Batman a très récemment fêté ses 80 balais. Il a d’ailleurs marqué l’événement en publiant chez DC Comics le millième numéro de la série qui l’a vu naître, un numéro bien spécial puisqu’il ne compte pas moins de 96 pages. C’est aussi un numéro dans lequel s’enchaînent des équipes créatives ayant toutes plus ou moins façonné le mythe du Chevalier Noir, le temps de quelques histoires courtes d’une petite dizaine de pages chacune.
De belles réussites
Le fascicule s’ouvre sur le récit d’un duo bien connu de la chauve-souris : Scott Snyder et Greg Capullo. Batman’s longest case ramène notre héros à ses premiers pas en tant que détective. Une affaire non résolue qui, pour l’occasion, le mènera aux quatre coins du globe pour finalement le ramener au cœur même de Gotham. On attaque ce premier chapitre avec déjà quelques appréhensions. C’est une belle histoire, tant dans son idée que dans son exécution graphique, mais au bout de deux ou trois pages, on se demande déjà s’il ne s’agit pas d’une énième quête qui ne mènera notre héros nulle part. Mais heureusement pour nous, après bien des démonstrations de ses talents d’enquêteur, Batman tombe sur les instigateurs de cette véritable chasse au trésor… et ouvre la voie à de nouvelles aventures.
Vient ensuite Manufacture for Use, de Kevin Smith et Jim Lee, une belle histoire qui montre comment Bruce Wayne a tourné la page du meurtre de ses parents. Jim Lee nous gratifie de son style si reconnaissable et son découpage nous permet de revenir sur des décennies d’histoires et de combats contre le « bestiaire » de Gotham.
Paul Dini fait ensuite équipe avec Dustin Nguyen dans The Legend of Knute Brody. Une fois de plus, les personnages les plus emblématiques de la ville font leur apparition dans un style plus cartoony (qui correspond parfaitement à la narration de Paul Dini) et prennent la parole le temps d’expliquer leur relation avec un personnage nommé Knute Brody, apparemment impliqué dans de nombreux crimes. Ce n’est bien évidemment pas une histoire qui ajoute des éléments fondamentaux au mythe du Chevalier noir, mais elle amène un peu de légèreté dans ce monde de brutes. Et parfois, c’est ce qu’on aime voir.
...Et des plus mitigées
S’ensuit malheureusement une liste de récits qui, malgré de très belles parties graphiques, pêchent nettement plus au niveau scénaristique.
C'est le cas de The Batman’s Design, de Warren Ellis et Becky Cloonan. Si le trait de Becky Cloonan et les couleurs de Jordie Bellaire sont à saluer, Warren Ellis dépeint vraiment son personnage comme un « héros » cruel et inutilement méchant qui, à défaut de tuer ses adversaires, n’hésite pas à les blesser et en tire une sorte de satisfaction sadique. En résultent huit pages de violence (presque) gratuite et une conclusion beaucoup trop rapide à notre goût.
Le chapitre suivant, Return to Crime Alley, permet à Leslie Thompkins de revenir sur le devant de la scène. J’ai en tout cas été subjugué par les illustrations (surtout cette page où la silhouette de Batman plane au-dessus de la scène du meurtre de ses parents) de Steve Epting et Elizabeth Breitweiser, qui adoptent un style très ressemblant à celui de Sean Phillips (Kill or be Killed, Fondu au noir, Criminal…). Malheureusement, le scénario ne mérite pas vraiment que l’on s’attarde dessus. Le monologue de Leslie arrive évidemment trop tard et ne sert plus aucun but tandis que les bulles de notre octogénaire en deviennent presque ringardes.
Heretic allie un scénario de Christopher Priest aux géniaux dessins de Neal Adams (quoi que parfois un peu exagérés). Voir un Batman aux traits plus datés dans ce numéro spécial amène bizarrement un vent de fraîcheur sur ce magazine et on se surprend à se dire « Ah, enfin ! » (Notamment parce qu’il s’agit de Neal Adams). Côté scénario, difficile de savoir quoi en penser. Voir l’influence que Bruce a pu avoir sur ses camarades et compagnons d’entraînement pourrait être intéressant… Si l'on ne ressentait pas l'impression que cela aurait pu être mieux exploité et mieux exécuté.
Brian Michael Bendis et Alex Maleev signent un récit intitulé I Know (que vous pouvez lire dans sa totalité ici), qui place Bruce Wayne et Oswald Cobblepot dans une sorte de futur hypothétique dans lequel le Pingouin avoue à son pire ennemi qu’il sait depuis longtemps qui se cachait sous le masque. Et pour le coup, on en a pour son argent. Le style sombre et maussade de Maleev convient parfaitement aux flash-backs (et à la narration du Pingouin) et le scénario livre une sorte d’introspection dans la tête d’un des plus célèbres ennemis du Chevalier noir.
Le chapitre suivant, The Last Crime in Gotham, est probablement le moins réussi. Les dessins de Kelley Jones n’aident en rien à accrocher au scénario de Geoff Johns qui, pour le coup, sort de nulle part.
Avant dernier récit de ce numéro XXL, The Precedent (par James Tynion IV et Alvaro Martinez-Bueno) est une belle réussite liée à l’alliance du trait de Martinez-Bueno aux couleurs de Brad Anderson (la page où les grands vilains de Gotham surplombent Batman et Robin derrière les bâtiments de la ville est tout bonnement magnifique). On a une nouvelle fois affaire à un scénario qui revient sur les origines de Robin, mais supporté par les conseils d’Alfred. L’histoire se conclut sur un joli message tel qu’on n’en lit pas souvent dans les aventures de Batman.
Dans le même genre, Batman’s Greatest Case, la dernière histoire de ce Detective Comics #1000, est une production de Tom King, Tony S. Daniel et Joëlle Jones. Les dessins sont tout à fait corrects, malgré la mine plus que jamais renfrognée de Batman sur la double page qui fera ensuite office de photographie (c’est vrai, quoi, il pourrait faire un effort). Et si le scénario ne semble pas avoir de point de chute au départ, la dernière page agit comme une pièce de puzzle centrale qui donne un très joli sens à ce récit.
En somme, la lecture de ce numéro pourtant historique laisse un arrière-goût de mitigé. On en tire autant de bonnes choses que des moins bonnes. Beaucoup de petits éléments sont ajoutés au mythe du Chevalier noir, et tous partent d’une très bonne intention. En revanche, encore une fois, l’exécution pêche souvent. C’est également l’occasion de juxtaposer les (parfois très) différentes interprétations de Batman de tous ces auteurs et dessinateurs et d’en tirer ses propres leçons.