Après une errance sans fin (et sans faim ?), le Morbius des studios Sony débarque enfin sur les écrans après un véritable parcours du combattant. Pour quel résultat ? Le nouveau long-métrage de Daniel Espinosa (LIFE: origine inconnue) va-t-il relever le niveau des décevants Venom et devenir ce film de méchant de Spider-Man que l'on attendait avec, peut-être, une surprise multiverselle à la clé ?

"Si le film ne marche pas, nous aurons une excuse : c'est que nous aurons attendu trop longtemps (nda : pour sortir le film)." Jared Leto, Variety, mars 2022.

Eh bien, non mon cher Jared. Si le nouveau film de super-héros de chez Sony, inspiré du célèbre super-vilain apparu chez Marvel Comics en 1971 face à l'homme-araignée, ne devait pas remporter le succès escompté, c'est probablement pour une toute autre raison, bien plus prosaïque, celle-là : c'est qu'il n'est tout simplement pas bon. Ou pas top, à tout le moins. Une tendance plus ou moins confirmée par les résultats hautement discutables (sans parler de l'approche artistique) du précédent méfait des studios Sony, Venom: Let There Be Carnage dont la courte heure et demie de supplice résonne encore dans les longs corridors de l'inutilité gênante.

Toujours est-il que dès les premières bandes annonces, la perspective des aventures solo de Morbius n'avait pas enthousiasmé les foules, désormais hypées à la formule arachnide depuis le succès de Spider-Man: No Way Home et son multivers, tout juste titillées par l'apparition d'Adrian Toomes alias Le Vautour (Michael Keaton) venant confirmer une future nouvelle imbrication des univers Disney et Sony. Seul argument à même de motiver des spectateurs plus que jamais inondés par le divertissement super-héroïque, bloqués depuis un mois entre le succès retentissant de The Batman (toujours en cours d'exploitation durant la rédaction de cette critique) et cet étrange personnage de vampire inconnu du grand public. Mais qui est-il ce Morbius, au fait, normalement adversaire de Spider-Man et anti-héros notoire de la Maison des Idées depuis cinquante ans, maintenant ?

Michael Morbius (Jared Leto) est un hématologue de renom, détenteur du Prix Nobel et génie dans le domaine des maladies du sang, concepteur acclamé d'une hémoglobine de synthèse ayant révolutionné la médecine. Ironie du sort (et c'est peu de le dire), notre bon docteur est atteint depuis sa naissance d'une rare pathologie sanguine, potentiellement fatale et qui l'handicape lourdement. Mais grâce à un procédé de son invention, dérivé d'expériences sur des chauves-souris, Michael Morbius va tenter de se soigner en toute illégalité avec ce traitement expérimental, appuyé en cela par sa collègue Martine Bancroft (Adria Arjona). Mais dans la grande tradition de Marvel, l'expérience tourne mal et Morbius est changé en créature de la nuit, un vampire devant se sustenter régulièrement en sang, sous peine de perdre le contrôle et de s'en prendre à des innocents. Par chance, cette malédiction le rend aussi plus fort, plus résistant et le dote de super-pouvoirs bien pratiques tels qu'une force redoublée, une extrême agilité et la capacité de planer sur les courants d'air, le tout livré avec un sonar intégré. Des dons qui ne seront pas de trop pour affronter un adversaire qu'il connait bien, trop bien même : Lucian (Matt Smith), son meilleur ami et mécène atteint de l'exacte même pathologie.

Morbius... C'est bien toi ?

Dans une adaptation, la fidélité au comics n'est jamais qu'une donnée supplémentaire, partiellement indépendante de la qualité intrinsèque du film fini en termes techniques, d'écriture et d'interprétation. Ainsi, comme Venom l'a déjà fait en voulant singer la formule super-héroïque, Morbius fait plus ou moins fi de la nature profonde qui fit le succès du personnage dans les pages des comics : son statut de bad guy. Ou de méchant involontaire, en tout cas. Car Morbius est un adversaire relativement unique dans la galerie des méchants de Spider-Man. En effet, un peu à l'instar du Lézard (guère étonnant que ces deux personnages se croisent dès les débuts du vampire vivant dans les pages de la BD), il ne contrôle pas son pouvoir et doit donc boire du sang ou mourir. Cet appétit insatiable, Morbius le calme en tuant en moyenne une personne innocente par numéro, avant d'errer en pleurant sur sa condition maudite, regrettant l'horreur de ses actes. Un protagoniste plus proche de l'anti-héros donc, d'un incroyable Hulk gothique au physique malingre et au teint de cire. Oubliez tout cela... Si vous aurez droit à quelques rares gouttes de sang dans ce divertissement tout public, la dimension maudite de Morbius et son côté meurtrier n'occupent aucune place dans l'intrigue, ou si peu. Ce vampire-là est blanc comme neige, et encore, pas sur le plan physique.

