Nous sommes en 2089, sur l’archipel de Los Angeles. Le monde a viré au chaos, l’eau des océans n’est plus potable et la population s’est embourbée dans une addiction à la technologie et au divertissement numérique de masse, si bien que les humains qui n’y ont pas encore succombé, les « no tech », sont la grande minorité.

C’est dans ce panorama pour le moins déprimant que Led Dent (l’alter-égo défoncé de Teddy Dennis) et Debbie Decay évoluent sous leur statut d’Agents, les hommes de main de la Flak Company, qui fait office de figure d’autorité dans cette ville du futur.

Voilà donc la proposition de Rick Remender, Sean Murphy et Matt Hollingsworth, qui dressent une critique d’une société toujours rivée sur ses écrans, une dystopie sur un avenir probable, donc, quoique poussé à son paroxysme. Il n’y est pas seulement question de dépendance, mais également de codépendance. Mais avant tout, ce qu’ils nous racontent à travers ce récit, c’est une histoire d’amour.

Auparavant parus en deux tomes, les dix chapitres de Tokyo Ghost sont ressortis dans une intégrale de 280 pages le 2 octobre dernier, probablement motivée par l’arrivée ultérieurement décalée du jeu vidéo Cyberpunk 2077. Mais on découvre au fil de la lecture que la pièce Tokyo Ghost a une deuxième face : celle des Jardins Préservés de Tokyo, antithèse de la super-cité technologique (et donc, pour transformer mon analogie vidéoludique, une plongée dans Ghost of Tsushima, sorti un peu plus tôt cette année).

Au bout de plusieurs rebondissements souvent peu prévisibles, le récit de Rick Remender se pare de façon plutôt subtile d’un sous-texte manichéen, opposant la technologie aux forces de la nature. On suit alors avidement le parcours du couple formé par Led/Teddy et Debbie et on se laisse emporter d’un bout de la planète à une autre en découvrant deux cultures et deux doctrines radicalement opposées à la manière du Dernier Samouraï.

Le livre en lui-même n’est pas exempt de défauts, malheureusement. Rick Remender expose son concept et l’histoire de ses personnages trop simplement et de façon trop concise. En résulte une logorrhée démesurément chargée qui endosse la seule charge de présenter les faits les uns après les autres, presque gratuitement. On regrette aussi le traitement réservé aux antagonistes, qui deviennent rapidement des clichés dignes de dessins animés pour enfants.

La partie graphique est, comme dit plus haut, assurée par Sean Murphy – plus connu pour son interprétation du justicier nocturne de DC Comics dans la saga du White Knight ou la pépite indé Punk Rock Jesus, sélectionnée parmi les rééditions anniversaire d’Urban Comics. Et l’artiste ne déçoit pas non plus ici, et son trait bien reconnaissable devient l’un des gros plus de cette série, secondé par les couleurs de Matt Hollingsworth – d’ailleurs sublimées dans un duo de double pages de process en fin d’ouvrage.

Cette republication en intégrale de Tokyo Ghost, accompagnée de la traduction de Benjamin Rivière et du lettrage de Moscow Eye, est donc trouvable chez tous les bons libraires de l’hexagone pour la somme de 23 € depuis le mois d’octobre.

Levez donc le nez de votre écran (surtout s’il est illuminé par les rues des Night City) et intéressez-vous plutôt à la version papier de l’univers cyberpunk – une version sans bug, pour changer.

Si vous avez encore soif d’histoires cybernétiques, nous vous conseillons fortement la lecture du roman Neuromancien, œuvre fondatrice du mouvement cyberpunk et de la science fiction moderne par William Gibson, récemment retraduite par Laurent Queyssi et publiée par les éditions du Diable Vauvert.

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