Dans le futur, une passerelle de Schwarzschild (en gros, un trou noir) s'est formée dans le ciel du Guatemala. De ce qui a été surnommé "El Desgarrón" (la déchirure) tombe régulièrement des monstres gigantesques à l'enveloppe quasi-indestructible, les Tetzas. Pour les vaincre, l'humanité a tout essayé sans succès. Décision a alors été prise de dissoudre toutes les nations pour collecter leurs ressources dans des corporations privées chargées de la création d'un rempart de 2 900 km autour de la déchirure, afin de contenir les Tetzas, et de la construction de robots géants pour les éliminer, les Iron Kings. Quatre-vingt seize ans après l'apparition d'El Desgarrón, la chasse aux Tetzas est devenue un spectacle retransmis à la télévision et les pilotes d'Iron Kings sont de véritables stars, adulées par la population. C'est le cas d'Anita Marr, considérée comme la meilleure d'entre tous. C'est pourquoi on lui confie les essais d'un tout nouveau I.K, Dawnrunner.
Une sortie monstre
Avec son scénariste très coté, Ram V (These Savage Shores, Toutes les morts de Laila Starr ou encore le récent Le Dernier Festin de Rubin) et son jeune dessinateur dont la notoriété n'a cessé de monter ces derniers mois, Evan Cagle (illustrateur des couvertures des Detective Comics écrit par Ram V justement), Dawnrunner apparaît comme le gros blockbuster comics de cette fin d'année pour l'éditeur Hi Comics (qui en propose deux versions, une régulière et une collector N&B avec plus de bonus – et un peu plus cher). Et il faut avouer que l'album démontre, durant une large part, que la hype autour de ses deux auteurs n'est pas déméritée. L'entrée en matière mettant en parallèle, à l'aube, la course matinale d'Anita et la première sortie à l'air libre de Dawnrunner (coureur de l'aube pour les non-anglophones) convainc d'emblée le lecteur qu'il est face à un duo d'exception.
Évacuons tout de suite l'éléphant au milieu de la pièce. Oui, Dawnrunner est une relecture à peine déguisée de Neon Genesis Evangelion et de Pacific Rim. Dans la catégorie mechas géants bourrant la gueule à des kaijus gigantesques, l'anime d'Hideaki Anno et le film de Guillermo Del Toro sont des classiques indépassables auxquels Dawnrunner n'essaie même pas de se mesurer, mais bien de se placer dans le sillage, créant une connivence directe avec le lecteur. Ram V n'a alors besoin que de quelques récitatifs rapides pour poser les bases de ce monde avant de démarrer son récit puisque chacun sait pourquoi il est là. Comme souvent, l'intérêt va alors être dans les variations. Ram V nous décrit un monde où l'économique a supplanté l'étatique, où les corporations gèrent la planète, faisant d'une guerre dévastatrice un spectacle et de ceux qui le mènent des stars autant que de véritables icônes publicitaires. Cette marchandisation du conflit est représentée par Andro Lestern, président de la Cordonware Corporation, qui sous ses airs de mec cool se baladant toujours pieds nus, est bien décidé à faire fructifier ses investissements. Et comprendre et communiquer avec les Tetzas ne fait clairement pas partie de ses plans au contraire du pauvre Murali Vasan qui tente désespérément de faire vivoter une maigre section linguistique pour tenter de percer le mystère des intentions des Tetzas.
Au milieu de cette guéguerre, Anita Marr semble complètement détachée, ignorant la foule de ses adorateurs tout comme la jalousie de ses collègues. Il faut dire qu'elle est plus préoccupée par la maladie de sa petite fille, mourante d'un virus apparemment importé par les Tetzas. Elle reçoit d'autant moins bien l'ordre de piloter le nouvel Iron King de Lestern. Pourtant, Dawnrunner va s'avérer particulier puisque pour améliorer sa réactivité, le robot géant a été couplé à l'esprit d'un véritable humain, un soldat mort durant une attaque de Tetzas, Ichiro Takeda. Bien vite, en se connectant au Dawnrunner, Anita va perdre pied et le contact avec la réalité.