Là où Morbius est dans la bande dessinée un personnage authentiquement monstrueux sur le plan physique, l'individu incarné ici par Jared Leto (avec beaucoup de justesse, par ailleurs) est éperdument lisse, capable de redevenir beau et présentable dès que sa soif de sang est rassasiée. Un argument "beau gosse" un peu regrettable, dicté par une logique un brin commerciale reléguant cette créature de la nuit au statut de super-héros classique et (relativement) propre sur lui – le genre d'approche que n'aurait jamais laissé passer un réalisateur tel que, disons, Guillermo Del Toro... Choix relativement dommageable quand on sait que le personnage a nourri tout un terreau horrifique chez Marvel, précédent même la série Tomb of Dracula sur le pur plan éditorial, premier pas d'un débordement de fantastique gothique chez l'éditeur dans les années 70, enfin libéré des contraintes du Comics Code Authority qui censurait les récits de bandes dessinées de l'époque. Vous vouliez de l'horreur avec Morbius ? Navré de vous décevoir, vous n'aurez qu'un film d'action standard, et on ne va pas se mentir.... c'était tout à fait à prévoir.

Le Pop Corn Movie par excellence

Voilà pour l'aspect fidélité à l'esprit du comics. Mais qu'en est-il du film en lui-même ? Force est de constater qu'au regard d'un Venom (encore lui, navré, mais les sources de comparaison sont maigres pour défendre le film d'Espinosa), Morbius a pour lui de prendre son sujet et ses personnages au sérieux, un fait rare dans le divertissement super-héroïque. Ainsi, à l'exception d'un duo d'enquêteurs inutile et mal assorti formé par Tyrese Gibson et Al Madrigual (incapable de l'ouvrir sans sortir une vanne à deux ronds qui ne prend littéralement jamais), le film est presque totalement dénué d'humour et son premier acte suivant un Michael Morbius diminué, de son enfance dans un centre médical grec jusqu'à sa métamorphose, est une très agréable entrée en matière, servi par une très jolie photographie. Malheureusement, c'est après que s'enchainent les poncifs de scénario et les archétypes de personnages, vus et revus, du love intetest justement sans intérêt que représente Martine Bancroft (incarnée par Adria Arjona et ici au moins personnage actif, contrairement à l'épouse éplorée et demoiselle en détresse basique des comics), jusqu'au mentor inutile et sacrifiable (Jared Harris venu encaisser un chèque contre dix minutes de temps d'écran) et en passant par le meilleur ami riche et cynique, fatalement amené à devenir ennemi juré – beau numéro de cabotinage par Matt Smith, ex-Doctor Who au rictus perpétuel qui prouve, après Last Night in Soho, que les rôles d'ordures lui vont décidément à merveille, bien que le script lui accole ici le mot traitre en travers du front dès sa première apparition. Au passage, les rares maquillages  bien que souvent salement retouchés en numérique) sont extrêmement réussis et si, comme nous le disions, le personnage-titre est bien trop souple par rapport à son modèle de papier, certains plans fugaces le mettant en scène donnent vraiment l'impression qu'il a tout droit été calqué sur le croquis d'une bande dessinée.

Le film propose tout de même quelques agréables tentatives de combats entre les deux frères ennemis, tel qu'une envolée dans un métro souterrain, ou même un affrontement final pas désagréable mais vite expédié. De véritables intentions de réalisation, où la caméra suit ces monstres en milieu urbain en tournoyant avec fluidité, mais toujours plus ou moins désamorcées par du numérique à outrance, entrecoupées de rebondissements cousus de fil blanc et que même le spectateur le moins aguerri saura anticiper avec plusieurs coups d'avance.

Cependant, Morbius se regarde sans réel déplaisir et on n'est jamais tenté, comme le personnage central le fait sans cesse pour contrôler ses crises, de consulter sa montre pour savoir quand le supplice s'arrêtera, car le film d'Espinosa n'a à l'évidence aucune ambition réelle autre que de proposer un divertissement basique à regarder en mangeant son pop corn, ce qu'il fournit de A à Z en cochant les petites cases du cahier des charges de Sony, comme un enfant bien trop sage.

Et Spider-Man dans tout ça ?

Il va de soi que la motivation sous jacente derrière une telle production n'est autre que de pérenniser la licence Spider-Man sur grand écran et de profiter des nouveaux atouts d'univers partagés proposés par le multivers établi dans le MCU – la plupart des gens qui iront voir Morbius ne se rendront en salles que dans l'espoir de voir des connexions s'établir entre les deux studios. Et si les scènes post-générique de Morbius sont bien présentes et ne constituent qu'une demi surprise au vu de ce qu'on a déjà vu dans les bandes annonces, elles ouvrent plus de questions qu'elles n'en résolvent et trahissent une démarche manifestement complètement improvisée de la part de Sony afin de ne pas se faire distancer par Disney et Marvel Studios.

Il reste toutefois bien triste que derrière ce manque d'ambition à peine déguisé, le sympathique divertissement qu'est Morbius ne se permette pas, au passage, d'aller plus loin que le simple postulat édicté par son étiquette. Il n'est qu'un blockbuster basique, classique, déjà vu. Un produit marketing doublé d'une innocente et honnête connerie à regarder entre potes un samedi soir pour s'amuser en rigolant de ses poncifs. Malgré la bonne tenue de son interprète central, le personnage de Morbius méritait bien mieux que ça, à l'image de ce logo mauve immonde qui le représente.

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