Afin de préparer dignement les fêtes qui s’approchent à grand pas, la rédaction de Superpouvoir vous propose son calendrier de l’avent comics. Chaque jour, une petite pépite, un coup de cœur, une œuvre injustement ignorée vous sera dévoilée pour, pourquoi pas, l’ajouter au pied du sapin et surtout, étoffer votre culture comics.

Aujourd’hui, retour dans la sombre Amérique des années 70 avec MON AMI DAHMER, de Derf Backderf.

(image : © Derf Backderf)

 Un garçon pas comme les autres ?

États-Unis, dans les années 70, un lycée comme il en existe plein. Avec des élèves classiques, inscrits dans leur temps. Parmi eux, Derf Backderf. Ce n’est pas le plus intriguant de la bande, ni le plus intelligent ou le plus doué. Son rêve : de venir dessinateur professionnel. Dans le groupe, il y a quand-même un individu qui tranche : Jeffrey Dahmer. C’est vrai qu’il est bizarre Jeffrey, déjà il est solitaire, il n’a pas l’air très dégourdi et puis, il est très drôle lorsqu’il s’amuse à imiter les handicapés ! Jeffrey est tellement décalé qu’il va rapidement devenir la mascotte du lycée, en tout cas celle de Derf qui l’insère dans tous ses dessins et crée rapidement le fan-club de Jeffrey Dahmer. Jeffrey est-il un garçon en manque de reconnaissance, comme on l’est tous à cet âge-là ? Non. En réalité Jeffrey est un tueur en série, qui massacre des animaux et qui va bientôt passer à l’acte. Derf ne l’apprendra que bien plus tard, une fois sa carrière de cartoonist bien établie. Cela va bien évidemment interroger Derf sur son passé, ce qu’il aurait pu voir, ce qu’il n’a pas voulu voir et peut-être ce qu’il aurait pu éviter. Et c’est encore plus fascinant lorsqu’on sait que cette histoire est autobiographique !

Un récit difficile

Nous avons tous connu des « célébrités » au sien de notre lycée ou de notre faculté. On a toujours un voisin qui connaît un voisin qui connaît quelqu’un qui passe à la télé. C’est peut-être même quelqu’un dont on se moquait gentiment à l’école, que l’on prenait pour un illuminé, un gars bizarre qu’on ne côtoyait pas trop mais qu’on aimait bien quand-même. Que vous ayez suivi des cours avec un gars des marseillais à Pattaya ou que vous ayez flirté avec la nouvelle présentatrice du journal d’Arte, c’est rigolo comme anecdote et c’est toujours marrant dans une discussion. Mais imaginez un peu sortir au détour d’un repas entre amis, le soir du nouvel an : « Hé ! Vous saviez que j’étais ami avec un tueur en série qui a dépecé sa mère, et qu’à l’époque j’avais même crée un fan-club ? ». Forcément ça jette un froid. Et c’est une analyse sans concession de cette période que nous propose Derf Backderf dans cette autobiographie illustrée assez troublante. Le récit est intime, difficile mais ne sombre jamais dans la facilité. Sincèrement, on est happé dans une cascade de noirceur et l’on ressent les mêmes tourments que le narrateur, qui se demande à chaque coin de case s’il aurait dû voir quelque chose.

Des faits, des faits et rien que des faits

Le fait de donner une version personnelle du récit permet aussi d’éviter de nombreux écueils, comme celui du voyeurisme ou du gore pour rien. On reste dans les souvenirs et il n’y a que très peu d’images difficiles. Si noirceur il y a, elle se trouve dans le ton et dans la mise en page.
Après, les dessins restent quand-même très caractéristiques et donnent un ton cartonny/indé qui pourra ne pas plaire à tout le monde. En revanche, on ne peut contester une réelle volonté de représenter, au mieux, les évènements. Une autre bonne idée : Derf Backderf ne juge jamais Dahmer. Il ne lui donne pas un caractère sympathique, il ne le dénature absolument pas : il reste très objectif et cette volonté de ne pas forcer sa narration pour entrer dans une sorte de récit romancé ne rend Mon ami Dahmer que plus glaçant. Backderf essaye de comprendre et on sent bien que ce récit est tout simplement une catharsis, un moyen de partager ses doutes avec le lecteur. Une œuvre poignante dont vous ne ressortirez pas indemne. Pas très esprit de Noël, mais cela en vaut la peine.

Mon Ami Dahmer (My Friend Dahmer) est paru en 2013 aux Éditions Ça et là ; Points, collection Points Crimes.

(image : © Derf Backderf)

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