Le piège est connu : comment faire fonctionner un film si l'on sait son protagoniste principal condamné d'avance ?

Pour son premier prequel, le Marvel Cinematic Universe pouvait largement compter sur l'affection que porte les fans de la licence à Natasha Romanoff, alias La Veuve Noire, soit Black Widow, super-espionne des Avengers incarnée par Scarlett Johansson et ayant rendu l'âme au cours de l'épique affrontement de EndgameToutefois, le producteur Kevin Feige n'avait guère en sa possession les super-pouvoirs nécessaires à l'anticipation d'une pandémie mondiale qui força les studios à repousser la résurrection cinématographique de l'héroïne rouquine – également supposée faire office de tremplin à la Phase IV du MCU – d'une quasi année et demie.

Un coup de sort qui aurait pu condamner les aventures solo de Natasha à une sortie sur Disney+, écueil habilement évité grâce à une certaine ténacité des studios qui n'en étaient plus à cela près concernant ce personnage culte ayant fait ses débuts chez la Maison des Idées en 1964 – rappelons tout de même qu'un projet de film consacré à la Veuve Noire était en développement depuis le début des années 2000, et qu'au vu des nombreuses aventures solos offertes entre temps à divers super-héros, le personnage n'a jamais semblé être une priorité pour les décideurs.

Ultime aventure pour Natasha Romanoff... sauf que personne ne meure jamais vraiment chez Marvel, non ?

Et si c'était trop tard ?

Quel dommage tout de même d'avoir attendu la disparition du personnage pour lui consacrer une aventure solo, pourtant loin d'être désagréable, mais dont les enjeux ne prêtent, du coup, presque pas à conséquence vu que Scarlett Johansson fait ici officiellement ses adieux à Natasha alors que le public a déjà enterrer l'héroïne deux auparavant. De fait, la pandémie n'aura fait qu'accentuer l'appétit d'un spectateur s'étant depuis largement rabattu sur les séries Disney + pour combler son manque de super-héroïsme. WandaVision, Falcon et le Soldat de l'Hiver et Loki étant largement saluées pour avoir porté le propos du MCU dans des directions  artistiques et scénaristiques autrement plus excitantes, le film Black Widow ici plié à la case près par la réalisatrice Cate Shortland, donne l'impression d'être un vestige, le dernier souffle de l'Infinity Saga et l'opus de départ un peu mou d'une Phase IV déjà tournée vers un avenir bourré de surprises en tout genre. Black Widow pourrait donc se contenter d'être un film moyen au cœur d'une saga grandiose (ce dont il sera forcément taxé), et les fans se seront probablement lassés de l'attendre, mais force est de constater qu'en guise d'opus solo, il tient généralement plutôt bien la route.

Famille(s) & dépendances

Situé après Civil War et la ratification des accords de Sokovie (rendant illégal l'activité super-héroïque sans intervention gouvernementale), le film suit les traces d'une Natasha en fuite à travers l'Europe, seule et sans presque aucun allié. N'ayant pas encore rallié Steve Rogers dans sa croisade en solitaire, l'ex-Veuve Noire va être rattrapée par son passé lorsque sa soeur adoptive Yelena (Florence Pugh) revient dans sa vie pour réclamer son aide. En effet, la Chambre Rouge, le centre secret de super espionnes ayant formé les deux jeunes femmes est toujours en activité quelque part dans le monde sous la direction du tyrannique général Dreykov (Ray Winstone), tenant les autres veuves noires sous sa coupe grâce à un conditionnement mental le privant de leur libre arbitre. Les deux espionnes vont partir en quête de leurs anciens mentors et famille d'adoption afin de retrouver Dreykov et l'empêcher de nuire. Mais ce dernier envoie le mystérieux Taskmaster, son plus implacable tueur, leur barrer la route.

Black Widow retourne habilement le concept vu et revu de la "famille".

Dans son esthétique, Black Widow renvoie davantage au récit d'espionnage musclé type Jason Bourne qu'à un gros film de super-héros basique. Relativement unique au sein du MCU, cet opus honnêtement filmé ne restera probablement pas dans les annales des meilleures aventures de cet univers partagé pour ce qui est de l'action – les scènes de combats sont ainsi souvent génériques et pas forcément bien équilibrées avec les moments plus posés de l'intrigue, étrangement les plus prenants du métrage. La scène d'introduction, d'une durée d'une vingtaine de minutes, constitue par ailleurs la séquence la plus mémorable, avec son ambiance de banlieue familiale sombrant dans le thriller noir en l'espace d'un regard entre David Harbour et Rachel Weisz, respectivement Alexei Shostakov et Melina Vostokoff, super espions infiltrés et figures de parents adoptifs des futures black widows, dont les rapports semblent très inspirés de la série The Americans. 

Autre basculement quand, d'un revers de la main, le premier soulève un camion pour permettre à sa "famille" de s'enfuir, nous faisant comprendre qu'il est un super soldat, le Red Guardian (un Captain America d'origine russe qui a connu de nombreuses incarnations dans les comics), le tout cumulant sur une escapade en avion, afin d'échapper à des assaillants inconnus, et sur l'endoctrinement des deux petites filles dans les rangs de la Chambre Rouge. Une intense séquence mêlant action et émotion, conclue par le générique du film où une reprise du standard rock Smells Like Teen Spirit de Nirvana dans une version pop sombre permet de suivre en un temps record les 21 années de formation de notre héroïne – elles sont bien loin les légères excentricités sonores des Gardiens de la Galaxie.

