Trois ans après le rachat de Time Warner par AT&T, le géant des télécommunications fait machine arrière et décide de laisser quelqu'un d'autre s'occuper de sa branche média... en n'hésitant pas à lâcher un de ses cadres dans la foulée.

WarnerMedia, joyau de la couronne devenu cadeau empoisonné

 

En 2018, AT&T achetait Time Warner (qui devenait ainsi WarnerMedia) pour la modique somme de 109 milliards de dollars, dettes comprises. L'idée du PDG d'alors, Randall Stephenson, était de contrôler à la fois les moyens de diffusion et les contenus. En gros, les tuyaux et ce qu'on y mettait dedans. Avec, en guise de joyau de la couronne, la mise en place d'HBO Max, le service de streaming qui irait chasser sur les terres de Netflix et Disney+.

Une acquisition controversée et qui ne fut pas sans problème. Pour un résumé de la situation, vous pouvez consulter notre article sur la nomination du PDG d'AT&T, John Stankey, l'année dernière. Depuis, les problèmes n'ont cessé de s'accentuer. Alors qu'elle est plombée par une dette colossale, en grande partie due justement à l'achat de Time Warner, AT&T a pourtant besoin de beaucoup de cash pour pouvoir tenir la distance dans son domaine historique, les télécommunications. Entre la fibre et les réseaux 5G, l'entreprise doit faire pas mal d'investissements et mettre de l'argent sur la table pour rester compétitive. Pour récupérer des sous, John Stankey a d'ailleurs commencé à faire le ménage, liquidant ces derniers temps des actifs pourtant récemment acquis (comme DirecTV, un opérateur du câble récupéré à grand frais, ou Crunchyroll, la plate-forme VOD spécialisée dans l'animation japonaise). Qui plus est, HBO Max a mis du temps à se mettre en place et a eu, de plus, le mauvais goût de coûter très cher. Pour beaucoup d'analystes financiers, WarnerMedia est donc plus un boulet qu'autre chose.

John Stankey (Ben Baker/Variety)

D'autant plus qu'on ne s'improvise pas producteur de contenus comme ça. Jason Kilar, le président de WarnerMedia, est un ancien d'Amazon et de Hulu, formé au management façon start up, peu expérimenté dans le domaine de la création et qui ne jure que par le streaming. En quelques mois, Kilar a ainsi opéré un véritable dégraissage salariale, n'hésitant pas à se séparer de cadres expérimentés et respectés, et a lancé un pavé dans la mare en annonçant que les films Warner sortiraient en même temps au cinéma et sur les services de streaming. Pour AT&T, non seulement sa filiale est coûteuse, mais en plus, elle se permet de se mettre une bonne partie d'Hollywood à dos.

Discovery, le nouveau joueur dans la partie

Si les observateurs ne sont donc pas surpris de ce rétropédalage d'AT&T, beaucoup en revanche l'ont été par la rapidité et surtout l'identité du repreneur de WarnerMedia. En effet, les yeux se tournaient plutôt vers NBCUniversal, filiale de Comcast, mais finalement, ce sera Discovery, Inc. qui s'y collera. Créé en 1985 autour de la chaîne de documentaires Discovery Channel, Discovery, Inc. s'est depuis énormément diversifié, se spécialisant notamment dans les chaînes de télé-réalités comme Food Network, TLC, HGTV ou Oprah Winfrey Network. En Europe, la firme est surtout connue pour être derrière les chaînes Eurosport. Dernièrement, elle a même lancé sa propre plate-forme de streamingDiscovery +.

Dans les faits, AT&T et Discovery vont donc opérer d'ici à fin 2022 ce qu'on appelle une fusion-scission. AT&T se sépare de sa filiale WarnerMedia, qui devient indépendante, et qui va fusionner avec Discovery. Les actionnaires d'AT&T recevront 71% des parts de la nouvelle société tandis que ceux de Discovery en récupéreront les 29% restantes. Dans l'opération,  AT&T devrait récupérer 43 milliards de dollars de liquidités sonnantes et trébuchantes, même si l'entreprise est loin de recouvrer ce que lui avait coûter Warner il y a trois ans. La nouvelle entité sera apparemment dirigée par le PDG de Discovery, David Zaslav.

