Le bouchon a été posé sur la première partie de The Nevers dimanche dernier et le moins que l'on puisse dire, c'est que le show événement de Joss Whedon sur HBO conclut son premier chapitre avec un brin de précipitation pandémique (qui ne lui est, certes, pas imputable) mais aussi une surprise... au mieux dépaysante. Vous êtes prêts ? C'est parti.
Attention, cet article contient des spoilers de l'épisode 6 de The Nevers. Ne pas lire plus si vous souhaitez conserver la surprise.
Mais où suis-je ?
Nous sommes dans le futur. Le monde est en guerre constante, les êtres humains sont réduits à peau de chagrin et divisés en deux factions : la Coalition de Défense Planétaire et les Affranchis. Les premiers semblent vouloir défendre le Galanthi, (un être au mieux extra-dimensionnel venu sur Terre pour nous protéger et nous accorder certains pouvoirs par le biais de "spores") tandis que les seconds semblent vouloir pulvériser tous ses semblables qu'ils jugent dangereux – ce qu'ils se sont déjà largement permis de faire. Au cœur d'un laboratoire où se repose le potentiel dernier Galanthi, un groupe de soldats armés de la Coalition est plongé en pleine mission. Parmi eux, une certaine Stripe (jouée par Claudia Black, héroïne de la série de SF culte Farscape), une femme désabusée et combattante émérite. Mais au milieu de toutes les informations qui nous sont présentées, les choses tournent mal et l'équipe est anéantie par un traitre et Stripe met fin à ses jours en buvant une solution spéciale... non sans que le Galanthi s'empare de son âme... pour la projeter dans le corps d'une femme du 19e siècle venant de se jeter dans la Tamise... Une certaine Molly True.
Que m'arrive-t-il ?
Le mot qui vous viendra probablement à l'esprit au début de cet épisode sera "quoi ?" suivi certainement par l'épouvantable impression d'avoir lancé la mauvaise série. C'est certain, Joss Whedon et ses équipes ont tout fait pour envoyer le spectateur sur les roses avec ce dernier épisode. Nous avions beau savoir dès le pilote que les événements de l'intrigue reposaient sur un vaisseau vraisemblablement d'origine extra-terrestre, il n'en reste pas moins que la rupture ici provoquée par cette première moitié d'épisode a tout de dérangeant tant nous changeons drastiquement d'univers.
Un monde froid de science-fiction et bourré de tellement de nouvelles informations à la seconde que l'on s'attendrait presque à voir le Doctor WHO débarquer de son Tardis pour tenter d'y mettre bon ordre. Si l'idée ne manque pas d'audace et nous fait longuement craindre un syndrome façon Le Village de Shyamalan (comprenez que tout ce qu'on a vu jusque là n'était qu'une simulation, ce qui ne semble pas être le cas et c'est tant mieux), force est d'admettre que cette rupture de ton et d'univers nous parachute sans le moindre repère (ou bien au compte-goutte le plus famélique) dans une toute nouvelle série, avec un lore presque neuf. Or, l'inconnu, c'est effrayant. Propos même de The Nevers, quelque part, non ?
Quoi qu'il en soit, nous retrouvons en seconde moitié d'épisode (qui, pour l'occasion, est fragmenté en chapitres) l'univers victorien et steampunk qui nous a tant plu – et qui, soyons francs, fait tout le charme de cette proposition télévisuelle. Pour plus de clarté, il est certain que ce sixième fragment de la série demandera probablement plus d'un visionnage afin de tout démêler. Soyez donc prévenus : il va falloir vous accrocher, car si la série étend clairement désormais son univers, la composante futuriste, cette fois franchement assumée, pourrait larguer certains spectateurs (et pourtant, comme précisé plus haut, cette composante était là dès le départ). D'ailleurs, à bien des égards, nous ne sommes pas bien loin d'une mythologie proche de la bande-dessinée Thorgal, où les origines du viking s'avèrent très vite être celles d'un homme venu de l'espace, mais qui n'ont jamais totalement enseveli l'univers d'époque de la saga. On ose espérer que cela restera le cas.
