si cette technique était loin d'être nouvelle (Stan Lee et Roy Thomas l'ont utilisée à foison durant les années 60 et 70 et Claremont sur Uncanny X-Men en faisait une de ses marques de fabrique), Paul Levitz en a systématisé la méthode, n'hésitant pas à se lancer dans des tableaux synthétiques pour ne pas perdre le fil. Si bien que lorsque Denny O'Neil, au moment d'écrire son DC Comics Guide to Writing Comics, aborde le sujet, il parle de la "Levitz Grid" (la grille Levitz), devenue le paradigme Levitz.

O'Neil le décrit ainsi : "Le procédé est le suivant : le scénariste a deux, trois ou même quatre intrigues en cours. L'intrigue principale, appellons-la intrigue (ou plot) A, occupe l'essentiel des pages et de l'énergie des personnages. La seconde intrigue, le plot B, agit comme une sous-intrigue. Les plots C et D, si il y en a, n'ont droit qu'a un minimum d'espace et d'attention, seulement quelques cases. Lorsque l'intrigue A se conclue, l'intrigue B est promue. Elle devient la A tandis que le plot C devient B et ainsi de suite. Ainsi, il y a une constante progression. Chaque intrigue se développe et se complexifie au fur et à mesure des épisodes de l'année. "

Un exemple de grille Levitz.

Cette technique d'écriture s'est largement imposé notamment au sein de la télévision car elle s'adapte très bien à l'écriture sérielle, alors que paradoxalement, elle a disparu des comic books depuis que des scénaristes comme Warren Ellis ou Brian Michael Bendis ont imposé une écriture en recueil.

La saga des ténèbres

Avec l’épisode #290,  la saga des Ténèbres commence réellement. Les membres de la Legion subissent les attaques des serviteurs, des ombres particulièrement puissantes qui volent des parts de magie pour un mystérieux maître et qui les laissent amèrement défaits.

Non sans mal, ils parviennent à capturer une des ombres et à la mettre en détention à leur QG. Ils découvrent qu'il s'agit d'un clone d'une héroïne de Talok VIII, Lydea Mallor. En pleine crise, les Légionnaires parviennent pourtant à élire un nouveau chef. À la surprise générale, il s'agit de Dream Girl. Grâce à ses pouvoirs de pré-cognition, la nouvelle leader parvient à prévoir la prochaine attaque des serviteurs, sur sa planète natale, Naltor. Elle y rejoint sa sœur, la Sorcière Blanche, une puissante mystique dont les mentors parviennent à invoquer un enfant qui pourrait être la clef du combat.

Finalement, Invisible Kid et Mon-El découvrent l'identité du mystérieux ennemi : Darkseid, l'ancien maître du terrible monde d'Apokolips. Darkseid, qui a créé des clones maléfiques de Lydea Mallor, de Superman, d'un Gardien de l'univers et même d'Orion, son propre fils, qui a refaçonné une planète à son image et qui parvient à manipuler toute la race des Daxamites et lance ainsi des milliards de surhommes sur la galaxie. Une telle menace oblige la LSH à battre le rappel de tous les super-héros du 30e siècle.

Une postérité importante

Vous vous en doutez, il s'en suit une bataille épique dont on vous taira les tenants et les aboutissants. La Great Darkness Saga marque en tout cas un pas pour la série LSH. D'abord, par son ampleur. Rarement une aventure des Legionnaires aura impliquée autant de personnages et de planètes. La personnalité de l'ennemi fait d'ailleurs beaucoup.  Au début des années 80, Darkseid devient un ennemi populaire. Avec sa reprise des New Gods à la toute fin des années 70 et un arc dans la série Justice League of America (en partie illustrée par George Pérez), le scénariste Gerry Conway a grandement contribué à faire du seigneur d'Apokolips, jusqu'ici cantonné au Quatrième Monde de Jack Kirby, un vilain d'envergure pour l'ensemble de l'univers DC. D'ailleurs, en parallèle de son apparition dans LSH, il figure aussi en bonne place dans le cross-over Uncanny X-Men and the New Teen Titans.

Autre évolution importante pour la série,  le trio Levitz/Giffen/Malhstedt se met littéralement en place avec cette saga. Giffen prend de plus en plus de place dans l'élaboration des histoires, s'imposant comme le co-scénariste de la série,  au même titre qu'un John Byrne sur Uncanny X-Men. Le duo mènera la série jusqu'à la création d'une série Baxter (exclusivement réservée aux boutiques spécialisées), signe que le succès est au rendez-vous. Si la patte graphique de Giffen fait beaucoup pour la popularité du titre, il est bien aidé par l'arrivée de l'encreur Larry Malhstedt. Celui-ci impose un encrage sobre et clair, à l'opposé de celui plutôt gras et invasif de son prédécesseur, Bruce Patterson. Mahlstedt maintiendra ainsi une identité visuelle importante pour la série puisqu'il encrera également les successeurs de Giffen, Steve Lightle et Greg Larocque.

Graphiquement,  les plus sagaces des lecteurs pourront remarquer une curiosité, insérée dans l'épisode 291. Il s'agit d'une courte histoire montrant comment les trois membres fondateurs de la Légion empêchent l'évasion du serviteur prisonnier. Bien que signé Giffen et Malhstedt,  ce court segment pourra paraître bien différent.  Et pour cause.  Dans sa publication originale en fascicule,  cette histoire de complément était illustrée par Howard Bender et Rodin Rodriguez. Lorsque cette saga fut recueillie pour la première fois en Trade Paperback en 1989,  Keith Giffen estima que la présence d'un autre artiste cassait la cohérence graphique de la saga. Il décida donc de redessiner les sept pages. Sauf qu'à cette époque, Giffen a de nouveau fait évoluer son style, lorgnant sur l'artiste argentin José Muñoz (Alack Sinner). Pour la cohérence graphique, on repassera, mais au moins, il dessine l'intégralité de la saga.

La première page de "Leaders and Lovers" dans Legion of Super-Heroes #291 par Howard Bender et Rodin Rodriguez (DC Comics).

La première page de "Leaders and Lovers" dans Legion of Super-Heroes: The Great Darkness Saga TP par Keith Giffen et Larry Malhstedt (DC Comics).

La Saga des Ténèbres reste donc une saga d'importance dans l'histoire des comics mainstream,  symbole d'une certaine façon d'appréhender l'écriture, marquante par sa démesure, qui inspireront aussi bien Warren Ellis et Grant Morrison lors de la décennie suivante. Sans le savoir, elle permet aussi à la LSH de mettre un (petit) pied dans le dark and gritty des années 80, l'arrivée de Darkseid et ses seides écornant un peu l'ambiance habituelle d'avenir souriant et positif de la série.  Giffen les y fera entrer pleinement avec sa reprise particulièrement intéressante de la série en 1989 avec des Légionnaires plus âgés et en ordre dispersé (2).

 

(1) Pour les plus curieux,  l'histoire principale a été traduite en son temps par Arédit-Artima dans Omega Men n°2 (mai 1985))

(2) Là aussi d'ailleurs, on peut mettre ça en parallèle avec la série Uncanny X-Men où, à la même période,  Claremont et Silvestri proposaient une équipe en pleine déconstruction au fin fond de l'Australie.

Legion of Super-Heroes  : The Great Darkness Saga (Legion of Super-Heroes #287, 289-296, Annual #1), Urban Comics (DC Confidential #5), 280 pages, 23 €. Sortie le 23 octobre 2020. Traduction de Jérôme Wicky, lettrage de Cromatik Ltée.

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