Les portes du Multivers se sont ouvertes à nouveau et Doctor Strange in The Multiverse of Madness déboule dans les salles de cinéma. Pour réinventer la poudre ? Qu'attendre de ce second volet des aventures du Sorcier Suprême (qui ne l'est plus) de l'univers Marvel signé Sam "Spider-Man" Raimi ?

Peu de longs métrages du MCU ont su cristalliser autant d'attentes que ce Doctor Strange 2. Les raisons en sont, comme le Multivers du titre, parfaitement multiples. Depuis son premier tour de piste dans le film signé Scott Derrickson en 2016 (qui, en dépit de la fameuse formule Marvel, était tout de même parvenu à proposer un film visuellement différent et audacieux), le Sorcier Suprême incarné avec brio par Benedict Cumberbatch a gagné en puissance et en popularité auprès des fans et d'un public qui ne le connaissait pas si bien que cela, en particulier depuis son déchainement de puissance dans Avengers: Infinity War, où il fit office de somptueuse attraction grâce à son sens moral indéfectible, teinté de zones de gris à l'image de ses célèbres tempes, et ses fascinants pouvoirs lors des séquences de combats. Il n'en fallait pas moins pour que le plébiscité médecin se fasse signer une nouvelle ordonnance par Kevin Feige afin de reprendre du service dans un second volet. Exit Derrickson (manifestement pas assez souple pour correspondre aux volontés artistiques très précises de Marvel Studios) et bonjour Sam Raimi. Vous ignorez qui est Sam Raimi ? Eh bien c'est loin d'être n'importe qui.

Sam Raimi

Révélé au monde en 1980 – soit à tout juste 21 ans, s'il vous plaît – grâce au film d'horreur culte Evil Dead, qui devint par la suite une trilogie qui ne l'est pas moins, le père Raimi est surtout entré dans le panthéon des geeks après avoir brillamment mis en scène la trilogie Spider-Man avec Tobey Maguire dans le rôle du Monte-en-l'air, des films d'importance séminale dans le monde du divertissement super-héroïque au cinéma et qu'on ne présente plus. Bien qu'il soit un cinéaste précis, chevronné et au CV très varié (thriller et western font entre autres partie de son univers), c'est avant tout au paysage de l'horreur que reste rattaché ce fou furieux à l'inventivité inquestionnable (ayant même inventé avec Evil Dead des plans de caméra en traveling emporté réutilisés depuis par ni plus ni moins que des cinéastes tels que Francis Ford Coppola). Féru des bandes dessinées Marvel, ce bonhomme maniant aussi bien les images choc que l'humour cartoonesque (sa marque de fabrique) était sur le papier l'homme de la situation pour reprendre en main les aventures de Stephen Strange, en particulier dans un cadre narratif aussi barré que l'exploration multiverselle – concept auquel le personnage est rattaché depuis les événements de Spider-Man: No Way HomeMais dans les faits, pour sa première réalisation en presque dix ans, Sam Raimi a-t-il fait justice à sa réputation, à l'univers de Strange et à toute la folie du concept qui lui a été confié ?

Doctor Strange face à la folie du Multivers

Pulvériser les limites

Stephen Strange vit au jour le jour son existence de sorcier au service de l'humanité. Et sa vie pourrait être un long fleuve tranquille fait de magie et de célébrité si la femme de sa vie n'allait pas se marier avec un autre et s'il ne faisait pas d'atroces cauchemars qui le perturbent. Mais alors qu'il assure à ses proches qu'il est bien dans ses pompes et dans sa cape, l'arrivée inopinée dans sa vie d'une jeune femme dotée de super pouvoirs va changer la donne. Son nom ? America Chavez (Xochitl Gomez). Son don ? Voyager dans le multivers. Sa mission ? Découvrir l'identité d'un ennemi étrange qui la traque d'univers en univers pour s'accaparer son pouvoir. Stephen semble être le seul à pouvoir l'aider. Démuni devant une tâche de cette ampleur, Strange demande de l'aide à l'une des personnes qui a participé à la défaite de Thanos au cours de la guerre de l'infini : Wanda Maximoff, la Sorcière Rouge.

Qu'on se le dise, avec Multiverse of Madness (titre hautement Lovecraftien s'il en est), Sam Raimi parvient à effectuer un genre de miracle pouvant tenir de la magie : imposer sa patte dans un des univers les plus codifiés et restrictifs du divertissement à grande échelle et ce en faisant parler la folie qu'est la sienne. Avertissement toutefois, aux fondus du passif du réalisateur dans le film gore : non, Doctor Strange 2 n'est certainement pas un film d'horreur. En revanche, oui, il possède bien une patine et une approche horrifique qui y font grandement penser. Si l'on sent évidemment que Raimi n'a pas totalement les coudées franches sur son produit, il distille par pans entiers une ambiance qui lui est tout à fait propre, en particulier au cours de certaines scènes d'angoisses, telle cette invasion de la cité de Kamar-Taj, où les zooms rapides sur des portes qui se ferment brutalement sur fond de rires et voix aigrelettes ne seront certes pas sans rappeler les fameux Evil Dead et ses démons aussi rigolards que pervers. Les ambiances feutrées, éclairées à la bougie et les corps qui craquent dans tous les sens (les plus habiles repèreront un clin d'œil à Sadako, le terrifiant fantôme de la saga Ring) renvoient immanquablement à Drag me To Hell, dernier film d'horreur en date plié par Raimi qui ne se prive pas d'ailleurs de déchaîner une ribambelle de créatures grotesques, souvent tirées des pages des célèbres comics.

