Afin de préparer dignement les fêtes qui s’approchent à grand pas, la rédaction de Superpouvoir vous propose son calendrier de l’avent comics. Chaque jour, une petite pépite, un coup de cœur, une œuvre injustement ignorée vous sera dévoilée pour, pourquoi pas, l’ajouter au pied du sapin et surtout, étoffer votre culture comics.
Et une fois n’est pas coutume, nous allons vous parler non pas d’un comics, mais d’une bande dessinée française. Qui n’a pas de rapport avec les super-héros ni de près ni de loin, mais qui a été une des sensations de l’année précédente CARBONE ET SILICIUM de Mathieu Bablet.
Deux êtres synthétiques que tout oppose ?
Cet album suit le destin de deux intelligences artificielles de nouvelle génération, Carbone et Silicium. Ces deux êtres synthétiques sont tellement perfectionnés qu’ils transcendent de par leur existence même la barrière entre humains et machines. Car ces deux êtres possèdent des sentiments, des envies, des désirs à satisfaire. Durant près de 300 ans, le lecteur va suivre leur parcours, leurs défaites, leurs errements métaphysiques tout en observant, via leur regard, le déclin du monde matériel.
Une histoire en trompe l’œil
Ce qui est très fort dans ce récit, c’est que l’auteur Mathieu Bablet utilise les intelligences artificielles et les machines pour poser non pas un constat sur l’avenir du transhumanisme, mais tout simplement sur le déclin de l’humanité. En effet, Carbone et Silicium servent d’œil neutre, de vision candide autour de laquelle se déroulent les pires crises de la société. En trois siècles, Mathieu Bablet a le temps de faire littéralement le tour du monde pour nous montrer tous les défauts et toutes les errances de l’âme humaine. Pandémies, chute des systèmes économiques, l’avenir est sombre et pas vraiment réjouissant. Et surtout très solitaire.
Tristesse et contemplation
Car la solitude est le sentiment qui prédomine à la lecture de Carbone et Silicium. Solitude des êtres humains, que le futur et le développement technologique a encore conduit à plus d’individualisme. Solitude de ces deux machines, qui sont différentes des autres et donc toujours en décalage par rapport aux attentes, à un monde dans lequel ils n’ont pas leur place. Même lorsque les deux sont ensemble, ils agissent séparément. Carbone et Silicium, de par leurs aventures, sont la représentation fidèle du repli sur soi involontaire et pourtant si humain. La mise en page et le scénario renforcent cette impression. C’est lent, contemplatif et c’est une qualité pour ce récit qui se veut avant tout une réflexion intérieure. À travers les choix de Carbone et Silicium se pose la question du choix toujours difficile entre le collectivisme et le repli sur soi. Et c’est une question à laquelle il faut bien 300 ans pour répondre.
Une mise en image soignée
Ce qui impressionne au premier abord, ce sont les dessins hyper-détaillés de Mathieu Bablet. Ce dernier compose des décors absolument magnifiques, foisonnants et particulièrement impressionnants. Ce réalisme cru tranche singulièrement avec les représentations des personnages humains, beaucoup plus fantaisistes. Il s’agit bien évidemment de mettre ici une opposition entre la personne organique et son environnement. Pour représenter les errements intérieurs de nos deux personnages, Mathieu Bablet utilise de plus des colorisations très singulières, très opposées, souvent en négatif, ce qui permet non seulement de donner des planches absolument magnifiques mais de renforcer aussi la singularité de sa bande dessinée.
Cruel constat sur le monde qui nous entoure et ses possibles dérives ; Carbone et Silicium est une bande dessinée impressionnante, qui derrière une intrigue technologique questionne en réalité la pertinence de l’humanité. À lire assurément.
Carbone & Silicium est une bande dessinée de Mathieu Bablet (300 pages, grand format) paru en France en 2020 aux éditions Ankama.