On mate quoi ce soir ? Et bien chérie j’ai une surprise à te proposer ! J’ai dégoté un film russe de derrière les fagots. Alors sors la vodka et le caviar bélouga le tarama, ce soir on regarde Night Watch !

Le cinéma est plutôt bien achalandé en films trop attendus, pour autant de bides retentissants au box office. Non qu’on juge la qualité intrinsèque d’un film à la queue au guichet. Mais quand on dépasse la centaine de millions de budget pour n’en récupérer qu’une poignée, ça s’appelle un bide. Et il y en a quelques uns qui jalonnent l’histoire de la SF et du fantastique au cinéma, pas vrai Hironobu Sakaguchi ?

Le film que je vais évoquer n’est pas à ranger dans cette catégorie. Pas du tout même : dans son pays d’origine, la Russie, il a dépassé à sa sortie le Seigneur des Anneaux, rien que ça. Et cela avec un budget de seulement deux millions de dollars, ce qui en a fait pour ses financiers un bon petit placement de bon père de famille.

Un film russe ? Et pourquoi pas ! Depuis l’époque soviétique son cinéma a su produire des chefs d’œuvres, et aucun étudiant d’école de cinéma ne parle d’Eisenstein sans avoir des trémolos dans la voix. Dans le domaine de la SF, comment ne pas citer Solaris le magistral film contemplatif de Tarkovski. Ou chiant c’est selon votre ressenti, mais pas plus qu’un 2001, l’Odyssée de l’Espace, devant lequel je soupçonne beaucoup de s’être endormis. Oui, même toi au fond de la salle !

Epic from Russia

Revenons au sujet qui nous intéresse, enfin qui m’intéresse. En 2004 sortait Night Watch ou Notchnoï dozor sous son titre original, de Timour Bekmambetov. Tiré du roman éponyme de Sergueï Loukianenko, ce film fantastique devait être le premier d’une trilogie, qui n’est toujours pas achevée.

J’avais raté le film à sa sortie. Mais je me souvenais suffisamment de sa bande annonce. LA bande annonce, du genre qui te donne envie de sauter dans le premier avion direction Moscou pour aller voir le film. Ce teaser bordel, il te donnait l’impression que le film allait apporter un truc nouveau. Le genre de teaser qui fait saliver, sans trop te révéler l’intrique.



Night watch(2004)trailer

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Ce film m’était sorti de la tête. Il m’est revenu il y a peu comme un boomerang à retardement. « Tiens au fait, c’était quoi déjà le film avec le nom chelou russe qui avait l’air super génial ? »

Le film évoque  une histoire millénaire et tellement originale de la lutte entre, je vous le donne en mille, le bien et le mal. Dans les deux camps s’affrontent les autres des gugusses avec des pouvoirs spéciaux.

Leurs pouvoirs ? Franchement, j’ai pas tout panné. En gros, ça consiste dans le film à faire passer la caméra en slow motion, flinguer le travail d’étalonnage du film, se battre de manière foutraque et dégueulasse, brailler à se péter les cordes vocales, et voir les veines des gens en surimpression, entre deux flashback. Pouvoir utile au demeurant pour un russe, afin de savoir si on est apte à reprendre la route un lendemain de gueule de bois.

Parmi les autres, on trouve aussi un des bestiaires des plus prévisibles du fantastique, avec vampires, succubes, loups-garous, golem. Ne manquent plus que les punks à chien et la manif pour tous pour compléter la panoplie. Heureusement, le film n’introduira qu’un genre, roulement de tambours, effet de surprise : les vampires ! Une créature qui semble inspirer le père Timour, puisqu’il réalisera en 2012 Abraham Lincoln: Vampire Hunter.

On commence le film sur la bataille fondatrice entre les forces de l’Ombre et de la Lumière, genre jadis, il y a longtemps. Mais un jadis au rabais, ou les costumes auraient été fignolés par un accessoiriste éjecté de la prod du Seigneur des anneaux. Je sais que le budget n’est en aucun cas comparable, mais c’est pour parer à ce type de soucis qu’on a inventé les ellipses ou le hors champ.

Là ou las, la bataille vous est dégueulée plein champ. Coups d’épées dans tous les sens, giclées de sang. Ça bastonne, ça éviscère et ça braille, mais braille… Un leitmotiv qu’on retrouvera tout le long du film. Les deux armées étant de forces égales, les patrons sifflent la fin de la partie et suspendent les hostilités pour plusieurs millénaires.

Night Watch

T'as quelque chose à déclarer ?

