Joker The Winning Card nous propose une nouvelle version de la première rencontre entre Batman et sa némésis. Le récit, signé Tom King et Mitch Gerads, l’équipe gagnante de Mister Miracle et Sheriff of Babylon, développe une histoire confirmant les forces mais aussi les faiblesses de ses auteurs, et manque un tant soit peu de surprise.
Que peut-on réellement proposer de nouveau sur le Joker ? Tout a déjà tellement été fait, refait et souvent très réussi depuis plus de vingt ans. Pour info, cela doit être la quatrième ou cinquième version de la première rencontre entre les deux personnages (je pense notamment à Killing Joke, Batman The Man Who Laughs, Whatever Happened To The Cape Crusader ou Batman Year Zero et je suis certain que j’en oublie). Et on ne compte plus non plus les histoires de référence qui ont analysé de fond en comble la personnalité du Joker. De fait, cela semble presque impossible de pouvoir développer un aspect de la rencontre entre les deux qui n’ait pas déjà été exploré et usé jusqu’à la corde. Tom King va toutefois teinter son histoire d’un aspect plutôt horrifique, avec quelques scènes assez gore et s’inspirer à la fois de Killing Joke (allant même parfois jusqu’au pastiche du récit d’Alan Moore et Brian Bolland) et de l’ambiance du récent film The Batman avec Robert Pattinson pour la partie thriller urbain.
Bruce Wayne est devenu Batman depuis moins d’une année. Toujours en phase de préparation, il prend petit à petit ses marques, accroît régulièrement sa réputation auprès de la police et surtout du commissaire Gordon. Ce dernier doit d’ailleurs faire face à un nouveau type de criminel : un psychopathe déguisé en clown qui laisse derrière lui des meurtres sanglants et abominables. Ce Joker n’a pas de modus operandi, pas de ligne directrice, pas de plan élaboré. On a l’impression qu’il tue au hasard, au gré de son inspiration morbide. Ce qui plonge bien évidemment la ville de Gotham dans la peur. Et pourtant, aux yeux de certains, c’est simplement un criminel de plus, sans pouvoirs, donc que l’on peut mettre facilement hors d’état de nuire. Batman et Gordon vont dans The Winning Card apprendre à leurs dépens qu’il ne faut pourtant pas le sous-estimer et réaliser que le Joker reste la menace ultime, le reflet sombre du justicier masqué. Une rencontre au bout de l’horreur et de la psyché brisée.
Une fois n’est pas coutume, on va commencer par analyser les dessins absolument phénoménaux de Mitch Gerads. On pensait avoir fait le tour du style de ce dessinateur : ces structures de pages en gaufrier de neuf cases, ses gros plans, ses répétitions de postures qui servent parfaitement les histoires souvent introspectives de Tom King. Et pourtant, j’ai trouvé que dans ces épisodes, Mitch Gerads a nettement su faire évoluer son style.
Beaucoup moins classique, il éclate sa narration dans plusieurs formats alternant les « splash pages » et les compositions en bandes horizontales. Mais surtout, il donne un aspect beaucoup plus « peinture » que dans ses précédents récits, et cela fait immédiatement penser au travail de Dave McKean sur Arkham Asylum. C’est le point fort du récit et il permet de donner un aspect absolument terrifiant au criminel en brouillant les lignes et en utilisant des couleurs qui se confondent avec l’action. C’est réellement impressionnant. On comprend pourquoi Tom King adore travailler avec Mitch Gerads : ce dernier arrive en effet, via la maestria de ses compositions, a sublimer les idées du scénariste.
Joker The Winning Card est, comme on l’a dit plus haut, loin d’être original. Tom King nous livre un récit tout à fait dans la lignée de ce qu’il propose d’habitude, à savoir une histoire très verbeuse, faite de silences et de psychologie de surface. Et bourrée de références (certains diront plagiat) à The Killing Joke. Dans le genre origines d’un criminel, le Sphinx: One Bad Day est à mon sens plus intéressant. Mais il faut reconnaître que le côté film d’horreur est clairement réussi. Il y a des scènes véritablement tendues, notamment sur la relation entre le Joker et une petite fille. En y réfléchissant un peu, Joker The Winning Card est d’un très bon niveau dans sa description de la cavale sanglante du criminel. En revanche, dès que l’on essaye de développer la relation entre Batman et le Joker, le récit s’enlise un peu dans le déjà-vu.
Après, il faut reconnaître à Tom King le fait de ne pas reproduire la même erreur que Scott Snyder et Greg Capullo. Il réussit en effet à rendre le Joker dangereux, non pas par son apparence mais plutôt par ses actes imprévisibles, ce qui est la base absolue du personnage. Il n’y a aucun artifice, pas de masque de peau, pas de tatouages sur le front pour expliquer que le personnage est dangereux. Le Joker est terrifiant par ses actes, point. Et c’est ce qui fonctionne toujours avec ce personnage. Et pourtant, après relecture, Tom King n’arrive pas à donner une idée sur le Joker qui ressorte un peu, qui tranche avec ce qui a été fait avant. Nous n’avons que des actes et très peu de contexte. King n’entre pas dans le cerveau du criminel, il se contente de nous livrer des actions déconcertantes, dérangeantes mais décrites d’un point de vue extérieur. De fait, Joker The Winning Card devient rapidement oubliable, laissant le lecteur avec le souvenir d’une histoire sympathique, très bien dessinée mais qui ne nous a pas appris grand-chose.
De Tom King et Mitch Gerads
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Année un. Bruce Wayne est encore en phase d'apprentissage pour incarner pleinement le Chevalier noir quand Gordon se lance sur les traces d'un mystérieux clown psychotique en pleine folie meurtrière. Dans une Gotham plongée dans la peur, Gordon et Batman apprennent ce qu'il en coûte de sous-estimer le Joker.