À force d’avoir voulu trop jouer avec un concept de base original (c’est-à-dire réunir des personnages qui n’ont rien en commun), Tom King s’embrouille dans une intrigue assez confuse et surtout très mal exploitée. Heureusement que les dessins de Danger Street sont réussis.
Disclaimer introductif
Tom King a réalisé des œuvres qui méritent largement de rentrer dans le panthéon des comics. On peut notamment penser à Sheriff of Babylon, Vision, Omega Men et Mister Miracle. Son Rorschach était plutôt réussi, même s’il se moquait un peu de certains auteurs et commençait à laisser pressentir chez l’auteur une certaine confiance malvenue en ses capacités d’écriture. Même ses premiers épisodes de la série Batman étaient réussis. Malheureusement, l’auteur a eu tendance à se reposer un peu trop sur ses lauriers, que ce soit sur Strange Adventures, qui est une redite totale et fainéante de Mister Miracle ou bien lors de son Batman/Catwoman totalement illisible et qui reprend ses pires tics d’écriture. Son Woman of Tomorrow était correct et sa dernière œuvre en date, Human Target était très agréable à lire. De fait, on pouvait tout attendre de ce Danger Street. Et après quelques épisodes, on se rend bien compte que l’on est dans la tranche basse de ce qu’a produit le scénariste, voire très, très basse.
Des personnages inconnus par les lecteurs mais aussi l’auteur
L’idée de départ est plutôt intéressante, puisqu’elle consiste à réutiliser des personnages souvent oubliés et qui ont tous été les protagonistes d’un magazine à courte durée dans les années 70. First Issue Special a duré douze épisodes et mettait à l’affiche à chaque numéro un nouveau personnage ou reprenait des héros oubliés. Parmi eux certains ont fonctionné (les New Gods, Warlord, Metamorpho), d’autres sont tombés dans l’oubli (Lady Cop, la Green Team). Comme la spécialité de King c’est de redonner de l’épaisseur à ce type de personnages tombés dans les limbes des comics, l’ambition est donc de reproduire avec ces douze héros ou équipes ce que le scénariste a déjà fait avec Mister Miracle ou Adam Strange.
Sauf que cette fois ci on parle d’une bonne vingtaine de personnages dont les trois quarts ne sont pas connus. Et Tom King le dit en préambule : la série est écrite pour que cela ne pose pas de problème. Et effectivement, pour bien appréhender la série, il n’y a pas besoin de connaître les différentes incarnations de la Green Team ou la topologie de Skartaris, cette sorte de terre sauvage made in DC dans laquelle évolue Warlord. Le souci, c’est qu’on a l’impression que si le lecteur ne connait pas les personnages, Tom King ne les connaît pas non plus. Et qu’il fait n’importe quoi avec eux !
Danger Street est en fait surtout conçue pour les lecteurs qui ne risquent pas d’être offusqués par le traitement qui leur est infligé dans la série. Explication : Starman (la version extraterrestre), Metamorpho et Warlord sont des héros oubliés, un peu losers qui voudraient intégrer les rangs de la Justice League. Ils décident donc de faire un coup d’éclat en prenant possession du casque de Doctor Fate qui va leur permettre d’appeler Darkseid. Qu’ils pensent maîtriser et mettre hors d’état de nuire. Mais les choses vont prendre un tournant tragique. C’est un bref résumé de l’histoire. Est-ce que l’intrigue dépeint ces trois héros comme des abrutis ? Oui.
Starman, Métamorpho, et Warlord apparaissent donc plus comme des bouffons désespérés qu’en véritables héros en quête de rédemption. Tom King, plutôt que de leur apporter une nouvelle épaisseur, ne les respecte tout simplement pas. Ceci était le préambule d’un vieux lecteur de comics un peu grognon. Mais il y a surtout de nombreux problèmes liés au concept de la série.
Les yeux plus gros que le ventre
First Issue Special devait à chaque fois présenter un nouveau héros, un nouveau personnage. Et ce serait un euphémisme de dire que les héros présentés dans ce magazine n’ont absolument rien en commun. Comment relier les New Gods et, par exemple Lady Cop, une « fliquette » qui n’a aucun pouvoir et qui résout juste des crimes ? Comment faire un lien entre Warlord, un soldat qui a atterri dans un monde préhistorique et les Sales Gosses de Danger Street, une sorte de Goonies en plus mal poli ? C’est la tâche que s’est imposée Tom King ici et force est de reconnaître qu’il échoue monumentalement.
