Barbie : le film, réalisé par Greta Gerwig et interprété par Margot Robbie et Ryan Gosling, vient de réaliser l’un des meilleurs démarrages de cet été. Et c’est loin d’être une surprise. Car même si le message du film pourra en rebuter quelques-uns, Barbie, avec son casting et son traitement au-delà du second degré, semble être la véritable curiosité de cette saison. Le résultat ? Un film en demi-teinte, parfois subtil et parfois franchement ridicule. S’il fait de temps en temps mouche, Barbie manque toutefois de cohérence et ne va pas assez loin.

(© Warner Bros)

Une annonce surprenante

Comme tout le monde, j’avais été plutôt interloqué à l’annonce du film par la production et les auteurs qui lui étaient associés. Parce qu’un film sur l’icône de Mattel réalisé par Greta Gerwig, chantre du cinéma indépendant américain avec Les Quatre Filles du Dr March ou le très sous-estimé Ladybird, cela paraît quand même très antinomique. Le trailer qui reprenait l’entrée de 2001 Odyssée de l’espace laissait présager sans ambigüité un grand moment de second degré. Et un positionnement fort.

Au fil du temps, j’ai toutefois commencé à avoir des craintes. Parce que si l’on y réfléchit un peu, l’histoire de la poupée Barbie, c’est un ensemble de contradictions fortes depuis sa création. Tout d’abord vendue comme un modèle d’émancipation pour les jeunes filles (c’était à l’époque les seules poupées qui donnaient un message positif et qui ne les restreignaient pas à uniquement être une femme au foyer), Barbie s’est transformée au fil des années en symbole de la femme parfaite, du modèle inatteignable et du capitalisme à outrance. Un film Barbie socialement revendicatif pouvait donc explorer énormément de pistes narratives aussi pertinentes les unes que les autres. Et de fait, il y avait une certaine possibilité que le film se perde dans son discours.

Et puis toute la gargantuesque promotion autour du film commençait à rendre difficile le fait de vendre Barbie comme une critique du monde capitaliste. Je rappelle qu’on peut, en allant voir le film, acheter des Barbies à la caisse du cinéma ou que de nombreuses avant-premières mettant les jouets Mattel en avant ont eu lieu à travers le monde entier ! Pas vraiment anti-consumériste de fait. J’aimerais bien savoir ce que Greta Gerwig pense de cette promo. Gerwig est accompagnée au scénario de Noah Baumbach. Pour ceux qui ne connaitraient pas, il s’agit du sémillant scénariste de La Vie Aquatique de Steve Zissou, Fantastic Mister Fox et le réalisateur du soporifique Marriage Story, film très new-yorkais avec Adam Driver et Scarlet Johansson. On pouvait donc s’attendre à un second degré à la Wes Anderson mélangé à une sorte d’intellectualisation à la Woody Allen. Et donc quelque chose qui allait soit être extrêmement brillant, soit très pompeux. En tout cas, absolument pas un film pour les enfants de moins de 12 ans. Barbie était donc un mystère. Ce qui explique aussi l’engouement des spectateurs dès le départ. Et le mien !

Et on va répondre tout de suite : si le film possède des qualités, il n’est pas non plus une réussite incontestable. Et d’entrée je me retrouve face à une arnaque !

Est ce que Ken veut Barbie ou est-ce que Barbie veut Ken ? (© Warner Bros)

Apôtre de Zack Snyder ou supporter de Sandrine Rousseau ?

Bien évidemment, avec un personnage et un film pareil, le message féministe et anti-patriarcal de l’œuvre ne faisait aucun doute. Ce qui n’est pas un problème, on va quand même le préciser d’entrée au cas où. Mais quand même un peu. En effet, j’avais déjà peur de ma future critique avant d’aller voir le film. Parce que finalement, si je n’aimais pas Barbie, est-ce que je n’allais pas être réduit à un masculinisme primaire par des extrémistes de tout poil ? Ou au contraire être défendu par des virilistes pur jus fans de la Snyder Cut (ce n’est pas une de mes vannes, c’est le film qui le dit) dont je ne me sens absolument pas proche du tout.

C’est un peu là le piège de ce film. L’aimer ou pas, c’est tout d’abord s’attirer les foudres des plus intégristes d’un camp comme de l’autre.

