Le mois de juin a été, comme chaque année,  l'occasion de fêter les fiertés LGBTQ+ et DC Comics a été particulièrement à la pointe cette année. L'éditeur a multiplié les initiatives, notamment au travers d'un numéro spécial, de couvertures alternatives et de plusieurs comics estampillés Pride. Bref, le vénérable éditeur de Batman et Superman semble vouloir assumer un certain militantisme dans ce domaine. Son site internet n'est d'ailleurs pas en reste puisque plusieurs articles se sont penchés sur le sujet. Parmi ceux-ci,  un article d'Esper Quinn qui revient sur quelques façons particulières de représenter les minorités LGBTQ+ dans la fiction. Cependant, une des illustrations de l'article a permis de révéler que jusqu'à encore récemment,  DC Comics n'était pas si à l'aise sur le sujet.

Cachez cette galoche que je ne saurai voir

Dans sa tribune, Esper Quinn, productrice de podcasts et développeuse de jeux vidéos, discute de quelques façons d'aborder les thématiques queer dans une œuvre de fiction, que ce soit le queercoding (cacher des codes de la culture queer pour pouvoir en parler de façon détournée) ou le queerbaiting (user des codes queer pour attirer ce public alors qu'il n'en est pas question dans le récit).

Pour illustrer cette tribune, il a été choisi une vignette tirée d'Harley Quinn #25 (octobre 2017) où Poison Ivy fait un bisou sur la joue d'Harley pour sa fête d'anniversaire. Une manière de symboliser le rapprochement que la célèbre ennemie de Batman et l'anti-héroïne ont opéré ces dernières années.

"Queercoding (v) : intégrer dans une œuvre de fiction des thèmes ou des personnages queers sans jamais reconnaître explicitement leur caractère. 

Découvrez une partie de l'histoire du queercoding dans les bandes dessinées et pourquoi il est important de le dépasser."

C'était sans compter sur le dessinateur de cette vignette,  Chad Hardin, qui, voyant son dessin sur les réseaux sociaux, décide d'en montrer la version originale.

"J'ai le dessin non corrigé, si vous voulez le poster également."

Et comme il vaut toujours mieux demander pardon que la permission."

On découvre ainsi que la première version montrait un baiser franc entre les deux personnages. Les responsables éditoriaux de DC ont donc passablement corrigé le dessin. Voilà qui la fout un peu mal pour illustrer un article sur les travers de la représentation fictionelle des altersexualités. Bien évidemment, il est fort probable que le/la pauvre documentaliste chargé(e) de l'iconographie n'avait pas la moindre idée des changements opérés à l'époque sur le dessin, mais cela démontre en tout cas que DC n'a pas toujours été prêt à avouer franchement que Ivy et Quinn étaient ensemble.

Une relation en dent de scie

Leur relation aura pourtant été construite sur le long terme et de façon plutôt cohérente au fil des années. Poison Ivy et Harley Quinn seront d'abord présentées comme des amies dans Batman The Animated Series et ses adaptations comics. Ivy, en féministe convaincue, essayait de convaincre son amie de quitter l'influence néfaste du Joker. Peu à peu, leur relation va se transformer, notamment au travers de la série Gotham Sirens où sont dévoilés les sentiments d'Ivy envers Harley. Si bien que des scénaristes comme Tom Taylor, dans la série de comics tirée du jeu vidéo Injustice, ou ceux de la récente série animée Harley Quinn sont allés au bout de l'idée et ont fait du duo un véritable couple.

Dans l'univers d'Injustice, Harley et Ivy se marient à Las Vegas. Extrait d'Injustice Year Zero #8 par Tom Taylor et Cain Tormey (DC Comics).

Dans la continuité centrale de DC, en revanche, les choses se feront plus discrètement. Pourtant, pour les scénaristes de la série Harley Quinn, Amanda Conner et Jimmy Palmiotti, il n'y avait pas de doutes. En 2015, ils confirmaient sur Twitter qu'elles étaient bien engagées dans une relation libre "sans la jalousie de la monogamie".  DC Comics restait, en revanche, plus timide, ne confirmant pas les dires de leurs auteurs par exemple.

Était-ce la volonté de replacer Poison Ivy comme une ennemie de Batman plutôt que comme la sympathique petite amie d'Harley ? Ou est-ce que l'exposition médiatique plus grande de cette dernière depuis le film Suicide Squad a poussé DC à être un peu plus frileux ? Toujours est-il que l'éditeur va plutôt jouer le jeu trouble de l'"amitié particulière", symbolisé par ce smack sur la joue (qui détonne tout de même avec la posture plutôt amoureuse des deux protagonistes), voire carrément celui de l'hétérosexualisation (straightwashing), comme le pointe le site Bleeding Cool à travers plusieurs exemples.

Ainsi l'année dernière, la mini-série  Poison Ivy & Harley se concluait sur un éloignement des deux héroïnes et un simple baiser sur le front. Au moment de la Saint Valentin, une statue des deux personnages verra son descriptif changé en cours de route, passant de "première statue officielle présentant un couple de même sexe" à " Nous savons tous que la Saint-Valentin consiste généralement à célébrer l'amour, et ces deux personnages savent ce que cela signifie d'être véritablement là pour quelqu'un d'autre. Ils sont la quintessence de ce que signifie être des meilleur(e)s ami(e)s, fidèles avant tout et toujours une épaule sur laquelle pleurer en cas de besoin. (...) C'est pourquoi cette statue est le parfait rappel qu'aimer quelqu'un peut vouloir dire beaucoup de choses." Sam Humphries, le dernier scénariste de la série précédente d'Harley Quinn, avouait même qu'il n'était pas autorisé à utiliser Ivy et à ne surtout pas commenter leur relation dans les médias. Enfin, Harley passera même dans les bras du héros Booster Gold.

Est-ce l'arrivée récente de la nouvelle rédactrice en chef, Marie Javins, qui a autorisé un retour en grâce du couple Quinn/Ivy ? Toujours est-il que depuis le début de l'année,  DC est beaucoup moins timoré sur le sujet. Ainsi du numéro spécial St Valentin, DC: Love is a Battlefield, qui mettait les deux jeunes femmes en avant sur la couverture, tout comme comme pour le numéro spécial DC Pride. Dans l'anthologie Batman: Urban Legends, Harley partait même à la recherche de sa compagne dont elle était éloignée depuis bien trop longtemps.

DC semble donc avoir opéré un virage à 360° et vouloir rattraper le temps perdu à trop vouloir ménager la chèvre et le chou, ses lecteurs plutôt conservateurs et ceux plus progressistes. Dans le cas d'Harley, ils peuvent d'autant plus l'être que son interprète au cinéma, Margot Robbie, s'est déclarée très favorable à une importation de cette relation sur grand écran.

 

Source : CBR

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