MAKMA est un studio de création de BD qui s’occupe notamment de la traduction ainsi que du lettrage de comics. Aujourd’hui leader du marché de l’adaptation VF de comics, il fête ce mois-ci ses vingt ans d’existence. À cette occasion, nous avons décidé de réaliser des entretiens avec différents membres du studio pour qu’ils nous fassent part de leur expérience avec ce dernier mais également de leur métier.

On commence ainsi cette série d’interviews avec Cyril Durr. Âgé de 48 ans et vivant en Moselle, en plus d’exercer son activité d’auteur qui l’a amené à publier un premier roman nommé Le Sang des Héros en 2017, Cyril n’est autre que le relecteur-correcteur en chef de MAKMA et a de ce fait travaillé sur de nombreux comics bien connus.

Superpouvoir : Est-ce que tu pourrais nous expliquer quel a été ton parcours avant MAKMA et comment t’est venue cette passion pour l’écriture ?

Cyril Durr : J’ai fait pas mal de tafs purement alimentaires et totalement inintéressants avant MAKMA, puis j’ai été correcteur en freelance pendant quelques années.

Quant à ma passion pour l’écriture, elle est étroitement liée, bien entendu, à ma passion pour la lecture. J’ai toujours aimé les livres, que ce soit les BD ou les romans. J’ai appris à lire très tôt pour ne plus avoir à dépendre des adultes en ce qui concernait ma ration quotidienne de fiction. Je me souviens encore, avec tendresse, de mes premières bandes dessinés comme Tintin ou Astérix, et de mes premiers romans de la Bibliothèque Verte comme Michel, Bob Morane, Langelot, Bennett & Mortimer, etc. Je suis ensuite très vite passé à des romans plus adultes, ce qui m’a amené à mon premier gros choc littéraire avec Maurice Leblanc et son incroyable Arsène Lupin. Ces auteurs m’ont permis de continuer à aimer les livres malgré les tentatives répétées de l’école pour en dégoûter les gamins.

Comment est-ce que tu as commencé à travailler pour MAKMA ? Peux-tu raconter tes débuts avec le studio ?

Bien avant que j’intègre réellement le studio, Edmond Tourriol m’avait contacté pour la relecture d’un ouvrage technique. C’était destiné aux chefs d’entreprise et c’était très chiant mais quand on est en freelance, on ne refuse presque rien.

Bien longtemps après, je devais effectuer une mission pour France Télévision mais la personne qui chapeautait ça était tellement incompétente que j’ai laissé tomber. Suite à ça, je me suis tourné sans trop d’espoir vers Ed en lui demandant s’il avait du boulot pour moi. Il n’était pas chez lui et il m’a répondu : « Recontacte-moi en septembre et je te filerai un Conan. Si tu assures, tu en auras d’autres ». J’en ai eu d’autres.

Comment a évolué le studio depuis ton arrivée et comment penses-tu qu’il va évoluer ?

L’activité du studio a explosé notamment avec l’arrivée des webtoons. Beaucoup de gens sont également arrivés que ce soit des traducteurs, des lettreurs, des relecteurs, etc. Il a donc fallu organiser tout ça, mettre des procédures en place et gérer de nombreuses séries publiées en flux tendu.

J’ignore comment MAKMA évoluera dans les années qui viennent mais je ne m’en fais pas trop. La grande force du studio est de savoir s’adapter très rapidement aux évolutions du marché.

Tu es correcteur depuis 2012 mais tu as rejoint MAKMA en 2017. Qu’est-ce qui a changé pour toi en rejoignant le studio ?

Je ne cours plus après le taf. Quand on est en freelance, on passe une bonne partie de son temps à simplement tenter d’avoir du boulot et aussi à courir après le fric que certains te doivent… Ce n’est pas systématique, mais ça arrive.

Le gros avantage en intégrant un studio comme MAKMA est que l’on n’a plus qu’à se concentrer sur le boulot. Tout le reste, comme les discussions avec les clients, les contrats ou la partie administrative, est géré par le studio. C’est bien plus confortable.

Quelles sont les qualités requises pour être un bon relecteur selon toi ?

La première chose est d’être soi-même un lecteur expérimenté à l’appétit féroce. Si vous lisez moins de 50 romans par an, ce qui n’est pas énorme puisque ça fait moins d’un livre par semaine, et surtout si vous êtes jeune, ce sera difficile d’acquérir les qualités requises pour un métier littéraire. Je vois beaucoup de nouveaux relecteurs ou traducteurs qui ont énormément de mal à formuler des phrases correctes ce qui est le signe évident d’un déficit de lecture.

Il vaut mieux aussi connaître la grammaire et aimer mettre les mains dans le « moteur ». Comparé à d’autres langues, le français est en effet une véritable usine à gaz qui n’a bien souvent aucune logique.

Enfin, il faut être rigoureux et savoir s’autogérer.

Quelle est ta manière de procéder lorsque tu fais une relecture ? Est-ce que tu as une manière précise de procéder ?