Et comme on est sur Internet, forcément, on se doute bien que la subtilité ne sera pas de mise. De par son message, le film Barbie et le fait que vous l’ayez aimé ou pas va de fait immédiatement vous catégoriser dans le camp du bien ou pas. Désolé, je ne vois pas les choses de cette manière. Il va donc falloir faire preuve de pédagogie tout en demandant aux lecteurs de faire montre d’un peu de recul. Parce que, je le redis, les points positifs de Barbie n’en font toutefois pas un bon film, plombé non pas par son message ni même par sa virulence, mais tout simplement par son traitement très limité.

Une référence à 2001 odyssée de l'espace qui place immédiatement le film comme une parodie méta. (© Warner Bros)

Le pitch en quelques lignes

Barbie et ses amis vivent dans le Monde enchanté de Barbieland, persuadés d’avoir participé à l’émancipation des jeunes filles à travers le monde. Sauf que voilà, d’un coup, Barbie commence à avoir des pensées de mort. Il lui faudra aller dans le monde réel et confronter sa propriétaire pour changer les choses.

Une réalisation trop sage qui amoindrit une production quasi-parfaite

Sans aucune contestation, la production et les décors sont l’atout majeur du film. Surtout lorsqu’on se retrouve dans le monde de Barbie. Les maisons sont incroyables, totalement fidèles aux jouets (c’est-à-dire sans aucune logique) de même que les costumes et les accessoires, qui ne sont pas des artifices numériques. D’ailleurs la construction des décors a créé une pénurie mondiale de peinture rose ! Les efforts réalisés au niveau des costumes et des références raviront sans aucun doute les fans de la poupée. Je n’ai pas été gêné par les effets spéciaux, forcément un peu ringards pour rester dans l’imagerie du film. Il n’y a rien à dire, c’est une grande réussite.

En revanche, si niveau décors et costumes nous sommes dans le sans-faute, Barbie n’évite pas l’écueil d’une réalisation assez plate. En effet, jamais Greta Gerwig n’arrive à insuffler dans sa réalisation, très sage, la folie de ses personnages. Si cela passe assez inaperçu lors de la première partie du film car l’œil du spectateur est totalement noyé dans le déluge de couleurs et de fantaisie, cela se voit énormément lorsque Barbie et ses amis se retrouvent dans le monde réel. Où il ne se passe strictement rien.

Et c’est le problème : on aurait pu attendre un véritable choc des images lorsque Barbie arrive dans notre monde, il n’en est rien. Car le fait de vouloir à tout prix faire du second degré et de la dénonciation cynique rend ce monde réaliste totalement ridicule et de fait, semblable à celui de Barbie. Toutes les réactions des êtres humains sont exagérées, ridiculisées et caricaturées à l’extrême, attenuant la différence entre Barbieland et notre monde. Surtout qu’il n’était pas nécessaire de ridiculiser le comportement des employés de Mattel pour montrer leur toxicité. Rester réaliste aurait été, à mon sens, beaucoup plus pertinent. De fait, le président de Mattel ressemble plus à une Barbie que Barbie elle-même. Et le contraste n’existe plus. Le kitsch prend tellement de place que sur la fin (la fameuse bataille à Barbieland) le spectateur n’en peut tout simplement plus. En toute honnêteté, en regardant les Ken se battre à coup de flèches en plastique, je me suis demandé si d’un coup, Barbie ne rentrait pas dans la catégorie du navet. Uniquement à cause de cette scène de bagarre, ratée et en toute fin de film.

Une production et des décors ahurissants !
(© Warner Bros)

Une subversivité qui... reste dans le cadre !

C’est le reproche majeur que je fais au film. Qui n’a strictement aucun scrupule à frapper à coups de massue et sans restriction sur la masculinité toxique tout en dédouanant ou en atténuant les agissements de Mattel. Barbie comme modèle trop parfait et par conséquent normatif et assez inhibiteur dans l’évolution des jeunes filles ? C’est abordé uniquement par une adolescente, qui sera réduite rapidement au silence. Mattel prête à tout pour se faire de l’argent ? Une vanne ou deux mais ça ne va pas plus loin.

Et de fait, il n’y a dans ce film, en dépit de ce que l’on voudrait nous faire croire, aucune subversivité. On dézingue de manière ostentatoire le modèle de société patriarcale via la poupée Barbie, ce qui n’est pas vraiment le sujet le plus innovant du moment, mais on en vient presque à en exonérer l’entreprise qui l’a créée. Comme s’il ne fallait pas non plus trop rentrer dans le lard de la main qui vous nourrit. Certes, les employés de Mattel dans le film sont tournés en ridicule, mais pas Mattel, qui se voit quasiment pardonnée de tous les travers d’une grande société via une rencontre assez lunaire en fin de long métrage. Et je ne pense pas que l’on puisse critiquer l’un sans l’autre. Que Gerwig s’en donne à cœur joie sur la société patriarcale, c’est compréhensible. Cet engagement ne changera de toute façon rien aux avis déjà très tranchés des gens. Les « féministes » vont adorer et les « masculinistes » vont détester. Mais les personnes au milieu ? Eh bien, elles vont s’ennuyer en fait. Parce que le film n’avance plus assez rapidement. À cause justement du traitement caricatural de ses personnages principaux.

