L'arrivée en fanfare du fameux Snyder Cut de Justice League met fin à l'un des drames les plus palpitants de la culture geek et de l'histoire de la licence cinématographique.

Comme les armées protectrices de la terre face aux légions de Darkseid, les fans de Superman, Batman, Wonder Woman et les autres personnages iconiques mis en scène dans ce que l'on nommait le DCEU ont fait front commun pendant des années sur les réseaux sociaux et dans les salons pour exiger à grands cris la version de l'histoire des héros DC telle que le réalisateur Zack Snyder l'avait débutée et envisagée avant que le décès prématuré de sa fille, et des impératifs foireux de la Warner, n'aient forcé la mise en chantier d'une version bâtarde du film, maladroitement pliée par Joss Whedon en 2017.

Accueilli comme le Messie, Snyder délivre enfin au monde sa version, son histoire, tout ce qu'il y avait à dire et plus encore dans un épique montage de quatre heures, scindé en six chapitres, où les super-héros repousseront la plus grande menace que la Terre ait jamais eu à affronter mais en troquant l'esprit de légèreté de la version de Whedon contre une tonalité plus adulte, intimiste et résolument centrée sur les personnages, leurs troubles et leurs places parmi nous. Et pour une fois, on remercie les fans pour une aussi intense mobilisation. Car l'attente a clairement été payante.

Le Snyder Cut, un film épique centré sur l'humain

Un film pour les fans

En premier lieu, que cela soit clair : ce Snyder Cut est un film majoritairement à destination des fans et si les films DC du bonhomme (Man of Steel et Batman V. Superman) ne vous avaient pas plus plu que cela, inutile de vous infliger ces quatre heures de visionnage qui vous paraitrons très probablement poussives et indigestes au possible. Justice League version 2021 est un objet qui se mérite. Le projet revient de loin (de très loin) et son existence est en tout point inédite au sein du paysage cinématographique mainstream. Ainsi, comptez facilement deux heures d'exposition à vous farcir, presque toujours centrées autour des principaux protagonistes de l'histoire, cette dernière restant en réalité basiquement la même.

La mort de Superman (Henry Cavill) – l'intense nouvelle introduction retrace avec brio les conséquences d'une telle disparition sur tous les personnages – envoie un signal aux forces du mal dirigées par le méchant Steppenwolf. En effet, la Terre n'est désormais plus sous la protection du kryptonien et les Boites-Mères conservées par les peuplades de la planète s'éveillent. Ces trois artefacts millénaires peuvent, une fois assemblées, paver la voie de l'invasion pour le grand bad guy en chef, l'éminent Darkseid, attendant son heure sur le monde d'Apokolips. Les Amazones, premières lignes de défense contre la menace, préviennent Diana Prince (Gal Gadot) des terribles événements qui se préparent pendant que Bruce Wayne (Ben Affleck) recherche d'autres méta-humains pour protéger la planète de sa destruction en devenir. Mais le duo peine à convaincre les candidats. En effet, Aquaman, Flash et Cyborg ont eux-mêmes leurs propres démons à combattre.

Le soin apporté aux lignes narratives de chaque protagoniste est l'un des plus importants ajouts du Snyder Cut. Soyons clairs, nous sommes en présence d'un film tout à fait différent de la version de Whedon (bien qu'il serait plus exact de parler de celle de la Warner). Les aspects les plus lourdingues (qui n'étaient pas non plus légion) ont tous été supprimés et aucun des ajouts de Whedon n'a été conservé. Barry Allen (Ezra Miler) est certes toujours léger et drôle à suivre, mais son implication et ses actions sont lourdes de sens et de responsabilité. Flash se blesse et craint son pouvoir aux possibilités quasi divines; Diana porte sur ses épaules non plus la pression d'être un visage iconique mais celui d'être porteuse d'une histoire et du courage de son peuple (Gal Gadot crève l'écran à chaque séquence de combat au corps à corps) ; Victor Stone (Ray Fisher), cœur émotionnel du récit et clé de voûte des événements du film, entraîne l'implication humaine du spectateur à chacune de ses apparitions et répliques sous les traits du tragique Cyborg ; Quant à Batman, son sens de la responsabilité et sa relation avec Alfred (Jeremy Irons) lui donnent encore plus de corps, de conviction et d'intensité au milieu d'une distribution aux pouvoirs dépassant l'entendement. Un roc au cœur d'une tempête. Reste Arthur Curry (Jason Momoa), Aquaman, qui reste malheureusement la pièce la moins essentielle et la moins bien rapportée de l'ensemble dans son rôle de comic relief monolithique et caustique sans grande incidence sur l'histoire – au contraire des Amazones, les Atlantes ne jouent en définitive pas de rôle bien déterminent dans Justice League, même s'il reste agréable de retrouver Mera (Amber Heard) et de découvrir Willem Dafoe dans un design inédit en prélude au film Aquaman, premier film DC à faire suite au montage de Whedon.

"Darkseid est." Certes, mais surtout, que deviendra-t-il ?