David Zaslav (Associated Press)

Ancien de NBC, Zaslav est à la tête de Discovery depuis 2006. Perçu comme travailleur, intelligent et fort en gueule, il est vu par certains comme une alternative forcément meilleure que Kilar car ayant l'expérience de la production de contenu. De plus, il aurait la pugnacité nécessaire pour faire travailler pour lui qui il veut lorsqu'il en a le désir. D'autres sont, par contre, beaucoup moins optimistes. "Ceux qui fournissent du contenu à Discovery le perçoivent comme quelqu'un qui les pressure, injustement et à son avantage ", déclare un ancien dirigeant de Discovery. "On ne sait pas ce qu'il fera avec des artistes de premier plan, mais si la façon dont il a traité les petites mains qui ont fait Discovery est un signe avant-coureur de la façon dont il va traiter les talents, alors ce n'est pas de très bon augure." Derrière Zaslav, on trouve également John C. Malone, nabab des télécommunications et financier principal de Discovery. L'homme se vante de connaître toutes les ficelles pour contourner les taxes et les règlements fiscaux et on lui doit probablement le montage financier qui va permettre à Discovery de récupérer Warner à moindre coût.

Une guerre d'egos

Si WarnerMedia a été cédé si rapidement,  c'est sans doute aussi grâce aux bons offices de Jeff Zucker, patron de la chaîne info CNN, qui appartient également à AT&T. Zucker était en effet sur les rangs pour devenir patron de WarnerMedia et n'aurait pas avalé la nomination de Jason Kilar qui le met en plus dans la situation de recevoir des ordres d'un homme qu'il apprécie peu. Zucker est en effet plus attaché que Kilar à la télévision traditionnelle et est adepte d'un management moins frontal. Selon plusieurs sources, les deux hommes n'auraient fait que se tolérer ces derniers mois et, en février dernier, Zucker avait laissé entendre à qui de droit qu'il ne renouvellerai probablement pas son contrat à la fin de l'année. Quelques jours plus tard, Zaslav envoyait le mail qui allait tout enclencher à Stankey

Jeff Zucker (Lluis Gene/AFP )

Car Zucker est aussi un très bon ami de David Zaslav. Dans les Hamptons, région chic où de nombreux riches américains ont leurs propriétés, les deux hommes sont voisins. Ils sont également partenaires réguliers de golf. Pour beaucoup d'analystes, il y a très peu de chances pour que Zucker n'ait rien à voir avec la transaction, d'autant qu'il a toujours l'oreille de John Stankey, lui aussi adepte des terrains de golf. Comme l'écrit NBCNews, la question n'est donc dorénavant plus de savoir si Zucker va partir ou pas, mais bien de savoir quel poste il va occuper dans la nouvelle entreprise. Une bonne opération pour lui donc, qui se double du plaisir de dégager son rival.

Car si il y a un perdant dans l'affaire,  c'est bien Jason Kilar qui vient clairement de recevoir un constat de désaveu de John Stankey. Alors que Stankey, Zaslav, Malone et Zucker organisaient les détails de la séparation d'avec AT&T depuis le mois de février, le PDG de WarnerMedia a tout simplement été laissé dans l'ignorance la plus complète de ce qui se tramait derrière son dos. Pire, à peine quelques jours avant l'annonce de la scission, Kilar faisait l'objet d'un portrait dithyrambique dans les pages du Wall Street Journal, laissant entendre qu'il était là pour plusieurs années. Une mise en avant médiatique qui avait en plus reçu l'aval d'AT&T ! Entre Zucker qui pousse à la roue et l'amertume provoqué par ce coup de couteau dans le dos, personne n'imagine donc voir Kilar occupé un poste dans le nouveau groupe.  Selon le New York Times, il aurait d'ores et déjà engagé une équipe d'avocats pour négocier son départ. Au final, un des pontes d'AT&T aurait d'ailleurs commenté toute cette histoire en disant : "Tout ça pour dire qu'il ne faut pas faire ch... Jeff Zucker !"

Jason Kilar (Allison V. Smith/New York Times)

Beau joueur – et sans doute conscient que c'est la loi du monde dans lequel il vit –, Kilar s'est tout de même fendu d'un memo exhortant le personnel de Warner à rester concentré et uni durant les prochains mois de restructuration qui s'annoncent. Il est vrai que ceux qui ont survécu à la purge initié par Kilar ainsi qu'aux retombées d'un an et demi de COVID vont de nouveau devoir faire le gros dos dans les mois à venir. Si, comme on l'a dit, la transaction ne sera pas finalisée avant fin 2022, il risque tout de même d'y avoir du chambardement d'ici là. Les nouvelles têtes pensantes auront à cœur d'imposer leurs marques, leurs idées, leurs auteurs dans les projets de Warner. Comment cela va-t-il impacter les productions de HBO Max, de la Warner (dont DC Films) ou encore du microscopique (dans tout ce barnum) éditeur DC Comics ? Réponse dans les deux prochaines années...et sur Superpouvoir.com bien entendu !

Sources : Hollywood Reporter, NBCNews

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