Malheureusement, les autres scènes d'action du film ne sont ni aussi prenantes, ni aussi impressionnantes, entre poursuites classiques et combats au corps à corps pas forcément folichons – à part peut-être un face à face opposant Natasha à toute une nuée de veuves noires manipulées, mais un peu trop court pour être vraiment réjouissant. D'autant que la musique composée par Lorne Balfe (en remplacement express de l'oscarisé Alexandre Desplat) ne les met pas spécialement en valeur, alors qu'on peut en sentir par moments tout le souffle épique grâce à l'usage hautement justifié de chœurs évoquant ceux de l'Armée Rouge.

Facilités

Au milieu de ces combats, l'aspect espionnage que le film devrait pourtant mettre en avant est relégué au second, voire même troisième plan, plutôt regrettable si l'on part du principe que Natasha est une fugitive, forcément sous le coup d'un mandat d'arrêt international qui ne semble pas lui poser d'autres soucis que celui d'avoir le général Thaddeus Ross (William Hurt, de retour) sur le dos pendant une maigre scène. Si les règles socio-politiques ne semblent donc obéir à aucune espèce de logique (comme l'usage de la langue totalement aléatoire dans les dialogues, au point que ça en devient parfois franchement gênant, sans parler des capacités folles qu'ont les méchants de ce film à tirer systématiquement à côté), on appréciera toutefois grandement les soucis de continuité que le film essaye de tisser avec le reste de son univers  : la fameuse "fille de Dreykov" mentionnée par Loki dans Avengers pour déstabiliser Natasha, trouvera ici son explication, de même que les événements de Budapest partagés avec Clint Barton, et l'implication de l'héroïne parmi les Avengers, très souvent moquée par ses partenaires au cours du film.

"Dites, c'est trop tard pour un Hellboy 2... ?"

En termes de moqueries, si on se surprend à découvrir sur la première heure de film un récit plutôt sérieux et dénué d'humour, la seconde moitié devient moins appréciable à partir du moment où le Red Guardian refait son entrée dans l'histoire. David Harbour (Hellboy, Stranger Things) a beau être un sympathique nounours sur le papier, son personnage n'en reste pas moins extraordinairement lourdingue et, surtout, parfaitement inutile et peu contrebalancé par son duo avec une Rachel Weisz trop peu présente pour réellement convaincre, même si elle a le mérite de servir à quelque chose.

Du côté des vétérans, le massif Ray Winstone s'avère infiniment plus convaincant dans le rôle du général Dreykov, méchant ici totalement calqué, physiquement et moralement sur le producteur Harvey Weinstein, exerçant son influence paternaliste et violente sur des jeunes femmes qu'il change en armes pour imposer un pouvoir invisible sur le monde, assis derrière le confort d'un grand bureau dans sa tour d'ivoire. Occasion d'un échange fabuleux et cathartique entre le militaire et Scarlett Johansson, comédienne très engagée dans le mouvement Time's Up contre le harcèlement sexuel dont Weinstein s'est rendu coupable et pour lequel il a été condamné. Une scène un peu transparente mais nonobstant très forte, concluant une série de face-à-face et d'échanges souvent touchants, en particulier ceux avec la "soeur" de Natasha, forcément amenée à prendre la relève dans les futures productions du MCU.

Reste le Taskmaster, méchant souvent secondaire des comics Marvel, dont le visage masqué dans le film a été le sujet de toutes les théories au cours de sa promotion, mais autour duquel tout est finalement très prévisible et les affrontements qui l'opposent à l'héroïne sont encore une fois souvent trop vite expédiés et pas très bien chorégraphiés – en tout cas  loin d'être à la hauteur des capacités au combat de la Veuve, à qui même les frères Russo sont parvenus à mieux rendre justice.

Le Taskmaster : un méchant décevant et secondaire.

Partir avec (trop peu) de panache

Le lecteur avisé des aventures de la Veuve Noire regrettera forcément que le film de Cate Shortland soit dépourvu de cette apprêté crasseuse typique des comics consacrés au personnage depuis l'avènement des mini-séries Marvel Knight, un "durcissement" qui aurait peut-être pu être partiellement envisageable si l'héroïne avait eu droit, comme la plupart de ses comparses masculins, à plusieurs aventures en solo pour étoffer son univers fait de violence et de coups fourrés (autant que Disney puisse envisager une chose pareille, cela va sans dire). En sus, la réalisation de Shortland, pourtant loin d'en être à son premier rodéo, demeure infiniment trop timide pour l'exercice casse-cou que représentait la mise en scène d'un personnage sans pouvoirs et avant tout porté sur le combat au corps à corps – on rêve de ce qu'aurait pu faire Luc Besson d'un sujet pareil à la grande époque, ou même la réalisatrice Chloé Zhao, en charge du film Les Eternels, avec ses éclairages naturels qui auraient bien mieux mis en valeur l'univers réaliste de Black Widow. Reste que ce film centré avant tout sur des rapports humains, un message social et féministe fort et un récit famélique en scènes d'actions n'est pas tout à fait à conseiller aux enfants et plus jeunes spectateurs qui risquent de s'ennuyer sec face au peu de perspectives d'amusement débridé qu'il a à proposer.

En lieu et place d'un blockbuster de super-héros classique, Black Widow s'avère être un film plutôt à part, un honnête divertissement à visionner de préférence juste après Civil War dans un marathon Marvel ou par souci de compléter la saga. Mais Natasha a ici montré une autre facette de sa personnalité, complétant parfaitement ses actions héroïques dans les autres films de la franchise. Et si elle n'est pas encore le dernier personnage de l'équipe initiale à nous dire au revoir, cette ultime aventure achève de forer un vide dans l'avenir du MCU, un vide que de nouveaux héros tels que Shang-Chi ou les Éternels (prévus pour septembre et novembre) ne seront peut-être pas en mesure de combler.

Nous voilà tous veufs.

Black Widow, actuellement au cinéma.

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