Suite à la critique de Saotome Love & Boxing, revenons sur le chapitre 26, contenu dans le tome 3 disponible chez l'éditeur Doki-Doki, pour comprendre comme l'auteur, Naoki Mizuguchi, réussit à créer de l'empathie chez les lecteurs vis-à-vis de ses personnages.
Le choix d’analyser ce chapitre du manga répond à plusieurs critères. À ce stade de l’histoire, les enjeux sont bien posés et la relation entre les deux protagonistes, Yae et Satoru, a déjà beaucoup progressé, tandis que le casting de personnages secondaires continue de s’étendre. Une analyse détaillée ne vous dévoilera pas l’un des enjeux ou retournement de situation majeur de l'histoire, la trame du chapitre 26 étant entièrement axée sur le développement de certains personnages.
De fait, ce chapitre est idéal pour traiter de la difficulté pour n’importe quel auteur de créer de l’empathie vis-à-vis d’un personnage de bande-dessinée et dont l’interaction avec le public est impossible, l’émotion étant diffusée à travers la composition de l’œuvre (scénario, mise en page, découpage et, bien évidemment, la patte artistique de l’auteur).
Voyons donc quelle réponse apporte Naoki Mizuguchi à cette problématique à travers l'analyse page par page du chapitre 26 de Saotome Love & Boxing.
Le chapitre s’ouvre sur la maison de Yae Saotome. On y retrouve donc Yae (l’héroïne du manga), son frère Keita (découvert dans le tome 2) et son ami Seki.
Les premiers personnages visibles dans ce chapitre sont les deux enfants, qui observent le salon par une porte entre-ouverte pour voir si Yae est toujours endormie. Le lieu de l’action est posé et Naoki Mizuguchi adopte le point de vue des deux enfants pour ce chapitre. La page 61 bénéficie d’une mise en page tout en suspens où les enfants tentent de rester discrets pour ne pas réveiller Yae. Cela passe par un découpage très détaillé de l’action qui laisse peu de place à l’interprétation du lecteur.
La page 62 s’ouvre sur une large case montrant Yae parfaitement éveillée. Les pages 62 et 63 établissent que ce chapitre tournera autour du thème de la comédie familiale, l’occasion pour Naoki Mizuguchi d’établir la dynamique au sein de la famille de la jeune fille. Yae se rend compte que les deux garçons n’ont pas fini leur devoir et préfèrent jouer à la console.
Les trois premières planches sont somme toute très classiques dans la mise en page, mais restent très dynamiques et posent avec efficacité les enjeux à venir au moment où les garçons se font prendre la main dans le sac.
Un élément important de ce chapitre est la question du point de vue. Ici, Naoki Miziguchi se place du côté des enfants et non de celui de Yae ou de Satoru, ce qui est la seule occurrence de ce genre dans l'ensemble du manga.
La planche de la page 64 rétablit une caractéristique bien connue du personnage de Yae : son regard "froid" et perçant qui ouvre littéralement la page 64 de ce volume, dans une case rectangulaire et presque oppressante.
La planche de la page 65 va encore plus loin, l’action y étant très découpée. Yae envoie les garçons faire leurs devoirs et Naoki Mizuguchi en profite pour souligner la présence dans le décor d’une pièce de 500 yens, référence directe à la conversation d’arrière-plan entre Yae et sa mère à la page 63. La case centrale souligne le passage du temps, la planche se concluant par le retour de Yae alors que Seki s’est endormi et que Keita fabrique un avion en papier. Les trames de la dernière case renforçent l’impression de surprise lors du retour de Yae.
Passons à aux pages 66 et 67. Yae y est placée dans l'entrebâillement de la porte et l’accent est à nouveau mis sur son regard, avant que n’arrive la révélation sur la troisième et la quatrième case : Yae était partie acheter des glaces pour les garçons.
Les garçons, et Seki en particulier, découvrent alors une Yae beaucoup plus attentionnée et attachante que ce que pouvait laisser entendre les planches précédentes. Le passage du temps est encore une fois souligné par une vue sur l’extérieur de la maison avec un focus sur l’enrouleur du store. La première case (page 67) montre un soleil visible, tandis que la troisième case nous montre un ciel nuageux. Le dialogue de la dernière case, induit que Seki a pu apprendre à mieux connaître la sœur de Keita et le vide laissé en bas à gauche soulignant que Yae avait quitté la pièce depuis un certain temps.
La page 68, quant à elle, entame logiquement la conclusion du chapitre avec une large case horizontale occupée par Yae qui se prépare à partir pour son entraînement de boxe.
Ce chapitre, qui pourrait paraître banal, est au final très important pour comprendre les personnages de Saotome Love & Boxing et leur dynamique. Keita y est présenté comme un enfant espiègle et roublard, mais doté d’un immense respect pour sa sœur, tandis que Yae qui continue de passer pour une personne froide se révèle bien plus empathique et affectueuse que ce que son image publique et son langage corporel peuvent laisser imaginer.
Le coup de force avec ce chapitre est de faire de Yae un personnage de plus en plus attachant pour le lecteur et surtout pour les autres personnages du manga, en utilisant des procédés simples de mise en page et de narration visant à une efficacité émotionnelle.
Pour rappel, le manga Saotome Love & Boxing est actuellement disponible en 10 tomes chez Doki-Doki.