Un travail soigné mais sans nuance

La première moitié du film prendra donc soin de bien définir chaque personnage, ses origines, le rôle qu'il aura à jouer, tout en insistant bien au fur et à mesure sur un des thèmes essentiels de cette histoire : le rapport au père (ou à la mère en ce qui concerne Diana). Un enjeu émotionnel forcément de mise pour Snyder qui dédie son film, non sans provoquer une certaine émotion, à Autumn Snyder, sa fille disparue. La seconde moitié étant évidemment davantage portée sur le retour de l'Homme d'Acier, Superman himself, à nouveau ressuscité grâce aux pouvoirs cumulés de Flash et des Boîtes-Mères. L'arc de Clark ne change pas spécifiquement, si ce n'est pour une séquence d'importance, attendue par de nombreux fans, où le dernier fils de Krypton endossera son fameux costume noir, rendu célèbre dans le comic book The Death of Superman. Ce choix stylistique obéit aussi à une logique morale entourant le personnage (l'avis convergent de ses deux pères), mais aussi à un certain sens du fan-service, forcément prédominant dans ce montage, au point d'intégrer certains nouveaux personnages (comme Darkseid ou le Limier Martien) sans que leurs motivations ne soient clairement définies, ou bien grossies à l'extrême et sans nuance aucune.

En terme de nuance, difficile de ne pas reprocher au film certaines vulgarités bien crasses dans la mise en scène, à commencer par les fameux ralentis chers à Snyder, en particulier les combats entourant Wonder Woman (c'est simple, on pourrait lancer un jeu à boire chaque fois que l'Amazone est présentée en slow motion sur fond de musique du monde) ou bien des effets spéciaux pas toujours très finauds. Reste que certains effets visuels ont été brillamment revus, tels que le design complet de Steppenwolf, infiniment plus imposant et fouillé que précédemment (le méchant provoquerait presque de l'émotion lors de certaines scènes, où ses yeux brillent et sa moue se plie devant l'impossibilité pour lui de regagner Apokolips). Sans oublier la musique de Tom Holkenborg (Junkie XL) épique à souhait, à des lieux de la paresseuse composition de Danny Elfman pour le précédent montage, et citant avec allégresse les divers thèmes composés par et avec Hans Zimmer sur les autres films du DCEU – on frissonne encore de retrouver les thèmes relatifs à Superman, entre autre lors du combat final, ou encore l'usage de chansons très émouvantes, majoritairement portées sur des chants féminins exotiques, dont un fabuleux chant scandinave chanté par les femmes d'un village de pêcheurs désœuvrés à la gloire d'Aquaman, ou la chanson du générique de fin, une reprise du Hallelujah de Leonard Cohen par la chanteuse Allison Crowe.

Le film a eu, littéralement droit à son joker. Mais pour quelle mise finale ?

Et après ?

Certes, le film est long, très long, mais chaque chose y est à sa place. À ceci près que sa finalité est à double-tranchant. Ce Justice League 2021 laisse en effet la porte ouverte à de très nombreuses pistes laissées sans possibilités de résolution. Le moindre n'était pas la fameuse séquence du Knightmare, où Batman, en compagnie de quelques survivants d'une apocalypse provoquée par Superman himself, se tient à l'aube d'un plan visant à sauver l'univers ainsi détruit – en compagnie, entre autres, du Joker de Jared Leto, qui laisse sous-entendre des choses terribles concernant le décès de Robin entre deux rires d'asthmatique et des sourires façon Marilyn Manson. Ou quid de Lex Luthor (Jesse Heisenberg), évadé d'Arkham qui se lie d'amitié avec Deathstroke (Joe Manganiello), dans un but obscur ? Des événements qui auraient dû trouver leur conclusion dans deux films supplémentaires (dont les détails ont été récemment dévoilés) mais qui ont peu, très peu, de chance d'un jour se concrétiser. Voyez plutôt : Henry Cavill ne sera pas au générique du prochain reboot de Superman ; Ben Affleck, à demi viré par la Warner de sa propre version de Batman, n'éprouve plus d'intérêt à renfiler la cape ; Ray Fisher, après une longue croisade contre la Warner et les abus supposés de Joss Whedon sur le tournage de sa version, a été désavoué par le studio. Et si Wonder Woman et Aquaman ont leurs licences intactes, la frustration que provoque ce naufrage a peu de chance de trouver une résolution satisfaisante dans le film Flash, qui devrait en toute logique tripatouiller la timeline avec ses pouvoirs, potentielle manière de passer outre ces incohérences et pistes en suspens.

Mais franchement, pourquoi prendre la peine de les avancer dans ce cas ? Dans un vain espoir que la Warner, galvanisée par le succès en devenir du Snyder Cut, ne rende les pleins pouvoirs au réalisateur ? Force est de constater qu'après tant de déboires et au vu des pitchs récemment révélés autour des suites, on ne pourrait pas en vouloir au bonhomme d'être fatigué et de ne pas avoir envie de rempiler. Snyder a probablement fait son deuil des personnages DC ainsi unis, comme nous aurions dû également le faire, mais mis devant un tel album de photos souvenir, on ne peut s'empêcher d'espérer. Après tout, le "S" du plastron de Superman signifie "Espoir". Mais qui sait, peut-être a-t-il toujours signifié "Snyder" ?

Zack Snyder's Justice League est disponible depuis le 18 mars à l'achat digital pour 13.99 euros sur toutes vos plateformes vidéos habituelles.

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