Ombre ou lumière, entre les deux mon cœur erre

De cette bataille résulte une sorte de traité de Tordesillas du bien et du mal. Pour garantir la paix, les deux camps vont choisir des sentinelles : les Nightwatchers gardien de la Lumière et les Daywatchers, gardiens de l’ombre, pour se protéger et protéger les leurs de toutes les autres (putain ce nom…).

On arrive (enfin) au héros Anton qui arbore alors une superbe coiffure hommage à Mireille Mathieu. Celui-ci s’en va voir une babouchka stéréotypée, pour se venger de sa femme un chouia volage qui est enceinte, la femme pas la babouchka. Mais pas de lui présume-t’il.

Il s’avère que la vieille est une sorcière et qu’elle va tenter d’avorter la femme à distance avec des mouvements de mains façon vaudou. Ils semblent avoir de l’effet à, puisque la femme d’Anton est dans le même temps ballottée dans tous les sens sur une péniche à chaque mouvement, et hurle de douleur en se tenant le bide… Jusqu’à ce que la vieille soit arrêtée par une brigade de Nightwatchers à lunettes noires, dans un déluge d’effets spéciaux  disons, surprenants, qui foutent Anton sur le carreau. Une fois le procès verbal dûment rempli et la vieille vilipendé, les Forces de l'Ordre Nightwatchers apprennent à Anton qu’il est l’élu qu’il est des leurs.

Pas le temps de souffler : un flashforward nous envoie 12 ans plus tard. Anton a rejoint cette brigade de pré crime dont il est le fer de lance, l’épée, le cador des Nightwatchers, les gentils donc. Il a troqué sa coupe vintage contre un pardessus et des lunettes noire achetées au Barbès local.

Vous en êtes là à dix minutes de film seulement. Votre rétine dégouline et vos oreilles saignent encore des cris multiples de cette intro épileptique. Et ce n’est que le début… mais je ne vais pas vous raconter tout le film, on n’a pas accordé assez de caractères à cette chronique ! Je préfère vous spoiler la fin, ça vous fera gagner du temps.

Night Watch

La solution pour les idées qui te trottent dans la tête.

Le film va continuer sur sa lancée : à cent à l’heure pendant presque deux heures. Alors qu’un Vortex menace Moscou, Les Nightwatchers vont partir à la recherche d’un autre autre doté de pouvoir, genre encore plus fort que ceux que l’on a déjà vu, et qui s’avérera être le fils d’Anton, né de l'union finalement féconde avec la meuf volage du début. Le mioche choisira le coté obscur, pardon l’ombre, après un combat entre Anton et le chef de l’ombre, Zavulon, qui fait sortir son épée de sa colonne vertébrale et ne descend pas du manège enchanté, mais a des faux faux airs de Rutger Hauer et comme ce dernier déblatère des considérations philosophiques au héros sur un toit. Sauf que lui a la décence de ne pas se mettre en slip.

Night Watch

Tu la vois ma belle épée ?

End of story rendez vous au chapitre deux.

Ce second chapitre, se fera sans moi. Le film ne m’a donné qu’une seule envie, celle de lire les livres d’origine, afin de me faire une idée réelle de la richesse de cette histoire et de savoir si le goût de cendre qu’il m’a laissé provient de son traitement, ou de la faiblesse de l’univers d'où il est tiré. Car le film est un espoir déçu, et dès le début

Du Beethoven au kazoo

Démarrer par une bataille épique peut être casse gueule, surtout en pleine euphorie autour du Seigneur des Anneaux. Elle plante un décor bancal, comme si les premières mesures de la 5e de Beethoven avaient été jouées au kazoo. Et quand le combat culmine dans le grotesque, la perception du spectateur en est irrémédiablement affectée…

Cette impression collera aux basques des personnages tout le long du film, qui ne font pas grand chose pour s’en dépêtrer, forçant le trait avec un jeu caricatural. Les méchants sont méchants, et ils s’emploient à le montrer. Les hurlements sont amplifiés, comme une caricature d’une mauvaise pièce de théâtre russe. Et tous les autres se mettent au diapason : gueulons tous un bon coup bordel !

Niveau épique, l’histoire se rate aussi. En s’empêtrant dans une sorte d’enquête policière, elle fait perdre de vue les enjeux les plus majeurs de l’histoire : la fin du monde, tout de même. Le film alterne entre scènes d’actions survoltées, et moments plus calmes particulièrement dénués d’intérêt. Il laisse le spectateur sur un faux rythme. En presque deux heures de film, les enjeux de cette histoire sont survolés.