Un décalage malheureusement trop superficiel (© Warner Bros)

Des acteurs en grande forme mais parfois mal dirigés

Vous vous appelez Ryan Gosling ou Margot Robbie. Des icônes de premier plan, qui ont prouvé maintes et maintes fois qu’elles sont capables de tout jouer, des rôles les plus légers aux personnages les plus sombres. De fait, arriver à donner de la subtilité dans votre jeu totalement second degré n’est pas un problème. Cela ne sonne pas faux du tout. Le problème, c’est que si l’on se prend à rire devant les mimiques des deux acteurs, qui sont totalement rentrés dans leur rôle, sur la durée, c’est beaucoup plus monotone. On rit une fois, deux fois, trois fois devant les expressions irrésistibles de Gosling et la naïveté exacerbée de Robbie.

Mais le second degré inhérent à leur prestation nous empêche d’entrer dans le film et rend impossible le fait de raconter une véritable histoire. À chaque séquence, on a l’impression que Robbie ou Gosling nous font des clins d’œil pour nous montrer à quel point c’est du méta contexte. Quand ce n’est pas une voix off qui s’adresse directement au spectateur ! Et puis, si le jeu surréaliste des deux acteurs principaux fonctionne, les autres ne sont pas bons (Simu Liu, America Ferrarra et Will Ferrell en tête) et tournent vite au ridicule. On a même droit à une apparition en guest star de John Cena et de Dua Lipa qui dure… quatre secondes et qui montre bien tout l’aspect mercantile de la production. Du coup, on est laissé en dehors et on ne peut donc donner aucune crédibilité ni aux personnages, ni à l’histoire. Il faut une trentaine de minutes pour se rendre compte que cela n’évolue pas. Les acteurs sont toujours sur le même mode, tout est surjoué, tout est exacerbé et de fait, on s’ennuie. C’est à mon sens un problème de direction d’acteurs.

Un point positif ?  Le cheminement de Barbie est très émouvant. C’est ce que j’ai préféré dans le film. Cette volonté pour une poupée, symbole de tout ce qu’on veut lui mettre sur le dos, de transcender son émancipation en devenant humaine. Robbie est vraiment touchante dans ses expressions mais semble peu à l’aise avec sa posture. En effet, parfois elle se déplace comme une poupée, avec des gestes assez saccadés ou une certaine raideur et parfois pas du tout. Il aurait pu être intéressant de voir sa gestuelle évoluer petit à petit au fil de son cheminement de pensée. Là, on sent que cette continuité n’a pas été prise en compte. Dommage. De plus, les quelques moments d’émotion sont gâchés par des blagues autoréférencées ou brisant le lien entre le film et le spectateur.

Quand Barbie a les pieds plats, le mauvais jeu arrive à grands pas ! (© Warner Bros)

Un film engagé qui… ne prend pas position

C’est en réalité tout le problème de Barbie. Les thématiques sont tellement tentaculaires et imbriquées que pour réussir à en sortir quelque chose, il fallait être dans un très bon jour ! Et là, je pense que c’était un objectif trop élevé pour Greta Gerwig et Noah Baumbach. En effet, à force de vouloir multiplier les points de vue et de ne livrer que des positions méta textuelles ou cyniques, le film ne sait en fait plus à qui il s’adresse. Aux fans de Barbie ? C’est en tout cas sur cet aspect très référentiel que les agences de communication ont misé ! Et pourtant, Barbie ne cesse de démonter avec toute la dérision possible son personnage principal, jusqu’à la phrase de fin. Sans toutefois oser toucher à la compagnie qui a donné l’argent pour que se fasse le film. Le message est donc totalement brouillé et ne parviendra pas à convaincre d’autres personnes que celles qui ont déjà des avis hyper tranchés. Dans ce cas précis, c’est une déception. Pour ma part, j’ai vu un film avec de bonnes idées, quelques moments touchants et une production titanesque, mais ce n’est pas un film que je classe dans le haut du panier.

 

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