Notons ce combat épique arrivant très tôt dans l'intrigue dans les rues de New York entre Strange et Gargantos (normalement Shuma Gorath, nom impossible à employer pour des questions de droits), cette pieuvre cyclope venue d'une autre dimension, où les plans de combat à flan d'immeuble ne seront pas sans rappeler les voltiges de Spidey sous la caméra de Raimi ; ou l'apparition d'un corps en décomposition, animé par magie, et qui ne sera pas sans rappeler le fameux méchant Ash de L'Armée des Ténèbres, dernier volet de la trilogie Evil Dead (certains plans y font même explicitement référence).  De fait, les obsessions de Raimi vis-à-vis de son propre passif cinématographique se ressentent à plusieurs reprises dans le film, comme le caméo (inévitable) de son acteur fétiche Bruce Campbell au cours d'une scène très amusante, ou encore l'arc narratif principal du film centré sur un livre maléfique, à l'image du fameux Necronomicon sur lequel la saga Evil Dead est basée. Ajoutez-y l'humour de circonstance de Marvel, encore trop présent mais pourtant pas si éloigné que cela de ce qui amuse d'ordinaire le réalisateur pour qui le potache et le cartoon sont une constante souvent obligatoire. Certes, il n'échappera pas aux plus pinailleurs que Raimi s'auto-cite beaucoup dans Multiverse of Madness, mais c'est justement tout le but : rendre la mainmise aux auteurs de cinéma sur Marvel. Et si ce n'est pas aussi élégant que, disons, Les Éternels de Chloe Zaho, le potentiel succès du film pourrait motiver cette récupération artistique du MCU par autre chose que de gentils yes men et autres tâcherons (la récente défection de Jon Watts du projet Fantastic Four pourrait même laisser présager de bonnes nouvelles sur ce front).

Le jugement des Illuminati : la scène pivot de tout le film... les fans vont devenir fous.

Illuminati assemble!

Après le raz-de-marée No Way Home et sa déferlante de caméos multiversels, il semblait évident que les attentes entourant ce volet de Strange reposaient aussi en grande partie sur les exactes mêmes promesses diffusées au compte-goutte au fur et à mesure que la promo faisait son chemin. Si les rumeurs des derniers reshoots prétendaient que Marvel Studios voulait accentuer cet aspect, on ne peut que constater qu'il n'en est finalement rien au vu du résultat final, qui réserve pourtant son lot de surprises dignes de faire péter les plombs aux fans les plus assidus des comics Marvel. Les dernières bandes annonces officialisaient ainsi le retour du professeur Charles Xavier, (Sir Patrick Stewart), bien aimé et tout puissant leader des X-Men et ici chef des Illuminati, groupuscule des êtres les plus sages et puissants au monde tenant d'une main de fer une dimension où Strange a joué son rôle (le Sorcier Suprême fait partie du groupe dans les comics). On se doute bien que le groupe originel de la bande dessinée ne peut figurer en l'état dans le film, au risque de perdre le spectateur, mais sachez que les diverses spéculations ayant agité la toile peuvent tout aussi bien se vérifier que se démentir... voire carrément annoncer l'avenir possible du MCU. Loin de nous l'idée de vous gâcher la surprise, mais il va de soi que cette séquence en particulier – et qui constitue le second acte du film – est l'équivalent d'un énorme clito visant à rendre les geeks fous. Et ça marche. Garanti. Reste que ce fan service est, comme dans No Way Home et ses méchants issus d'anciens films et d'autres licences, à l'usage de spectateurs étant déjà bien renseignés sur ce qu'ils viennent voir. Quiconque ne sera pas à jour sur les événements mêmes du MCU risque fort de se sentir perdu dans les circonvolutions du scénario écrit par Michael Waldron (un ancien de... Rick & Morty, comme par hasard) et, en ce sens, le visionnage de la série WandaVision est un acquis quais obligatoire afin de saisir tout l'arc narratif de la Sorcière Rouge (impeccable et bouleversante Elizabeth Olsen) dont les troubles et le comportement à fleur de peau ne sauront s'expliquer, ni prendre tout leur sens, autrement qu'en ayant assisté à ses mésaventures dans la ville de Westview. Si America Chavez est le personnage-clé de l'histoire (encore que laissée franchement de côté en seconde partie du métrage), c'est Wanda qui constitue son cœur et les choix entourant la super héroïne pourraient en surprendre, voire en désarçonner plus d'un. De même, il serait bon, encore que plus optionnel, d'avoir dévoré l'excellente série animée What If...? pour savourer quelques couches de fun supplémentaires dans ce film d'une richesse rare en termes de contenus narratifs comme visuels. On décompte ainsi une nouvelle intention de mise en scène toutes les dix minutes de films, constituant parfois de véritables tableaux de maîtres à l'écran, une approche rarissime dans le MCU.

