Alors que la collection Batman Mythology de Urban Comics continue à faire son petit bonhomme de chemin en librairie avec trois tomes parus, le label des ombres, Batman Arkham, entièrement consacré aux méchants de l'encapé de Gotham City, s'enorgueillit d'un second volume et pas des moindres.
En effet, après avoir retracé de manière plutôt concise et efficace le parcours éditorial de Double-Face, c'est au tour de l'empoisonneuse chérie de ces messieurs et mesdames, la belle Poison Ivy, d'obtenir son volume chez l'éditeur urbain. Le long de 330 pages de comics couvrant une période de quarante années de méfaits écologiques et autres envoûtements floraux, Urban Comics offre la possibilité à tout un chacun de découvrir cette emblématique antagoniste de l'homme chauve-souris de ses débuts jusqu'à des épisodes plus récents, témoignant d'une évolution souvent mésestimée et méconnue de la plus belle plante de l'écurie DC.
Ainsi, on désherbe les idées reçues autour de celle dont le véritable nom est Pamela Isley, apparue pour la première fois dans Batman #181 en 1966 (Kanigher / Moldoff) en tant que simple voleuse, sans réel pouvoir autre que celui de faire tourner la tête à ses adversaires, dont un Batman décidemment bien niais depuis le succès éclair de la série culte mettant en scène Adam West, diffusée alors depuis une poignée de mois. Un petit récit vintage en ouverture de ce volume qui permet ainsi de découvrir une version hautement embryonnaire de celle qui deviendrait avec le temps la fameuse éco-terroriste de Gotham, en réalité énormément popularisée par la série animée de Bruce Timm en 1992.
Ce qui n'empêche pas de publier en second lieu un épisode Secret Origins, scénarisé par ni plus ni moins que Neil Gaiman en 1989. Un historiette courte et intimiste où la vilaine soliloque sur ses troubles, témoignant de la psychologie perturbée d'Ivy qui souffre d'une fixette maladive (pour ne pas dire toxique) sur Batman, seul homme qu'elle semble alors considérer comme digne d'intérêt. Occasion aussi d'épouser la nouvelle tendance révolutionnaire de l'univers DC et d'établir post-infinite-crisis les origines (pour l'instant définitives) de Poison Ivy, victime des expériences de Jason Woodrue (alias l'Homme Floronique ), rendu célèbre par la série Swamp Thing d'Alan Moore (à redévorer chez Urban dans la collection Alan Moore présente Swamp Thing en trois volumes). La belle est alors officiellement capable de résister à tous les poisons et de posséder autrui via des phéromones spéciaux. Avant cela, Ivy, alors étudiante, avait été manipulée par son professeur de biologie qui l'avait empoisonnée, mais ayant survécu, elle devint une criminelle après avoir développé d'elle même la capacité de résister aux poisons. Une première origine qui, malheureusement, n'a pas été incluse dans ce recueil.
Double-numéro sorti après la série animée dans Legends of the Dark Knight #42 et #43 en 1993, la série Effet De Serre (Moore / Russell) est un récit psychologique (un terreau décidemment bien plus intéressant pour Ivy que des affrontement contre des plantes carnivores géantes) dans lequel la criminelle, loin de ses costumes de feuilles, est une jeune femme (en apparence) repentie du crime et manipulée par un couple de truands peu scrupuleux. Occasion idéale d'établir entre Batman et Ivy un lien extrêmement ténu, fait de respect, de crainte et d'empathie mutuels, une relation relativement unique qu'entretiennent ces deux adversaires par rapport à d'autres fêlés de la rogue gallery du super-héros.
Autre son de cloche pour la sympathique série origine Year One: Shadow of the Bat Annual #3 (1995) dans lequel on redécouvre le crime originel de Poison Ivy à Gotham City, à savoir une succession d'attaques en règles sur les privilégiés de la ville, qu'elle empoisonne à l'aide d'un virus fongique extrêmement violent. Ivy redevient alors une voleuse, doublée d'une femme fatale extrêmement dangereuse et d'une cheffe de gang sans scrupules, envoûtant et assassinant ses hommes de main selon son bon plaisir. Jamais Ivy ne fut dessinée d'une aussi sublime manière que par Brian Athrop qui nous offre en prime une somptueuse pleine page de baiser langoureux et tortueux entre Pamela et Bruce Wayne.