Regard occidental, contre regard slave

Pourtant, derrière cet enrobage foutraque, il y a des éléments qui laissent à penser que l’on n’était pas loin de beaucoup mieux. Si on s’extrait d’un mode de pensée occidental, ce film apporte des trouvailles qu’aucun blockbuster américain n’aurait été capable d’apporter.

La caméra s’attache aux personnages. En faisant le choix d’une caméra grand angle, et d’un étalonnage très vif, le film a une atmosphère radicalement différente des films américains. Le réalisateur apporte à son histoire une touche slave, bienvenue et rare dans la production fantastique. On retrouve cette touche également dans l’étalonnage. Les couleurs sont criardes et saturées, donnant aux images un contraste élevé qui tranche avec les flashback ou les passages en slow motion, où l’image changer de tonalité.

Filmés au plus près, les personnages deviennent plus humains. C’est particulièrement remarquable dans la matérialisation de leurs sécrétions : ça suinte. Anton le héros exsude une sueur épaisse qui perle de ses cheveux gras, coiffure non travaillée aux antipodes des productions occidentales.

Par son traitement des corps, le film rappelle ainsi que ses héros s’ils ont des pouvoirs, ne sont pas des surhommes pour autant. Pas de brushing calibré ici ; On offre pas aux spectateurs russes des modèles types, mais des personnages qui pourraient être réels.

La culture slave vous saute aux yeux, du fichu pour les cheveux des vieilles, aux joggings eighties, en passant par les pardessus gris façon KGB. Bon ce n’est pas non plus une réussite totale à ce niveau. Une fois que vous aurez reconnu Didier Bourdon dans les Trois frères lorsque les Nightwatcher mettent  leurs lunettes de soleil, vous ne pourrez vous défaire de cette image !

Night Watch

T'es sûr qu'ils avaient les trois télés ?

Quelques trouvailles visuelles sont aussi extrêmement immersives, rappelant des innovations vues dans le cinéma de Hong Kong. Comme lorsque l’on suit les pérégrinations d’un boulon tombé d’un avion, finissant par atterrir dans un mug, après être passé par un conduit d’évacuation grouillant de bestioles dégueulasses. Mug qui au passage est estampillé Nescafé, le réalisteur se payant ainsi le luxe de lâcher un glaviot symbolique sur son placement de produit, c'est classe !. Ou quand la légende de l’élu est déroulée façon folioscope dans la marge d’un livre, une séquence à vous faire passer la légende des Deadly Hallow de la première partie du film éponyme pour une pale copie.

Ce film a une âme, et son réalisateur propose une réalisation brillante par séquences. Mais son âme peine a atteindre celle du spectateur. Faire un film qui retient l’attention, qui suscite l’émotion, ne se limite pas à quelques trouvailles grandioses et des plans iconiques. C'est d'autant plus dommage, car on sent dans le travail du réalisateur, qui a débuté sa carrière en Ouzbekistan, des influences multiples. Slaves donc, mais également asiatiques qui lui permettent de proposer des idées parfois novatrices, et aussi de prendre des risques artistiques, ce que fond très très rarement les studios et les réalisateurs américains,  surtout quand il s'agit de parler de fantastique.

Mais si on retire l’habillage que je viens d’évoquer, l’histoire manque de richesse et semble piocher dans le réservoir classique du fantastique, ou l’on récupère aléatoirement des items pour construire une histoire qui tienne la route. La route elle la tient, mais elle casse pas trois briques à un jeu de construction. Et de cela, on peut en partie blâmer le scénario qui a été adapté du livre par Timur Bekmambetov lui-même, mais aussi le livre, qui n’est pas non plus totalement clair. Il a fallu tailler dans le gras pour faire un film de moins de deux heures, avec un budget rachitique, quitte à laisser l’épique un peu sur le flanc.

Nightwatch restera donc un espoir déçu, la promesse non tenue d’un renouveau épique, ou la mère patrie aurait d’un pavé scintillant étoilé le ciel formaté d’Hollywood. Raté, et c’est aussi ce que se sont dit les producteurs qui ont plié les gaules après le second opus, une fois leur excellent opération financière réalisée. Timur Bekmambetov lui s’est tiré vers les États-Unis et bataille depuis 2006 et la sortie du second film, pour pouvoir conclure la trilogie. Ses quelques succès à Hollywood peuvent lui faire miroiter la possibilité d’une dernière chance. Mais est-ce nécessaire ? Allez je vais me mater la suite Day Watch finalement, pour pouvoir en juger !

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