Le rêve de John Hammond est désormais bien loin. Jurassic World n'est plus et les dinosaures sont la proie de toutes les intentions, bénéfiques comme opportunistes. Alors que le gouvernement décrète que ces animaux ramenés à la vie par la main de l'Homme doivent subir les retombées d'un volcan en éruption, Owen et Claire, survivants des précédents événements, se liguent à une équipe de sauvetage clandestine pour porter secours aux dinosaures à nouveau menacés d'extinction.
Avec Jurassic World, le réalisateur Colin Trevorrow n'a pas fait l'unanimité. Malgré un succès colossal au box-office, ce prolongement de la saga saurienne initiée par Steven Spielberg en 1993 a divisé les paléontologues des grands écrans. Hommage abusif et auto-référentiel pour les uns, véritable métaphore pour les autres, Jurassic World avait pourtant remporté suffisamment de suffrages et de billets verts pour qu'une suite soit immédiatement mise en chantier sous le titre de Fallen Kingdom. Au vu des défauts manifestes de son grand frère, cette séquelle aurait pu s'annoncer sous les pires auspices, jusqu'à l'annonce de celui qui serait son architecte, un nom qui force le respect : Juan Antonio Bayona, prodige du cinéma de genre espagnol à qui l'ont doit les merveilles que sont L'Orphelinat et le plus récent Quelques Minutes Après Minuit, des fables fantastiques dont le contenu souvent grave promettait une approche sinon nouvelle, au moins personnelle du mythe.
Avant d'entrer dans le détail de ce Fallen Kingdom (et sans spoilers), rétablissons un point important : Jurassic Park reste un film indétrônable, aussi bien dans la saga que dans l'histoire générale du cinéma. Ce game-changer est arrivé à point nommé pour révolutionner nombre de techniques et de méthodes de story-telling, le genre de pari immense que seul un génie reconnu et déjà bien établi tel que Spielberg pouvait se permettre de remporter. Aussi controversées que soient les suites et aussi grand que soit le succès au box-office, les vraies révolutions cinématographiques sont désormais rares et nous ne sommes plus en mesure de pouvoir attendre de très grandes choses d'un divertissement tel que ce qu'essaye de présenter Jurassic World: Fallen Kingdom qui, malgré de très bonnes idées (et d'autres franchement moins bonnes), ne dépasse que rarement ce stade.
L'ajout dans l'équation de Bayona est toutefois une vraie bénédiction. Après la réalisation purement fonctionnelle de Trevorrow (qui a déjà signé pour reprendre la caméra pour un troisième film), voir les plans et le traitement de la photo rehaussés par un œil poétique et affûté fait un bien fou aux mirettes. Mené tambour battant, le scénario du film se déroule sans temps morts, avec une fluidité maîtrisée et des enjeux toujours cohérents et expliqués, le tout ponctué de quelques séquences d'actions qui, à défaut d'être mémorables, sont d'une redoutable efficacité – on pense bien sûr au moment de bravoure qu'est l'explosion du volcan de Isla Nublar qui est surprenamment chargé d'une émotion inattendue, telle qu'on n'en avait jamais ressentie dans la saga.
La saga Jurassic Park a toujours été porteuse d'un message, comme tout grand récit de Science-Fiction qui se respecte. Fallen Kingdom, avec son titre accrocheur et apocalyptique, fait s'engager le monde des dinosaures sur un terrain où ils étaient certes attendus mais espérés. Fort de thématiques modernes et écologiques, ce nouveau chapitre offre au (trop) médiatisé Jeff Goldblum le soin d'ouvrir et de fermer le récit sur une note morale aux sinistres connotations. En gros, le professeur Ian Malcolm nous avait bien prévenus : la vie finira toujours par trouver un chemin.
La protection animale, le profit des uns, le malheur des autres et les dangers de la technologie sont au cœur d'un film qui, malheureusement, ne peut guère se targuer d'avoir de grands protagonistes pour les représenter. Ainsi, Fallen Kingdom souffre du même souci que son aîné, à savoir une galerie de personnages sans surprises et aux motivations aussi transparentes et binaires que du plexiglas. Les poncifs habituels de la saga ne changent pas non plus : quiconque porte une cravate est fatalement un méchant profiteur ; une milice militaire armée en territoire dinosaure ne présage jamais rien de bon ; les gentils sont pétris d'idéologie et tous plus bullet-proof les uns que les autres au point où cela en deviendrait presque risible de les voir slalomer au milieu d'une éruption sans prendre un seul caillou sur... le caillou. Entre un Chris Pratt et une Bryce Dallas Howard en pilote automatique, on ne note qu'un personnage secondaire plein de potentiel en la personne de Zia Rodriguez (jouée par Daniella Pineda) qui n'a malheureusement que peu droit de cité au milieu d'une galerie de faire-valoir et d'appâts à dino désignés. Sans oublier le catalogage abusif de certains personnages qui nous donneraient l'impression d'avoir replongé en pleine guerre froide. Quant à l'ajout des acteurs sûrs que sont James Cromwell et Toby Jones (à la mèche si ponctuée qu'on ne doute pas un instant de qui il grime), ils virent à une certaine forme de caricature et leurs arcs narratifs, même si réduits, virent parfois au grotesque, en particulier dans le dernier acte.
Raccourcis, facilités et hasards gros comme un Diplodocus (un monstre marin s'échappe de l'île dès les premières minutes et personne ne songe à le signaler ? On croit rêver...) sont encore une fois inévitables mais c'est aussi à mettre au discrédit du côté extrêmement familial du projet, qui est probablement le moins graphiquement explicite de toute la saga – au moins, Spielberg serait allé jusqu'au bout de son idée. Bayona s'amuse tout de même à rendre hommage à l'original lors d'une séquence de home-invasion plutôt tendue et à tacler l'opus précédent en introduisant le personnage de Bryce Dallas Howard sur un gros plan de ses talons-hauts (les fans et les détracteurs comprendront.) En revanche, certaines similitudes avec des motifs issus du Monde Perdu n'échapperont pas aux plus attentifs qui s'empresseront de tracer le parallèle entre les deux œuvres, ce qui ne manquera pas d'opposer à nouveau les notions d'hommage et de manque flagrant d'inventivité.
Le bestiaire s'enrichit d'animaux nouveaux, bien iconisés et compte bien sur la mignonnerie de bébés Raptors pour vendre toujours plus de merchandising. Des créatures pour lesquelles on ressentira une empathie neuve, sincère, parfois employées à très bon escient mais qui ne suffiront guère à rattraper quelques innommables défauts de cette tentative qui, pour la première fois, laisse une porte plus qu'entrouverte sur l'avenir de sa franchise.
J.A. Bayona pond donc une habile oeuvre de commande, parvenant à devenir le meilleur réalisateur ayant officié sur Jurassic Park depuis Spielberg lui-même. Mais l'ensemble reste trop jalonné de clichés en tout genre qui, même s'ils servent un très bon message sous-jacent, auraient pu être traités avec plus de finesse et avec des personnages plus impliqués et écrits, pour lesquels on aimerait bien pouvoir s'investir ou s'inquiéter ne serait-ce qu'un peu.
En clair, on ne s'ennuie pas, mais c'est toujours pas ça. Il y a définitivement quelque chose dans l'A.D.N de ce projet qui ne fonctionne pas. Le premier Jurassic Park reste encore dans l'ambre.