Le duo Athrop /John F. Moore retrouvera la belle deux ans plus tard sur la série Batman : Poison Ivy #1, contant comment la méchante (alors en mode Robinson du buisson) est chassée d'un paradis tropical napalm style par un industriel bobo proche de Wayne. Retrouvant son justaucorps de feuilles, l'Ève chassée de son jardin d'Éden développe dans cette histoire tous ses dons de botaniste de génie en s'entourant de diverses créatures mutantes dérivées de plantes, comme un félin et un oiseau végétaux. Bien que toujours parfaitement implacable, Ivy endosse de plus en plus un statut de victime et s'engage davantage dans la veine de l'éco terrorisme qui entraînera un statu quo moral autour du personnage dans les années à venir.
L'année 1997 marquant la s(ortie) au cinéma du controversé Batman et Robin, dans lequel Pamela Isley prend les traits de Uma Thurman, le personnage est l'objet de nombreuses attentions, y compris auprès d'un public plus jeune. D'où la publication des récits Fruit de la Passion (The Batman Chronicles #9) et Le Pari (Batman Gotham Knights #14, scénarisé par Paul Dini), deux petites histoires courtes sans grand intérêt si ce n'est amorcer le rapprochement aujourd'hui admis entre Ivy et le personnage d'Harley Quinn.
Avec l'arrivée du 21e siècle, Ivy commence à revêtir à intervalles réguliers une peau de couleur verte, en fonction des dessinateurs. Dans Batman Gotham Knights #15, le jeune Robin (Tim Drake) se retrouve confronté à la super méchante, verdie pour l'occasion, ce qui permettra au nouveau jeune prodige de se faire respecter de son mentor ailé en faisant face à l'une de ses plus dangereuses adversaires. Arrive ensuite le meilleur récit de ce recueil : L'ombre d'un doute (Batman /Poison Ivy : Cast Shadows #1). Scénarisé par Ann Nocenti (qui a fait les beaux jours de Daredevil dans un cycle culte), cette histoire à la fois sombre et intense, superbement mise en images par John Van Fleet, suit Ivy à Arkham aux prises avec un étrange psychologue avant de s'en prendre au propriétaire d'un gratte-ciel en devenir défigurant la vue qu'elle a de Gotham depuis sa cellule. Car les belles plantes ont besoin de soleil pour survivre, et Batman lui-même l'a bien compris.
Pour conclure, ce second volume s'achève sur deux récits : Déflorée (Joker's Asylum : Poison Ivy #1), sorte de petite vignette de 2001 contée par le clown prince du crime où une Ivy (ultra sexualisée par le dessinateur Guillem March) s'en prend à un homme qui défriche des terrains verts, suivi d'un nouveau Secret Origins de 2015 nommé La Justicière Verte dans lequel Pamela Isley, sous l'identité d'une femme de loi, punit un propriétaire terrien répandant des pesticides sur le terrain d'une fermière endettée, et à l'issue duquel elle endossera sa dernière tenue en date mêlant combinaison noire et feuilles de lierre.
Méchante plus contrastée que bien des adversaires de Batman, le personnage de Poison Ivy demeure aujourd'hui encore très méconnue du grand public qui ne la connait finalement que dans ses petites largeurs et ses mensurations majeures. Nous restons dans l'attente fébrile d'une adaptation prochaine du personnage sur grand ou petit écran (la série Gotham aura fait grand mal à la pauvre Ivy) afin que cette femme moins à condamner qu'à plaindre, mais toujours à craindre, soit redécouverte comme il se doit par le plus grand nombre. Et le jour où cela arrivera, ce volume sera là pour accueillir les curieuses et les curieux voulant se forger une main verte.
Batman Arkham : Poison Ivy est disponible en librairie pour 29 €, publié chez Urban Comics dans la collection DC Nemesis.