La vraie Amalia True
On s'en doutait, un patronyme aussi spécifique que True (vrai, honnête, authentique ou véritable en anglais) ne pouvait pas avoir été choisi au hasard, et c'est avec une certaine satisfaction que nous apprenons enfin les origines du personnage central et nébuleux de The Nevers, obtenant réponses aux questions qui nous taraudaient à son sujet depuis le tout premier épisode. Ainsi, Amalia True n'est tout simplement pas Amalia True, mais Stripe (de son vrai nom Zephyr Alexis Navine) dont la conscience a été projetée dans le passé et dans le corps d'une gentille boulangère de l'ère victorienne.
Nous assistons donc avec beaucoup d'émotion à ce qu'était la vie d'Amalia "Molly" True en 1896 avant que Stripe ne s'empare involontairement de son corps. Vivant une existence misérable faite d'un mariage malheureux, d'abus, de pauvreté, de dettes et de fausses couches, la discrète et éternelle victime qu'est Molly met fin à ses jours en se jetant dans la Tamise (comme nous le voyons dès le tout premier épisode) au moment exact où le Galanthi survole Londres afin de répandre ses "spores" sur la ville et de créer des Touchés aux pouvoirs étonnants (des pouvoirs que l'on apprend dans l'introduction n'être normalement pas distribués au hasard, contrairement aux mutations des X-Men, par exemple).
Aussitôt emmenée dans un hôpital psychiatrique, Amalia "Stripe" True détonne aussitôt parmi les autres pensionnaires. Vulgaire, combative, rebelle, dotée d'un fort accent, elle est l'antithèse de la bonne femme au foyer que l'ère victorienne a contribué à normaliser. Perdue et seule, Stripe ignore tout de la raison de sa présence à cette époque, ou des projets du Galanthi à son propos – ce qu'on imaginait être les parents d'Amalia dans les épisodes précédents, lorsqu'elle parlait d'avoir été "abandonnée sans consigne" à l'orphelinat, était en réalité le fait du Galanthi lui-même. Serait-il revenu dans le passé pour changer la donne en offrant aux victimes de cette époque réactionnaire les moyens d'empêcher la guerre qui va annihiler le futur de l'humanité ? Nous ne pouvons que spéculer. Toujours est-il que le tempérament hautement anachronique d'Amalia, ainsi que ses super capacités au combat (celle d'un soldat entraîné) s'expliquent désormais tout à fait.
Société malade
Tout comme s'expliquent ses rapports avec certains personnages comme Horatio, médecin dont elle deviendra l'amante, et Sarah, alias la future Maladie, une personne alors tout juste lunaire, sans dangerosité, et qui est la seule à se souvenir du passage du Galanthi au-dessus de la ville. Si ses pouvoirs ne nous apparaissent pas encore, son amitié avec Amalia nous est montrée dans plusieurs scénettes au cours desquelles Stripe / Amalia tente de dompter sa colère et d'apprendre à devenir une discrète représentante de la bonne société londonienne afin de se fondre dans la masse et d'aider au mieux les Touchés qui peuvent l'être. Un comportement qui va attirer l'attention de deux personnages en particulier : Lavinia Bidlow, venue la recruter pour intégrer son orphelinat, et le docteur Hogue, sirupeux individu ayant eu vent des capacités d'Amalia et Sarah. Pour se tirer d'affaire face à cet homme qui en sait trop, Amalia va "vendre" Sarah au savant fou qui, on s'en doute, va probablement s'en donner à cœur joie avec elle pour l'étudier jusqu'à la rendre folle et lui faire endosser la personnalité de Maladie - on ne va donc pas beaucoup en vouloir à cette dernière d'être un tout petit peu fâchée contre sa coturne de cellule.
