Après l’annonce de la prochaine série animée DC, Urban Comics nous propose de redécouvrir les aventures du monstre de Frankenstein version DC Comics dans une série en deux tomes dont l’ambiance est très proche de celle de Hellboy ! Au menu, de superbes dessins signés Doug Mahnke et Alberto Ponticelli et des histoires écrites par Jeff Lemire et Grant Morrison. Un volume de qualité malgré les épisodes assez obscurs signés Morrison. Amateurs de récits surnaturels et de créatures imposantes, ce volume est fait pour vous !
La créature de Frankenstein n’est pas un personnage récent de l’univers DC. Elle a en effet vu le jour dans les années 40 dans les pages de Detective Comics avant d’être rarement utilisée dans les décennies suivantes. Il faudra attendre 2005 pour que l’écossais Grant Morrison revampe la créature avec l’aide de Doug Mahnke lors de l’évènement Seven Soldiers. Cette réinvention a donné lieu à une série régulière six ans plus tard lors du New52 qui a relancé toutes les séries DC.
Mais cette fois-ci, c’est Jeff Lemire (qui était très en vogue à l’époque du New52 et surtout très relié aux séries horrifiques de l’éditeur) et Alberto Ponticelli (dessinateur de l’incroyable Unknown Soldier) qui reprennent, pour le meilleur, les rênes du personnage en prolongeant les idées de Morrison et en lorgnant sans aucune ambigüité possible vers le Mignola-Verse. Si les quatre épisodes de Morrison ont déjà été publiés en France, les aventures de Frankenstein version Lemire sont en revanche totalement inédites en VF.
Si on peut comprendre l’idée de publier les premières apparitions de ce nouveau Frankenstein version Grant Morrison, ce n’était pas la solution la plus accessible. En effet, Frankenstein est une série affiliée au crossover Seven Soldiers où Morrison s’était mis en tête de relancer des personnages obscurs du DC Universe en proposant des mini-séries qui seraient toutes liées entre elle mais soi-disant indépendantes. Bref, un puzzle dont seul le scénariste possède le secret.
Et franchement, la relecture est totalement imbitable. Si l’action est limpide, les ennemis et la trame générale sont totalement obscurs, à tel point qu’on se demande ce qu’il se passe. D’ailleurs, est-ce que Morrison était lui-même conscient de ce qu’il écrivait ? Je crois que même lui ne le sait pas. Cela permet néanmoins de nous introduire à la nouvelle version du monstre et aux personnages secondaires de la série, comme cette agence spécialisée dans les créatures et autres événements surnaturels (le SHADE) ou bien l’ex-femme du monstre de Frankenstein. En revanche, les origines du monstre dans cette version restent floues et peu détaillées. Ces quatre épisodes introductifs ne sont pas le point d’accès le plus simple.
Cependant, les dessins de Doug Mahnke sont tout simplement extraordinaires. Réalisées avant que l’on ne demande à l’artiste de gommer les aspérités de son style pour le rendre plus grand public, les planches du dessinateur sont très sombres, très détaillées et avec un style inimitable. Il faut dire que c’est aussi lui qui encre ses propres crayonnés et cela se sent. Il y a une puissance dans les compositions de Mahnke qui est extrêmement forte et qui relève le scénario totalement obscur de Morrison. Après ces quatre épisodes introductifs (qu’il est largement possible de survoler sans être perdu par la suite), on arrive à mon sens au cœur du volume : le Frankenstein Agent of SHADE du New52.
Et là, c’est nettement plus lisible. Pour clarifier immédiatement les choses, ce n’est pas le meilleur de Jeff Lemire, qui n’a jamais été aussi à l’aise que sur des séries indépendantes de plus petit calibre (Sweet Tooth, Trillium). Mais contrairement à Morrison, Lemire sait produire une histoire compréhensible et assez linéaire, qui va ici directement à l’essentiel. Nous avons donc ce monstre qui officie pour une agence obscure chargée de surveiller et combattre les évènements paranormaux et qui est accompagné de créatures bizarres et monstrueuses dans sa mission. Cela vous semble proche du concept de Hellboy et du BPRD ? Eh bien, vous avez raison.
Clairement, ce Frankenstein Agent of SHADE navigue exactement dans les mêmes eaux, le côte gothique en moins. Ce qui ne veut pas dire que c’est mauvais, loin de là. Lemire nous propose des aventures plutôt agréables à suivre, quoique pas très originales (un portail dimensionnel à refermer, des attaques de monstres) mais c’est plutôt bien exécuté et en quelques épisodes, Lemire parvient à rendre les personnages secondaires intéressants et attachants. Notamment l’ex-femme du monstre ou bien cette scientifique amphibie.
Mais là où Frankenstein Agent of SHADE fonctionne parfaitement, c’est surtout sa partie graphique. On ne dira jamais assez à quel point Alberto Ponticelli est un immense dessinateur. Et il le prouve une fois de plus avec des compositions saisissantes de monstres de la taille d’une ville ou de bagarres comptant des milliers de créatures. Il y a beaucoup de similitudes avec les dessins de Doug Mahnke dans cette volonté de réaliser des planches hors norme qui en jettent plein la figure, mais le style et le trait sont très différents. Ponticelli livre son meilleur travail et s’encre lui aussi tout seul. Sauf pour le dernier épisode où l’apport de Walden Wong à l’encrage affadit terriblement le style de Ponticelli. Les couleurs du maître Jose Villarrubia sont aussi un atout incontestable !
De fait, Frankenstein Agent of SHADE s’impose comme une série très intéressante, avec des idées et des personnages qui me font beaucoup penser à ce que le scénariste pourra livrer quelques années plus tard dans la série Black Hammer.
Creature Commandos présente Frankenstein, traduit par Benjamin Rivière (Studios MAKMA), disponible depuis le 4 octobre 2024 chez Urban Comics, 256 pages, 25 euros.