Les comic books actuels seraient trop woke. C'est en tout cas l'opinion de certains de leurs auteurs et d'une partie du lectorat américain. Pour "lutter" contre cela, de nouveaux titres voient le jour avec comme slogan publicitaire d'être "anti-woke". C'est le cas de Truth. Justice. American Way et d'Isom qui se positionnent comme des opposants à une soi-disant gauchisation des comics.

Popularisé par le mouvement Black Lives Matter, le terme de woke, qui signifie "éveillé", désigne des personnes conscientes des problèmes de justice sociale et de racisme. Politiquement rattaché à la gauche, ce terme est devenu péjoratif parmi la droite américaine (et par extension française) et qui vient indiquer un opposant qui voudrait, selon eux, imposer des changements sociétaux qu'ils réprouvent.

Pour une partie du lectorat de droite, le wokisme serait devenu trop présent au sein des comic books actuels, en particulier ceux des deux grands éditeurs. L'arrivée de Ms. Marvel, Moon Girl, Ironheart, Aqualad (Jackson Hyde), Kid Flash (Jess Chambers), le Captain America des Chemins de Fer, les coming outs de Iceman, Tim Drake, ou encore d'Harley Quinn et Poison Ivy ont donné l'impression que les auteurs et les éditeurs de Marvel et DC voulaient imposer au forceps l'intégration des minorités raciales ou sexuelles en faisant de la propagande dans leurs histoires. Point de mire récent de la fureur de ces lecteurs, la série Superman, Son of Kal-El de Tom Taylor et John Timms. En plus d'y aborder des sujets polémiques comme l'intégration des immigrants ou le réchauffement climatique, les auteurs ont décidés d'annoncer la bisexualité du fils de Superman, Jon Kent. Et cerise sur le gâteau, la transformation du célèbre slogan "Truth, Justice and American Way" (Vérité, Justice et mode de vie à l'américaine) en "Truth, Justice and a Better World" (Vérité, Justice et un Monde Meilleur) a achevé de courroucer les plus droitistes. Parmi eux, Gabe Eltaeb, le propre coloriste de la série, qui a décidé de prendre ses cliques et ses claques en octobre 2021.

Très vocal sur les raisons de son départ, Eltaeb n'a pas hésité à joindre le geste à la parole. Puisque les comics de super-héros ne sont plus aussi traditionalistes et américains qu'il le souhaite, le coloriste a lancé son propre titre, Truth. Justice. American Way, pied de nez ouvert à DC Comics. Conçu en collaboration avec le dessinateur David Williams et l'encreur Gary Martin, le roman graphique a été proposée sur la plate-forme Indiegogo, plate-forme de financement participative favorite du Comicsgate. Truth. Justice. American Way est un "retour à l'action classique des super-héros... il n'y a pas de wokisme, pas de propagande politique. Seulement les sensations de plaisir et d'excitation grâce auxquels nous sommes tous tombés amoureux des comics", clame Eltaeb. "Le wokisme est une réprobation de la créativité", ajoute-t-il même carrément.

Dans la foulée, un autre a proposé sa version du comic book idéal. Eric D. July, chanteur du groupe de rock metal BackWordz, podcasteur, youtuber, chroniqueur sur la chaîne conservatrice BlazeTV, se définit comme anarcho-capitaliste et surtout comme libertarien. Tout comme Steve Ditko, le co-créateur de Spider-Man, il se définit selon cette philosophie particulièrement individualiste et anti-étatiste fondée par Ayn Rand. Pour lui, l'industrie du divertissement a pour but de "bourrer le crâne des gens avec des sujets comme la justice sociale" et des programmes de gauche. Il a donc décidé de lancer, lui aussi, son propre comic book, Isom, qui reviendra à ce qu'il considère comme la formule traditionnelle du super-héros. Isom est dessiné par le dessinateur Cliff Richards (Buffy Vampire Slayer) et, oh surprise, colorisé par Gabe Eltaeb. Si July ne se définit pas comme anti-woke, il insiste pourtant pour se labeliser non woke. Comprenez qu'Isom ne parlera pas de politique et ne contiendra aucun personnage gay ou lesbien. Et si son personnage principal est noir de peau (comme July), ne comptez pas sur lui pour faire des revendications sur le racisme ou la justice sociale, mais plutôt pour porter l'étendard du virilisme héroïque et de la morale chrétienne puisqu'il porte en plus une croix à sa ceinture. Et ça marche ! Soutenue par des médias classés à droite comme Fox News, le New York Post ou encore Breitbart (média qui se définit comme le Huffington Post du conservatisme), la campagne de financement du premier roman graphique d'Isom a réuni plus de 3,5 millions de dollars de la part de plus de 40 000 contributeurs. Eric July est donc plus que conforté dans son souhait de créer un nouvel univers de super-héros, Rippaverse, qui mettra en scène de nouveaux héros selon son cœur.

Soyons honnêtes, des comic books écrits ou dessinés par des gens de droite, il y en a eu évidemment des palanquées. Bien heureusement, les éditeurs ne demandent pas de cartes de partis pour travailler sur leurs héros. En revanche, que l'appartenance à un bord politique devienne un argument de vente, voilà qui est plutôt nouveau. Comme le dit lui-même Gabe Eltaeb, depuis l'élection de Donald Trump en 2016, c'est un véritable schisme qui sépare maintenant la société américaine... et l'industrie des comics. Pour les conservateurs, une partie des auteurs et éditeurs de gauche "trahissent" l'idée qu'ils se font des BDs de super-héros. Selon eux, ils ne devraient être qu'un objet de divertissement, véhiculant cette fausse idée que les comic books devraient être apolitiques. À leurs yeux, les auteurs gauchistes signeraient la perte de l'industrie et seraient la source du recul des ventes des comics. C'est le fameux slogan populaire chez les conservateurs "Go Woke, Go Broke" (Sois éveillé, sois ruiné).

En réaction (normal pour des réactionnaires), ils ont donc décidé de créer des comic books qui correspondent à leurs vues et qui fédèrent ceux qui ont les mêmes idées. Est-ce seulement un effet de mode ou un signe que la société américaine se polarise de plus en plus ?

Couverture de Truth. Justice American Way par David Williams et Gary Martin.

Couverture alternative de Truth. Justice American Way par David Williams et Gary Martin.

Couverture alternative de Truth. Justice American Way par David Williams et Gary Martin.

Couverture d'Isom #1 par Ternion (Rippaverse)

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