Et Strange dans tout ça ? Eh bien, il est plus que jamais une force tranquille, sûr de lui, mais sa psyché ébréchée (à l'image de la montre fétiche qu'il transporte avec lui dans tout le film) font de lui un protagoniste profondément attachant et humain, croulant sous le poids d'un passé et de responsabilités qui le coupent d'un bonheur pourtant tant recherché. Et ses rapports avec Wong (Benedict Wong) et Christine Palmer (Rachel McAdams) ne font que renforcer sa fragilité, bien que les agissements du personnage ne soient jamais sans conséquences et ce à plusieurs échelles. Benedict Cumberbatch est, tout comme Olsen, d'une justesse rare et somptueusement dirigé. Sam Raimi sait tirer de ses acteurs le meilleur d'eux-mêmes, en particulier quand il les oppose à des avatars et autres Variants de leurs personnes. On songe forcément à ce face à face entre Strange et un double maléfique renvoyant, encore une fois, au mano à mano de Ash devant son doppleganger d'outre-tombe dans L'Armée des Ténèbres ou, pourquoi pas, au duel Peter Parker/Eddie Brock dans son Spider-Man 3. Bref, en dépit de son ambition, le film n'oublie pas de rester focalisé sur ses personnages et c'est un véritable bonheur.

Une beauté saisissante

L'univers psychédélique et bariolé des comics Doctor Strange est évidemment un prétexte à toutes les folies visuelles, et Sam Raimi et ses équipes l'ont bien compris. Nous aurions pu craindre que la douce folie du réalisateur américain disparaîtrait devant les exigences du cahier des charges marvelien, mais il n'en est rien et c'est à coups de photographie savamment étudiée que Multiverse of Madness affiche toute sa saveur. Le génial directeur de la photographie John Mathieson offre parmi les images les plus belles vues dans un film Marvel depuis des lustres, en particulier dans les séquences d'illusions impliquant Wanda, mises en scène avec une précision quasi mathématique et avec une approche expérimentale qu'on ne voit pour ainsi dire jamais dans des blockbusters de cet acabit. Le film joue sur les textures, les superpositions d'images, la multiplicité des univers visuels et des sons (la bande originale de Danny Elfman reste relativement passe-partout dans l'habillage, bien qu'elle offre au thème de Strange une couche d'épique supplémentaire, centrée sur un mouvement de tic tac en deux temps semblable à une montre, et qu'une scène d'affrontement en particulier entre deux personnages semble avoir été chorégraphiée entièrement à son attention.) Sam Raimi s'est vu offrir une palette de possibilités grandioses et il a su peindre sa toile en usant habilement de chaque couleur pour tirer de son sujet une quintessence que seul un cinéaste d'expérience pouvait offrir, une maestria qui se ressent jusque dans les séquences de combat, lisibles, fluides et violentes (si !)  bien que certaines copies numériques de comédiens de soient pas toujours du plus bel effet. Mais c'est un écueil qu'on ne pourrait pas reprocher qu'au réalisateur des premiers Spider-Man de Sony.

Toutefois, il faut bien reconnaître que pour un film citant les termes multivers et folie dans son titre, l'exploration de mondes et de dimensions reste extrêmement limitée et on ne peut s'empêcher de se sentir frustré que le scénario n'ait pas pris la peine d'appuyer à fond sur son concept. Mais il faut bien admettre que le film est déjà bourré ras-la-gueule de personnages et d'intrigues aptes à nous faire parfois perdre le fil et on ne saurait reprocher à Marvel d'avoir opté pour une durée de métrage n'excédant pas les deux heures et dix minutes, ce qui le rend largement plus digeste que bien d'autres blockbusters récents ayant eu la main un peu lourde sur ce point, comme si cela faisait forcément gage de qualité.

Des plans d'une beauté époustouflante, parmi les plus étudiés et évocateurs du MCU.

L'avenir du MCU ?

Difficile de se dire qu'on n'a pas vu là un des game changers potentiels de la plus importante saga cinématographique de ces dernières années. En binôme avec la plus adulte, bariolée et expérimentale série Moon Knight, on est tenté de croire que le Marvel Cinematic Universe pourrait, avec Doctor Strange and the Multiverse of Madness, passer à un autre niveau de qualité, où une sortie super-héroïque calendaire ne serait plus seulement une date où produire un film pour le fun d'en produire un. Après un tel coup d'éclat et de folie de la part de Sam Raimi, Kevin Feige et ses sbires vont avoir fort à faire pour garder vivace l'intérêt des spectateurs du MCU. Car ce sorcier-là a mis la barre haut. Très haut.

Doctor Strange and the Multiverse of Madness, en salles depuis le 4 mai 2022

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