La force de Tom King, c’est d’écrire des monologues intérieurs. Là, il en a une vingtaine à proposer et produit donc plusieurs intrigues, très différentes, qui auraient dû se retrouver à la fin. Le souci, c’est qu’il est difficile de mettre sur le même plan un effondrement du ciel et une entreprise tenue par de sales gosses milliardaires. Tout se mélange et finalement, à force de multiplier les points de vue, aucun ne prend le pas sur l’autre et on finit par se désintéresser de tout. Plutôt que de donner de la profondeur et de la dimension à ces figures oubliées, King les réduit finalement à des stéréotypes ou à des caricatures sans substance auxquelles il essaye d’appliquer son traitement psychologique à la Mister Miracle, sauf qu’il n’y arrive pas. Lady Cop, censée être la boussole morale de l’histoire, se contente du rôle de détective générique et peine à susciter l’empathie, même si on la traite de princesse à chaque page.
Tom King a eu les yeux plus gros que le ventre : il essaye de jongler avec trop de balles à la fois, et le résultat est plus que fouillis. De fait, les intrigues ont du mal à monter en tension en raison d’une superficialité narrative et structurelle. L'histoire traîne en longueur et ne décolle jamais. Pire, c’est l’écriture de Tom King, totalement à l’envers, qui fait constamment sortir le lecteur du récit. C’est la première fois que je vois cet auteur autant en difficulté avec des dialogues de personnages. Surtout avec ceux des enfants, rempli d’insultes et qui font totalement décrocher le lecteur.
L’épisode de l’enfer !
Un exemple précis : on nous fait miroiter depuis l’épisode 3 un combat entre deux « chevaliers ». La tension monte, et se résout lors d’un épisode 9 qui est certainement ce que Tom King a produit de plus mauvais dans toute sa carrière. À savoir un numéro où il se regarde écrire de manière pompeuse et totalement anti-climatique. En lisant cet épisode ridicule (je pèse mes mots tellement sa lecture est difficile), on se demande vraiment où est passé le Tom King qui réussissait à nous faire pleurer au bord d’une piscine vide à Bagdad ou sur une plage avec Scott Free.
Je n’ai pas les mots pour dire à quel point ces 24 pages sont d’une indigence absolue. Les deux personnages s’affrontent en utilisant leurs forces, leurs pouvoirs mais aussi leur compréhension de la personnalité de l’autre. On se croirait dans Dragon Ball Z quand les personnages réfléchissent pendant des heures entre deux coups de poing. C’est vraiment très très lourd.
Autre problème : Tom King utilise une narration en mode conte de fée qui n’a aucun sens. Sachant qu’il n’y a ni princesse, ni quelconque aspect un peu magique dans le récit. À peine le casque de Doctor Fate, mais c’est tout. D’ailleurs, il est bien arrangeant ce casque puisqu’il permet de faire à peu près tout ce qu’il veut. Comme par exemple ressusciter ou téléporter des personnes. C’est pratique quand ne sait pas comment terminer une histoire.
Heureusement, la partie graphique, signée intégralement par Jorge Fornes, ne déçoit pas les attentes du lecteur. Il est à son niveau et livre des planches soignées, dont la narration est absolument impeccable, et toujours dans ce style très clair qui fait sa force. C’est quand même l’un des points forts du récit, et il faut le signaler !
On a l’impression que Tom King tourne en rond avec sa méthode d’écriture et qu’il est à court d’idées. Il a certainement essayé de se lancer un nouveau défi qu’il allait selon lui, réussir haut la main. Et il a de fait été un peu présomptueux et a surtout manqué d’humilité. Ce qui en soi ne serait pas très grave si cette impression ne transparaissait pas dans une grande partie de son récit et de ses dialogues tant l’auteur semble persuadé d’exceller. Le résultat est malheureusement tout autre.
De Tom King et Jorge Fornés
Traduit par Jéremy Manesse
30/08/2024 – Relié – 376 pages – 36,00€
Starman, Metamorpho et Warlord souhaitent intégrer la Justice Keague à tout prix. Pour prouver qu'ils en sont dignes, ils ont l'idée d'invoquer et d'affronter l'un de ses plus redoutables ennemis, Darkseid. Les conséquences sont terribles pour le monde, qui se dirige vers une crise sans précédent. L'aide de Manhunter, Lady Cop, Creeper et la Green Team n'est pas de trop pour réparer leur bévue.