"Nous sachons"
De retour au présent, nous découvrons (trop brièvement) la mission du groupe formé par Amalia dans l'épisode précédent pour "libérer" le Galanthi du repaire de Hogue. Notre héroïne est la seule à découvrir l'extra-terrestre et débute une intense confession à cœur ouvert, où elle se livre sur ses doutes, sur la mission qu'il semble lui avoir confiée, et sur l'identité de celle dont elle a pris le corps. Avant que les troupes de Hogue ne l'obligent à fuir (et sauvée in extremis par l'une des Touchées lobotomisées par le savant fou), Stripe est frappée par les flash back de la vie d'Amalia, ainsi que par une étrange vision du futur : celle de Myrtle (l'adolescente sauvée au début de la série, capable de parler plusieurs langues) portant une étrange tenue et lui révélant dans un anglais parfait que Stripe n'est peut-être pas la seule à avoir "entrepris ce voyage" et qu'il faut qu'elle l'oublie pour l'instant.
Le Galanthi parle-t-il en personne ? Quelqu'un est-il venu du futur dans le corps d'un Touché ? De Myrtle plus précisément, mais sans être capable de s'en souvenir ? S'agit-il d'un Affranchi, venu empêcher que l'avenir ne soit sauvé ? Pourquoi pas Hogue, du coup ? Ce qui expliquerait la raison pour laquelle il se trouve capable de créer des sbires androïdes très avancés. Toutes ces questions trouveront probablement réponses dans la seconde partie de saison, toujours pas tournée à cette heure.
Au cours de ce flash back, nous apprenons également une information de taille qui manquait cruellement à la cohésion des derniers épisodes : Amalia a bel et bien confié dès le départ à Horatio et Penance les origines de leurs pouvoirs et sa véritable identité. Depuis le début de la série, ces personnages savent donc pertinemment ce qu'est le Galanthi, les spores et connaissent l'existence du futur dévasté dont l'héroïne est originaire. Encore une indice, s'il y en avait besoin, que la série mérite un second visionnage avec toutes les informations en main – l'épisode se terminant sur la volonté d'Amalia de faire part de cette information à tous les Touchés, quels qu'ils soient.
Cette fragmentation de l'histoire est-elle un effet secondaire des conditions de tournage en période pandémique ? C'est possible. Whedon parvient-il à rattraper au moins un peu les quelques écueils narratifs de la série ? Certes oui, surtout à une heure où les timelines éclatées sont légion dans les séries télé et où ce rythme si particulier et débattu divise encore et toujours les spectateurs – le créateur de Buffy contre les vampires n'est pas script doctor pour rien. Reste que de nombreux pans d'intrigues sont toujours en suspens et une partie des personnages n'a pour l'heure pas de véritable raison d'être. On songe à Hugo Swann ou le roi des mendiants, qui n'ont encore eu aucune chance de tirer une carte de leur manche, à part celle de la causticité automatique; ou le passé énigmatique de Massen et de sa famille. Sans oublier l'alliance entre Hogue et Lavinia Bidlow, complètement laissée en suspens dans cet épisode, alors même que des rapports entre le scientifique et Maladie commencent à apparaître. Peut-être un coup de pas de chance au vu de la situation.
Bilan
Que retenir de The Nevers ? Que c'est une série au concept réjouissant, aux influences parfois un peu trop visibles, jusqu'à un final qui change tout à fait la donne, mais qui reste, l'un dans l'autre, extrêmement ambitieuse et dont on espère qu'elle ne sera pas limitée par les divers retours du public visé – qui n'est finalement pas si mainstream que cela. The Nevers, une série pour initiés à la belle culture de l'imaginaire, au point d'être peut-être un peu élitiste ? C'est possible. Survivra-t-elle au départ de Whedon ? On croise les doigts pour que cela soit le cas et qu'elle puisse toucher son public au point de lui accorder le statut culte, qu'en soit, elle revêt déjà forcément.
Les six épisodes de The Nevers sont disponibles sur la plateforme OCS en France.