Rien de particulier. Je mets de la musique et je tourne les pages. Ou plutôt, je les fais défiler, puisque nous travaillons évidemment sur des fichiers numériques.

L’organisation que j’ai mise en place concerne surtout mes différentes activités au sein du studio : je supervise certaines séries, j’encadre les relecteurs et je teste les nouveaux. Il faut donc parvenir à gérer tout cela et à être réactif tout en se ménageant des plages de tranquillité consacrée à la relecture pure.

Toujours par rapport à ta manière d’opérer, est-ce qu’elle change selon le titre sur lequel tu travailles ? Est-ce que tu fais attention à certains éléments en particulier ?

Oui, il faut bien entendu s’adapter à l’ouvrage et à ses particularités. Il existe aussi des consignes propres à chaque éditeur qu’il convient de respecter. Il vaut mieux également bien connaître les univers sur lesquels on travaille. Pour relire du Marvel par exemple, un bon niveau en français ne suffira pas car il existe trop de noms et de termes spécifiques.

La difficulté réside dans le fait qu’il ne faut pas faire attention à un élément en particulier mais à tout, que ce soit la syntaxe, la ponctuation, le niveau de langage, le calage du texte en BD, etc.

Quel est le projet sur lequel tu as préféré travailler et pourquoi ?

Je dirais que j’ai été particulièrement touché la première fois que j’ai bossé sur du Amazing Spider-Man. Le Tisseur était mon héros préféré lorsque j’étais gamin. Il l’est resté d’ailleurs, même si j’ai du mal à trouver de l’intérêt à la série depuis la fin de l’excellent et long run de Straczynski. Pouvoir participer à la publication de ses aventures, c’est quelque chose, bordel ! Ce n’est pas un aboutissement mais un joli cadeau au petit gars qui faisait le plein de Lug il y a très longtemps, le samedi au marché. À l’époque, il y avait des bouquinistes ambulants.

Quel est ton meilleur souvenir avec le studio ?

Je n’ai pas de souvenir avec le « studio » puisque c’est trop vaste et impersonnel. Je préfère les relations humaines avec des gens bien ciblés.

Je me souviens d’une anecdote qui a été un peu une révélation. On était en plein « boum » des webtoons à l’époque et j’étais encore seul à les relire. Je n’ai pas l’habitude de me plaindre car, en comptant mes projets personnels, je bosse facilement 60 heures par semaine. Mais là, la charge de travail était devenue énorme. Je ne sais plus de quoi on parlait par mail ce jour-là mais j’ai mal pris quelque chose, qui me paraîtrait sans doute insignifiant aujourd’hui, et je me souviens avoir explosé. Ça m’arrive souvent puisque je suis très sensible mais aussi très impulsif et parfois « bourrin ». J’ai alors annoncé en avoir plein le cul, que je partais faire un tour et que je ne reviendrais pas avant 14 heures, sachant qu’il était 10 ou 11 heures à ce moment.

C’était la première « longue » pause que je m’accordais depuis des semaines et je me suis dit que quand j’allais revenir, ça allait forcément mal se passer. J’allais être viré, ou bien je devrais faire face à une réflexion acide qui allait m’énerver encore plus. Mais… non. Edmond et Stephan ont géré la situation avec calme et intelligence. Je me souviens m’être dit à ce moment que j’avais peut-être trouvé des gens pour qui ma façon maladroite de fonctionner n’allait pas forcément être un problème. Avec le recul, c’est un excellent souvenir. J’aurais détesté devoir trouver un autre job.

Quels sont tes futurs projets que ce soit en tant que relecteur, scénariste ou romancier ?

En tant que relecteur, je suis un mercenaire : je n’ai pas vraiment de projets et je prends ce qui vient.

En ce qui concerne mon activité d’auteur, j’ai terminé l’écriture de mon deuxième roman, L’Ombre de Doreckam, un thriller fantastique. J’ai également écrit deux textes pour la « bande originale » de ce même roman. Il s’agit d’un concept-album qui sera réalisé par le groupe Logical Tears.

Niveau BD, je suis à la recherche d’un dessinateur pour CatClans, un projet de 100 planches qui met en scène des animaux anthropomorphiques. J’ai d'ailleurs posté une annonce détaillée sur le site UMAC. J’écris également le scénario de Slenderman, une BD horrifique réalisée avec Manu Bonnet et Daniel Gattone.

Enfin, quand j’ai le temps, j’écris quelques articles pour UMAC.

Pour finir, la question rituelle du site : si tu avais un super pouvoir, ce serait lequel ?

Voler. On prête à Léonard de Vinci ces quelques mots : « Une fois que vous aurez goûté au vol, vous marcherez à jamais les yeux tournés vers le ciel… car c'est là que vous êtes allés, et c'est là que toujours vous désirerez ardemment retourner. »

Peu importe que l’ami Léonard ait réellement ou non prononcé cette phrase, elle m’a toujours filé des frissons. Je crois aussi qu’elle permet assez bien de retranscrire l’intense plaisir qui gagne le cœur de celui qui, au moins pour un temps, échappe à la servitude de l’attraction.

Merci pour tes réponses Cyril.

 

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