Une mise en route exceptionnelle
On le voit, Ram V brasse d'entrée de jeu de nombreuses thématiques comme la société du spectacle, les problèmes de communication, le lien entre l'humain et l'artificiel, le deuil... Bref, au fil des pages, Dawnrunner affiche une ambition narrative extrêmement appréciable qui renvoie à la SF cyberpunk qu'on a pu voir dans les années 80-90, permettant de rajouter, par exemple, Ghost in the Shell à la liste des inspirations indéniables des deux auteurs. Car si le cyberpunk irrigue l'écriture de Ram V, il le fait tout autant pour le dessin d'Evan Cagle.
Soyons franc, Evan Cagle livre ici une prestation magistrale. Avec un style d'inspiration manga lorgnant justement du côté des maîtres du cyberpunk japonais, Katsuhiro Otomo (Akira) et Masamune Shirow (Ghost on the Shell, Appleseed), Cagle signe des pages de toute beauté, avec un grand soin apporté aux designs des personnages, mais aussi à un encrage qui travaille les matières notamment par l'usage de la trame. Technique très japonaise qui marche généralement mieux en noir et blanc, mais qui ne gène en rien le coloriste Dave Stewart (coloriste habituel de Mike Mignola notamment) qui s'en sort avec les honneurs durant les trois premiers chapitres du récit.
Une course épique qui s'essouffle juste avant l'arrivée
Hélas, on ne peut pas dire autant pour Francisco Segala qui signe la colorisation des deux derniers et opte pour une ambiance uniformément rouge pour la baston finale, choix qui ruine la lisibilité. Mais il n'est pas le seul en cause. Alors que V et Cagle faisaient monter crescendo les enjeux de leur histoire, voilà qu'ils s'emballent. L'arrivée d'un Tetza de taille hors norme n'est que le prétexte à une longue scène de baston où les péripéties se précipitent sans vraiment d'explications et où le découpage rend l'action complètement illisible. L'album se termine alors sur une pleine colonne de texte pour nous expliquer ce qu'il vient de se passer, ce qu'il arrive aux personnages ainsi que le pourquoi du comment (qui, en plus, semble contredire ce qu'on nous avait appris avant). Tout simplement un non-sens total en terme de narration graphique.
Il serait intéressant de demander aux auteurs ce qui s'est passé entre la maîtrise totale de leur sujet sur les quatre premiers numéros et un dernier épisode tout simplement bâclé, tant d'un point de vue narratif que graphique. Manque de temps ? L'envie d'en finir rapidement et de passer à autre chose ? Le constat est d'autant plus rageant que Dawnrunner, avec un peu plus d'épisodes, aurait eu la capacité d'être une grande œuvre de SF. En l'état, c'est un album d'une très grande qualité qui déploie le meilleur de deux auteurs d'exception, mais qui souffre d'une fin terriblement frustrante. Mais un album parfait à 85%, c'est quand même largement mieux que quasiment tout ce qu'on peut lire actuellement en comic book, non ?
Ram V et Evan Cagle vont se retrouver pour une nouvelle mouture des New Gods chez DC Comics. Voir ses deux artistes sur la cosmogonie de Jack Kirby donne furieusement envie. Pour peu qu'ils peaufinent quelques détails, et on l'aura peut-être notre chef d'œuvre de science-fiction !
De Ram V et Evan Cagle
Traduit par Maxime Le Dain
30/10/2024 – Cartonné – 168 pages – 24,95€
Acheter sur : Amazon – FNAC – Cultura – Bubble
Un portail s'est ouvert il y a un siècle en Amérique centrale, laissant pénétrer dans le monde des monstres géants, les Tetzas. Anita Marr, la meilleure pilote d'Iron Kings, des robots géants capables d'affronter ces créatures, voit sa vie basculer lorsqu'il lui est proposé de tester un nouveau prototype révolutionnaire.
Contient : Dawnrunner (Dark Horse, 2023) #1-5
De Ram V et Evan Cagle
Traduit par Maxime Le Dain
30/10/2024 – Cartonné – 208 pages – 49,95€
Acheter sur : Amazon – FNAC – Cultura – Bubble
Un portail s'est ouvert il y a un siècle en Amérique centrale, laissant pénétrer dans le monde des monstres géants, les Tetzas. Anita Marr, la meilleure pilote d'Iron Kings, des robots géants capables d'affronter ces créatures, voit sa vie basculer lorsqu'il lui est proposé de tester un nouveau prototype révolutionnaire.
Contient : Dawnrunner (Dark Horse, 2023) #1-5